Ou comment une expé au Maroc se trouve subitement transformée
Dans l’après-midi du vendredi 8 avril, premier jour des vacances de Pâques, Pierre, Audry, Vianney et moi-même avons rendez-vous à Bruxelles. Le père de Vianney a la gentillesse de nous conduire en voiture jusqu’à l’aéroport de Charleroi où nous avons un vol RyanAir pour Madrid, avec comme destination finale le Maroc où nous avons prévu un trek de 10 jours dans le Haut Atlas.
Notre enthousiasme débordant va cependant vite laisser place au désenchantement le plus total. En effet, par un manque cruel de chance, nous apprenons à l’aéroport qu’un F16 hollandais a dû atterrir en urgence et bloque actuellement l’unique piste, provoquant ainsi l’annulation de plusieurs vols. Sans perdre espoir, nous enregistrons les bagages et entrons dans le terminal, en écoutant les annonces de vols annulés les uns après les autres. Le nôtre en fait partie, c’est un des derniers vols annulés de ces quatre heures de paralysie totale. Au total, 4000 passagers dont nous faisons partie ont eu leur vol annulé. À l’aéroport, c’est le chaos, et on comprend vite que les chances d’être réaffectés à un vol ultérieur sont inexistantes un jour de départ en vacances. Le père de Vianney toujours dans le coin ayant appris la nouvelle vient nous rechercher et nous conduit à travers des embouteillages des plus costauds vers l’aéroport de Bruxelles, où nous avons encore l’illusion de pouvoir trouver un last minute pas cher vers n’importe quelle destination. Bien entendu, il n’y a rien en dessous de 350€. Tout espoir perdu, on va se faire un barbecue chez Vianney, puis on essaye de trouver un cybercafé pour une soirée Counter Strike. C’est un nouvel échec, ils sont tous soit fermés soit complets. En fin de compte, on finit par rassembler quatre ordis chez Vianney et on joue à CS avec des bières jusqu’aux petites heures. Grosse déception donc, mais sur le moment même notre malheur nous faisait presque rire.
Samedi, on doit trouver quelque chose à faire. Vianney a une voiture à disposition, c’est l’idéal. On part donc avec pour seul objectif : le sud. On fait des courses d’expé au Colruyt de Wellin, puis on continue la route. Dur de choisir une destination à la hauteur d’un trek dans l’Atlas qui soit accessible en voiture. Les Vosges ? Pas envie… Les Alpes ? Encore trop de neige à cette saison… On finit par se décider sur une destination : le parc du Mercantour et sa vallée des Merveilles, dans les Alpes Maritimes. On espère que la neige aura fondu, mais on est optimistes car l’hiver a été particulièrement sec. On évite les autoroutes payantes par les nationales françaises. On se mange rapidement un spaghetti bolognaise au bord de la route avec un superbe coucher de soleil. Puis on se relaie au volant toute la nuit et on finit par arriver à Barcelonette au lever du jour, au nord des Alpes Maritimes.
On continue la route. Pour rejoindre la vallée des Merveilles, il faut passer en Italie par le col de Larche et revenir en France dans la vallée de la Roya par le tunnel du col de Tende. Au col de Larche (Colle della Maddalena), situé à 1991m à l’extrémité est du parc du Mercantour, on se rend compte que la neige sera tout de même un réel obstacle à un éventuel trekking. Depuis le col, on tente une promenade dans le vallon de l’Oronaye. Il fait totalement ensoleillé et le paysage est superbe, mais on s’enfonce régulièrement dans la neige jusqu’aux genoux, malgré l’exposition plein sud. Ça ne nous empêchera pas de monter à plus de 2500m avant de redescendre à la voiture. Les fleurs du printemps et la quantité impressionnante de marmottes donnent à cet endroit un aspect magique, mais un trek serait inenvisageable sans raquettes.
