Après quelques semaines difficiles, je n’ai qu’une seule envie, tout quitter.
Quitter la quarantaine, le foyer familial, l’ennui, le train train quotidien pour me retrouver avec moi-même et qu’on me foute la paix.
__INTRO__
On est début Septembre 2021, suite à des soucis personnels le mental ne vole pas très haut. Je suis en pleine incertitude, j’ai plein de doutes. Un voyage en Canoë en Suède est prévu avec les copains. Je dois prendre le bus le soir même de mon dernier exam pour les rejoindre. Seulement, je n’en ai pas envie.
Quelques jours avant le départ, je me mets l’idée en tête de faire un bike trip solo, j’ai besoin de prendre le temps, d’être seul et de réfléchir avec moi-même. Mon billet Flix bus direction Göteborg est déjà booké, autant l’utiliser. Le plan me parait bien, les 1200kms qui séparent Göteborg de la maison semblent combler mon envie de me mettre dans le dur et de prendre du temps pour moi. Je commence à planifier mon voyage entre mes dernières sessions d’études. Je réfléchi au matériel dont j’ai besoin et commence à faire les commandes nécessaires sur internet comme une batterie externe ou une sacoche de selle. Objectif voyager léger et rapide. Je prendrai avec moi 2 tenues civil, 1 tenue pour rouler, 1 sac de couchage, 1 brosse à dent, un kit réparation vélo, de l’électronique, un kit médical, et quelques snacks. Une sacoche de selle et de cadre devrait suffire. Ca peut paraitre limite mais si le budget le dit, alors c’est comme ça. Je réalise les dernières courses après mon exam, cherche une boite en carton pour y ranger mon vélo, et recharge mes derniers appareils électroniques. Mes affaires rentrent du premier coup dans les sacoches, c’est tight, mais ça rentre. J’obtiens l’aide de Louis, un copain pour peaufiner les derniers détails. Les parents me demandent 20 fois si je suis sûr de vouloir partir comme ça, si j’ai rien oublié, si je veux pas prendre un pote avec moi.
__JOUR 1__
A minuit, une fois mon billet validé, et la caisse mise en soute, je suis parti pour environ 9h de trajet jusqu’à Hambourg où ma correspondance se trouve. Arrivé sur place, impossible de prendre ma correspondance, le chauffeur n’accepte pas mon carton. Il était apparemment noté dans les conditions générales que le bus ne pouvait pas transporter de carton dans la soute. Impossible de le convaincre, apparemment j’aurais eu un coup de chance à la première navette. Impossible d’aller jusque Göteborg comme initialement prévu, mais bon, c’est pas comme si quelqu’un m’y attendait. Je décide donc de commencer mon bike trip à partir d’Hambourg. Après 2h de déballage, remontage, et souci technique, je peux enfin prendre la route sur la selle.
Cap le Nord, vers la côte, J’ai envie de dormir avec vue sur la mer. J’arrive à voir mon rythme cardiaque sur le gps, Je suis à plus de 160 bpm en rythme croisière. Je me dis chill, comme ça j’avance bien et en plus j’ai de bonnes sensations. hum … mauvaise idée, j’ai les jambes cassées après les pauses. J’arrive enfin à la côte après 96km vers 17h. Je m’attendais à voir des petits cabanons de pécheurs locaux où je pourrai prendre refuge mais à la place de ça, je me retrouve devant une horde d’Hotels bondés. Je commence à chercher une place où dormir chez l’habitant ou dans un camping low cost et à 19h passé on me conseille de changer de ville, tout est full. Je pars direction Lübeck où mes chances de trouver un logement sont apparemment plus élevées. Arrivé sur place, je me rends compte qu’un gros évènement prend place dans la ville et encore une fois, tous les hotels/auberges sont pleins. Après quelques heures de recherches, j’arrive à dénicher une chambre au-dessus d’un paki sympa. Après 143km sur la journée et avoir cherché partout un endroit où dormir, je suis complètement claqué. Je finis la journée en allant chercher un gros durum kebab et vais me coucher la panse pleine.
__JOUR 2__
Je me réveille le matin à la cool et prends le départ après 10h du matin. Je passe par la boulangerie/épicerie m’acheter des petits pains et bananes. J’essaie de manger quelque chose toutes les heures et demie pour ne pas tomber en fringale.
Juste avant de partir, mes parents m’ont conseillé d’utiliser l’application “couchsurfing”, elle permet de contacter des locaux qui peuvent mettre leur lieu de vie à disposition; un lit/canapé, une douche, une cuisine et un lien social. N’ayant pas eu de grand succès la veille, je commence dès le matin à bombarder de messages tous les locaux de ma ville d’arrivée. J’estime mon h d’arrivée et essaie d’être large niveau timing en cas de soucis mécanique. Tant que le mental est là et que la ville où j’ai prévu d’aller dormir est fixée, les jambes sont obligées de suivre. Sur le vélo, les fesses brulent les 50 premiers km, tous petits défauts de la route empire l’irritation. Il y a pas mal de chemins gravel qui ralentissent l’allure. Je commence à trouver un rythme soutenable. ça fera 190km pour la journée.
