Ascension du Grand Combin le 15/08/21 pour l’arête Meitin.
15 Août 2021 : Grand Combin entre frangins
Certains grands projets se font parfois sur un coup de tête et le Grand Combin (4314m) en fait assurément partie… Cela rajoute-t-il de l’intensité à l’aventure ? Assurément, quand la Montagne nous invite à tout lâcher dans nos vies mouvementées de parent, épouse, clinicienne, professeure, fille, tante…
Comme dirait Jeannot (mon frangin): « il n’y a jamais de bon moment, il ne faut juste pas louper le créneau ». Et je sais qu’il a raison.
Tout commence quand Jeannot m’annonce par un simple sms, une météo ensoleillée de fin de semaine et l’ascension du Grand Combin ! Ca met la pression car rien n’était prévu !-). Il me surprendra toujours !-).
Les enfants jouent devant moi et tout se met déjà en marche dans ma tête… J’ai rapidement le feeling que je DOIS y aller, me poser et arrêter de penser qu’on est nécessaire dans une société où l’on attend trop souvent d’être « parfait » sur tous les fronts…
Oser partir pour mieux revenir !
Tout se décide jeudi midi 13/08/21 : tout est bouclé côté professionnel (examens UCL à préparer !), Pierrot (mon cher mari) me donne son feu vert et maman aussi, malgré les émotions vives à chaque départ de ses deux enfants (encore plus depuis le décès de notre frère aîné Charly à 40 ans d’une crise cardiaque sur son vélo…).
On se met en route et j’annonce au téléphone à mes enfants (en vacances avec leurs cousins), que je pars ce WE en montagne. Jeanne, ma deuxième fille de 9 ans me répond avec son air révolutionnaire : « Maman, ce n’est pas juste, tu pars toujours avec ton frère sans nous ; je ne t’inviterai pas non plus quand j’irai en montagne avec ma marraine Emilie en Suisse ». C’est le cri du cœur mais comment faire comprendre à un enfant qui s’éclate en vacances et pour qui on s’investit tant (et avec joie !), qu’une adulte a aussi besoin de temps pour se ressourcer seule ? J’entends ma fille et j’en souris avec Jeannot. Mère indigne, certes, mais mère heureuse surtout, de poursuivre ses passions et de les faire rayonner autour d’elle !-).
Et je me rassure : je me souviens de ces départs à 6 ans où papa et maman partaient quelques jours en montagne sans enfants ; j’en avais aussi le cafard et pourtant aujourd’hui je comprends tellement. Serait-ce le meilleur remède à fournir à notre société où tout s’accélère en burn-out de tout type (parental, professionnel, …) et dans nos vies trop pressées ?
Partir pour mieux revenir.
Dès notre « derrière » posé dans la voiture, le temps s’arrête et c’est tellement bon. On échange, on se retrouve, on se rappelle, on s’éclate …
Le temps défile, les paysages aussi et après 7h de route, on déplie la tente dans les vignes d’Aigle. Un air de scoutisme, ça fait toujours autant de bien à 40 ans !
Vendredi 14/08/21: On se remet en route pour les derniers KM et on s’improvise un petit café chez Valentin, un ami Suisse que l’on avait rencontré sur le parking de l’hospice en janvier. Trop marrant de se retrouver après un appel improvisé.
11h : départ pour la cabane de Valsorey. Tout se ralentit, les pas imposent soudainement leur rythme ; c’est tellement bon et beau ! Le Vélan nous ouvre la voie, quelle joie de retrouver notre premier sommet-glacier grimpé avec Bernard et Patrice de l’hospice en 1994 ! On sourit…quel chemin depuis ! Mais le Premier sommet Alpin marque toute une Vie !
Le trajet est déjà si loin ! Arrivée au refuge de Valsorey vers 15h ; le Grand Combin s’impose déjà à nous avec son arête rocheuse de Meitin et son sommet de Grafeneire. Un air de Cervin, que de beaux souvenirs. L’excitation et la boule au ventre montent. Accueil chaleureux et souper au refuge avec une chouette table d’alpinistes dont Diego, un belgo-argentin qui nous rappelle Charly, Sean et les Favresse. On est tous si heureux d’être là. Repérage de l’itinéraire à la tombée de la nuit, la pression monte !