Couverts de monstrueux coups de soleil, nous reprenons la route vers Tende que nous visitons aux alentours de 18h, puis nous nous en éloignons un peu en voiture par un chemin qui remonte une vallée plus sauvage. On trouve une pelouse impeccable pour les deux tentes au bord d’un cours d’eau. Après un bon repas et une petite bière, on est prêt pour notre première nuit digne de ce nom depuis plusieurs jours.
Lundi, on ne sait toujours pas ce qu’on va faire, alors on se rend à l’office du tourisme. On nous apporte la confirmation que la vallée des Merveilles est encore enneigée, et après avoir passé quelques coups de fil, la dame nous informe qu’elle n’a pas pu nous trouver de loueur de raquettes qui en ait encore à disposition. Elle nous propose à la place un « sentier des villages perchés », reliant Tende (800m) à la mer Méditerranée en passant par des superbes villages typiques. Ça nous branche. On achète donc une carte de rando puis on se met en route en début d’après-midi, après avoir réparti tout le matériel et pique-niqué devant la gare de Tende. Le sentier nous éloigne temporairement de la vallée de la Roya en nous menant au col de Boselia (1111m) puis nous redescend vers le village de La Brigue (750m). De là, nous continuons vers Saint-Dalmas-de-Tende (730m) où nous retrouvons la Roya. Nous remontons sur le versant ouest de la Roya en direction de Granile. Comme il est déjà 18h30, on établit le bivouac à côté d’un torrent dans la montée. Après une bonne bouffe, on rejoint nos couchettes.
Mardi, après le petit-déjeuner, on termine la montée vers Granile (1070m) que nous traversons, avant de descendre à flanc vers Berghe Supérieur (820m), où nous pique-niquons à l’ombre d’un lavoir. Le soleil tape. On redescend ensuite vers la Roya à hauteur des gorges de Paganin, avant de remonter sur le versant en face, sur le sentier valléen. On commence déjà à se dire que cet itinéraire absurde fait énormément de zigzag sans nous rapprocher un poil de notre ultime destination. Mais on continue sans broncher, le sentier nous offre des beaux dégagements sur Berghe Supérieur et Inférieur en face. On descend sur Fontan (420m) où nous faisons une pause avant de nous lancer dans le détour le plus physique et le plus absurde de toute l’expé : au lieu de rejoindre Saorge directement par la route, ce qui nous aurait pris un quart d’heure, on nous dirige vers un col 400m plus haut, avec certes une belle vue, mais qui nous aura pris quasiment deux heures. Saorge (500m) est probablement le plus beau village qu’on ait eu l’occasion de traverser. On continue jusqu’à un endroit de bivouac sympa que j’avais repéré sur la carte au confluent entre la Bendola et la Roya. Outre une pelouse parfaite pour les tentes, l’endroit se prête à la baignade, et on en profite bien malgré la température plutôt froide de l’eau. Seul défaut : on est juste à côté de la route, une grosse départementale qui remonte toute la Roya, et du train qui passe sur l’autre versant.
Mercredi, on remonte le sentier valléen qui passe par les gorges de Saorge, dont on n’a pas vu grand-chose à cause des arbres, et par le vallon de Zouayné, avant de redescendre sur Breil-sur-Roya (280m). Après cette longue matinée de marche sur un itinéraire cette fois-ci plutôt direct, on s’autorise une frite et un kebab suivis d’une bière dans cette ville affreuse qui est la plus grande par laquelle on soit passé depuis Tende. Alors que le ciel s’est couvert, on se remet en route sur le versant ouest de la Roya, en direction de Piène-Haute. On marche encore longtemps avant de trouver un endroit plat pour la tente. Par chance, on finit par trouver un endroit parfait avec un ruisseau juste à côté, ce qui est idéal pour la cuisine. On est au pied de la montée finale vers Piène-Haute.