Grâce à l’application “couchsurfing” j’arrive à rentrer en contact avec un étudiant local à Brême. Il m’accueille gentiment dans son petit kot, avec un matelas par terre, toute la surface au sol était occupée. On mange ensemble un petit plat à base de riz et légumes surgelés, cuisiné au dessus de mon matelas. On joue aux cartes, racontons nos vies. En sachant que ce sera la première et dernière fois qu’on se verra, il est beaucoup plus facile de s’ouvrir et de parler de choses plus “profondes”.
__JOUR 3__
Le réveil se fait tôt, départ avant 8h, j’aimerais faire une “grosse” étape aujourd’hui et mon hôte doit aller à ses premiers cours. Comme la veille, je bombarde de messages dès le matin les habitants de ma prochaine ville d’arrivée. Les 50 premiers kms sont toujours les plus difficiles, il faut traverser la ville par des endroits spécifiques pour passer les cours d’eau, il faut réchauffer les muscles et il faut que je trouve une bonne position sur la selle pour limiter les irritations. Avant de quitter la ville, je fais le plein de bananes et de petits pistolets. J’ai du mal à sortir de la ville, le faux plat montant est une horreur, je suis obligé de faire des pauses toutes les 10 minutes. A chaque pause, le vélo électrique dont j’ai fait l’effort de dépasser me redépasse. Cette fois je décide de continuer à rouler de sorte que si je m’arrête, c’est impossible qu’il me redépasse. C’est là que je réalise qu’il vaut mieux rouler plus lentement que de faire des mini-pauses “inutiles” pour manger un petit pain ou une banane. Depuis, je ne m’arrête que pour demander de l’eau ou vider la vessie. C’est à dire une pause environ toutes les 2h. En demandant de l’eau à une maison, le gars semble content de me rencontrer et revient les mains pleines de fruits et friandises. Passé la frontière Allemagne-Hollande, la route est rectiligne et sa surface un vrai billard. J’arrive à garder un bon rythme sans me cramer les jambes.
Après 225 km j’arrive enfin à destination à Zwolle chez Maarten, un étudiant local. Le contact se fait facilement. Son Néerlandais incompréhensible, on décide rapidement de passer à l’Anglais. Très vite on commence à parler vélo, des coureurs du peloton, des grands tours, des classiques et de la magnifiques saison de Wout Van Aert. On décide d’aller manger au Centre, boire une bière, et comme j’ai toujours pas assez mal aux fesses, on y va à vélo. De nouveau, on parle de tout et de rien. En revenant à son kot, je repasse au magasin chercher de quoi me faire un 2e souper.
__JOUR 4__
Réveil mis de bonne heure, une grosse journée s’annonce. Je me lève et fini mon plat préparé la veille en essayant de faire le moins de bruit possible. Je finis par quitter mon hôte et repasse au supermarché faire ma routine en achetant des pistolets et des bananes. D’ailleurs je commence à en avoir marre des bananes.
300 km séparent Zwolle de la maison. Si j’arrive à rentrer chez moi, plus besoin de chercher un endroit où loger, donc plus de contrainte de temps, donc plus de pression. Ca m’arrange si je finis le voyage aujourd’hui; je commence un peu à me lasser de pédaler pendant des heures le cul en feu, et avoir la pression de trouver un logement pour le soir même.
Cette fois ce sont les 200 premiers km de monotonie sur les routes hollandaises qui sont dures, mais une fois la frontière Belge passée, je me sens super bien, je pourrais encore faire des centaines de km sans souci. Je suis tout excité, j’adore les routes Belges! Je vois sur la carte que je ne suis pas loin de l’endroit où on a fait un weekend kot l’année passée et les routes étaient incroyables. Il faut faire un détour de 30 km pour y arriver, 30km c’est quoi quand tu en a déjà fais 200? et de toute façon, j’ai récupéré toute mon énergie!
Une fois sur les belles routes, je passe à coté d’un canal super bien bétonné. En m’hydratant au bidon, un cycliste me dépasse comme s’il sortait de ma roue. Il a une allure de 30 km/h, il a un beau vélo et un équipement nickel, c’est sûrement un jeune espoir. Après avoir profité de sa roue pendant un moment je me mets devant lui pour prendre un relai tout en augmentant un peu la vitesse. Après un moment il reprend le relai mais augmente aussi un peu la vitesse. Le petit jeu de “qui va lâcher l’autre ?” a bel et bien commencé et les relais sont de plus en plus appuyés. On fini par atteindre les 50km/h sur le plat, ma sacoche de selle part dans tous les sens, je commence à trembler et fatiguer mais je ne lâche pas. Le cycliste amateur fini par quitter la route me laissant seul sur le canal, dans ma tête j’ai gagné! L’unique moment d’action du voyage, ça faisait du bien. Je reprends mes esprits et des forces avec un gel énergisant, mon premier du voyage.
Il est 21h, à moins de 30km de la maison je dois recharger le gps et les lampes. Après plus d’une demi heure de pause/charge je me remets en route. Les jambes ont du mal à redémarrer, mais bon, quand il faut y aller il faut y aller ! Arrivé devant chez moi bien lessivé je vois que j’ai parcouru 296km. Je ne vais quand même pas laisser ça à 296 ! Je remonte sur ma selle avec peine et commence à rouler les 4 derniers kms en tournant autour d’un parc industriel. Vers 23h, arrivé à 300 km je peux enfin rentrer chez moi la conscience tranquille.