Samedi 3h30 du mat’ : petit déj et préparation des sacs. 4h10, départ avec trois cordées. On est si peu, la montagne sauvage est à nous ! C’est ce qu’on aime ; les lampes frontales dansent dans la nuit, d’abord sur un chemin de randonnée, puis sur les pentes neigeuses, puis sur l’arête rocheuse. Trois ressauts disaient-il dans le topo mais j’en compte au moins six ! Et la brèche, où est-elle dans cet amas de roches qui n’en finit plus ? On continue notre progression et je fais confiance à Jeannot. On ne dit mot mais on est si heureux d’être là, juste à deux, tout roule. Quelle chance inouïe, quelle intensité de vie ! Les heures défilent, les paysages aussi et le voyage intérieur aussi. Tout s’enchaîne, quelle paix intérieure heureuse et partagée. Moments de recherche d’itinéraires, moments de doutes, moments de fatigue, de froid, de vent, de soif… mais cela progresse, on se resserre. Un pas après l’autre ; on y croit. Les heures défilent dans cette immensité, quelle liberté enivrante. Je suis aussi en communion avec Brieuc, mon neveu de 9ans qui se bat jour après jour contre sa tumeur. Une expé, c’est aussi un si long combat intérieur, fait de doutes, de peurs à apprivoiser et à dépasser grâce à la confiance d’y arriver, la présence des autres mais aussi en respectant son propre rythme. Je n’ai pas toujours faim mais je me force à manger les Snickers et les Mars que Jeannot me tend. La tête se fait aussi sentir avec l’altitude mais je continue mes petits pas et j’avance. Parfois je m’arrête et je me dis : « Quelles merveilles, ces couleurs changent à chaque heure ! » et cela me redonne la pêche, la confiance même si ces ressauts rocheux sont interminables !!
Vers 13h30, arrivée euphorique au sommet, Charly veille sur nous du haut de sa croix ! On se sert si fort ! C’est DINGUE ce sommet ! On n’y croyait pas, mais on y est !! On est si fiers. Mais il faut déjà penser à redescendre car nous ne sommes qu’à la moitié, et on arrive à notre horaire limite qu’on s’était fixé pour la descente. On se promet de descendre en toute prudence. On enchaîne les rappels et on retrouve tous les deux une certaine énergie. Le soleil se couche doucement ; on est seul ; on ressort les frontales pour quitter l’arrête rocheuse avant la nuit. Mission accomplie : arrivée au refuge grâce aux kerns qui ont balisé notre fin de course dans la joie et la bonne humeur ! IN-CROY-ABLE, on y est arrivé ! DINGUE. On est au bout de notre vie mais si HEUREUX !
Une expé mémorable.
MERCI Jeannot pour ces moments si forts qui me rappellent pourquoi je continuerai à partir en montagne tant que mon corps me le permettra ! Comme dirait Stéphanie Bodet : la montagne c’est mon équilibre ! Préservons-le.
Et je n’oublierai pas nos regards quand ta lampe frontale a dévalé tout le couloir de neige (retrouvée !). Je n’oublierai pas non plus notre marche du lendemain à la recherche de mon piolet oublié dans la neige à la fin de la course (retrouvé !) ; je n’oublierai pas l’Allemand trouvé seul au milieu de la voie sans baudrier et que tu as pris sur tes épaules ; je n’oublierai pas nos échanges, notre confiance mutuelle, notre persévérance, tous les Mars et Snickers que tu m’as tendus pour arriver jusqu’au sommet ! Je n’oublierai pas nos cris de joie au sommet, ton énergie bienveillante et toujours encourageante ! Je n’oublierai pas notre sieste à l’hospice et les retrouvailles avec Jean-Pierre qui nous a rappelé combien Christophe, Charly, Bernard Gabioux, Patrice, Dom, papa et maman continuent de semer en nous, par nous. Qu’il est bon de vivre à FOND comme tous ces proches qui nous ont inspiré un jour en montagne. Vivre comme eux, pour eux et rayonner autour d’eux ! Les absents nous le rappellent si fort !
Emerveillement, intensité, euphorie, confiance, doute, bienveillance, solidarité, authenticité et dépassement de soi ! Voilà ce qui m’anime en Montagne et me rend si heureuse, bien au-delà de chaque sommet …
A méditer : Pourquoi tant de personnes ne savent pas partir sur « le fil » ? C’est tellement bon de prendre soin de soi aussi ! Essayez une fois, vous ne pourrez plus vous arrêter. Et à votre retour, vous resavourerez chaque chose à sa juste valeur !
Jeannot, tu auras compris que le Grand Combin est assurément ancré parmi mes expés mythiques, pour sa beauté et son intensité mais surtout notre paix intérieure partagée. Seule je n’y serais pas arrivée ! C’est ça la magie de la cordée !
MERCI !
Béné