Jeudi, toujours sous un ciel couvert, on monte donc vers Piène-Haute (550m). On n’a pas l’occasion d’apercevoir la mer et encore moins la Corse à cause des nuages. On quitte cette fois-ci définitivement la vallée de la Roya en nous dirigeant vers l’ouest, direction Sospel, à part pour Audry et moi qui faisons une brève descente inutile sur Olivetta en Italie avant de remonter. À Sospel (350m), on se prend une petite Affliegem avant de se remettre en route à la première goutte de pluie. Vu les conditions météo, on décide d’abandonner le col du Razet qui constitue un détour supplémentaire et on entame plutôt la longue montée vers le col de Castillon (707m). Il nous faudra encore facilement deux heures pour l’atteindre par un temps atrocement pluvieux. Au col, nous sommes tous un peu tendus et surtout trempés. On abandonne l’idée de planter les tentes dans les ruines de l’ancien village car on espère trouver un toit à Castillon. On continue, jusqu’à ce qu’on tombe sur un squat parfaitement dégueulasse : une maison en ruine avec chantier plus récent mais abandonné, les murs sont tagués, et les voitures dans le jardin ont été vandalisées sans limite. Rien de moins rassurant donc, mais un toit pour nos affaires trempées ne se refuse pas, d’autant plus qu’on n’était pas sûr de trouver quoi que ce soit plus loin. Après de longues hésitations et disputes, on décide d’y rester et d’enfin commencer la cuisine, car il commence à faire noir. Comble de malchance, Pierre crève son matelas autogonflant sur un clou. Angoissés, en particulier par la violence avec laquelle les voitures ont été vandalisées, on va avoir un peu de mal à trouver le sommeil. Au final, on dormira tous très bien.
Vendredi 15, on se lève à 6h pour déguerpir de l’endroit au plus vite. Bien que le ciel soit encore couvert, il ne pleut plus. Depuis Castillon, on voit bien la mer. Fini les sentiers pour l’instant, on descend en ligne droit vers la mer sur la départementale. Pour clôturer la liste des villages perchés, on se lance dans un dernier assaut, 200m de montée vers Castellar, perché à 320m. On y retrouve Audry que nous avions perdu et qui a visiblement trouvé un chemin bien plus direct que nous. Depuis Castellar, il nous reste donc 320m à descendre en ligne droite vers Menton, sur la côte. À 13h, on arrive enfin sur la plage, et on s’y pose tout l’après-midi, alors que le soleil a miraculeusement fait son apparition. Le temps de trouver la gare ferroviaire, et Vianney prend un bus à 1 € pour aller rechercher la voiture à Menton. Comme prévu, ça prend un temps fou, il fait déjà totalement noir quand il est de retour. On avance un peu en voiture jusqu’au Cap-Martin où on se fait des tortellinis sur la digue, dans un quartier qui nous semble plus que louche. La soirée sera animée par une expédition de deux heures à Monaco, qu’Audry se fait un plaisir de guider. Le moment le plus marquant fut incontestablement l’accélération d’une Bugatti Veyron dans le tunnel du circuit juste sous nos yeux, mais ce n’est pas les belles voitures qui manquent dans cette ville. Et le vendredi soir, c’est la fête ! Notre tenue vestimentaire semble cependant inappropriée à l’esprit de la ville. Vers 2h du matin, nous reprenons la route en direction de Grasse dans l’optique de trouver rapidement un endroit pour planter la tente. Nous trouvons notre bonheur à une altitude d’environ 1000m avec vue sur la mer, sur un parking juste avant le col de Val Ferrière. On sent la différence de température. La nuit va être courte car on a une longue journée de route demain.
Nous reprenons la route en traversant le parc du Verdon, et comme à l’aller, on va éviter toutes les autoroutes payantes. C’est passé 22h30 que nous serons enfin arrivés au drive-in du Quick d’Arlon.
Pour un voyage qui par une succession de malheureux hasards semblait voué à l’échec depuis le début, on a tout de même réussi à en faire quelque chose de globalement réussi, avec la promesse de se retrouver tous ensemble au Maroc dans un an !