Frémissements de la montagne-fleur
Veille
Au 6ième siècle, le moine itinérant Xuan Zang revint d’années d’Inde avec des écrits bouddhiques, qu’il traduisit en plus de mille volumes chinois. Se propagea alors une pensée jeune. La dynastie Tang en fut imprégnée, jusqu’à en périr, d’un empereur plus cultivé que dictateur.
Ces parchemins, passés de mains en mains, finirent par se coucher au cœur d’une haute pagode :
« la Pagode des Oies sauvages»
un nom comme un souvenir de la pensée-chemin, de la migration des manuscrits, imprégné dans la pierre.
Oies sauvages,
Sages, voyageuses
Pensée-poussée
Itinéraire des idées de la Terre
En suçant je ne sais quelle sauce, me délectant de délices blancs, j’ai décidé que je suivrais, le lendemain, le chemin vers le Hua Shan, l’une des cinq montagnes sacrées de la Chine :
Hua Shan : la montagne-fleur,
ou fleur-montagne,
mont à effleurer au moins,
chemin qui m’effraie aussi.
Au pied de la pagode des Oies : une ode de pierre à huit immortels. Huit sculptures de sages qui, sans jamais mourir, dessinèrent la dynastie impériale, le temps, la culture, et toutes les teintes de Tang :
Un maître des herbes médicinales,
Un maître du thé,
Un tuteur de littérature,
Un maître calligraphe,
Un astronome, tourné vers une lune rousse de brumes,
Puis,
Trois poètes…
Tous éparpillés parmi les pins, les passants, les rêves brumeux, les arbustes et les pierres peintes.
Ici, pierre rime un peu avec prière,
mais plus encore avec écrire ;
cailloux et granit, quant à eux, avec calligraphie.
signes et lignes de pierres
se lisent siècles après siècles.
Jour du Hua Shan
Long trajet de car, à travers la poussière et le brouillard,
absorbant d’un bout à l’autre, pauvreté et, pourtant, multiplication de tout.
Puis, le pari du parc. Son chemin vers le Hua Shan, et ses milliers de marches.
Une vraie montagne, une vraie hauteur. Inscriptions Taoïstes, zen, accompagnent le pas.
Mais, sonnent sans cesse les crachats et les cris chinois, qui peuvent gêner et voler jusqu’à la sagesse du lieu.
Draps blancs de granit qui dégringolent,
Epousés par les branches rousses de l’automne
Oiseau bleu et orange,
Au chant troublant mais
cheminant
Il y a des siècles, ici,
Des moines nourris aux mots,
Se sont retirés dans ces stries,
ont prié dans la pierre
En ermites des monts.
De leur trace, la Chine ne hisse et ne ressasse que l’histoire,
En risquant de perdre la pensée première.
Le Hua Shan est beau et haut,
Sacré, certes,
Mais moins serein.
Lendemain, quartier musulman
Dix mille odeurs d’idées, d’identité musulmane
Mélangées aux mélodies de la rue.
Ici, se ressent une source, une densité,
Qui fait revenir les flux roux de la rivière,
Les draps de granit blanc s’élançant.
L’intensité de ce lieu libère les sentis de celui d’hier :
Le mont malmené, gravement défiguré par la démographie.
Respirent à l’esprit, les pas au cœur du parcours de roc,
Des grottes d’ermitage, taillées dans le grain de la montagne ;
Vestiges de justes joies,
D’une vacuité vécue.
Des pins bruns et menus, peignant les brumes.
Le poète Han shan (‘Montagne Froide’) eût ici trouvé de quoi cheminer mille ans de plus ;
Et poser Han Shan sur papier, c’est la lune qui asperge les pensées.
Je l’ai lu comme on boit du thé :
A petites gouttes,
jusque tout au bout des pieds.
Ses nuages blancs,
Ses torrents, sans âge,
Sa joie
tournante.
Jérôme M.