Non seulement une marche sur la West Highland Way pour savourer le temps qui passe dans une région magnifique, mais aussi une façon de considérer le flux de pensées perpétuel qui m’anime. Au passage, un gros challenge sportif pour mes petites jambes !
Du 3 au 10 Septembre 2022, je me lance le défi de parcourir la West Highland Way en solitaire. C’est la première fois que je fais ça, j’aime l’idée de ne pouvoir que compter sur moi et de n’avoir comme unique distraction le paysage d’Ecosse (pour autant que j’avance un peu !). Mon objectif est de le faire en autonomie complète, avec ma tente et mon réchaud. Tant qu’à se challenger, autant le faire à fond, non ?
Il est 17 :00, le 4 octobre 2022. Le soleil rayonne sur le lac Lomond. Ma tente sèche derrière moi. Enfin une pause. Je ne suis pas sereine. Vais-je y arriver ? J’ai mal, tellement mal. J’ai envie de jeter ce sac à dos loin de moi. Il m’étouffe, alors que là pour le coup, j’ai vraiment tout l’espace que je veux. Je ne connais personne. Personne ne m’attend nulle part sur cette terre d’Ecosse, aussi intrépide qu’époustouflante.
Mais laissez-moi vous expliquez comment j’en suis arrivée là.
Dimanche 3 septembre, j’ai fait mes premiers pas sur la West Highland Way. Ces 96 miles démarraient de Minglavie, mais le voyage avait déjà commencé depuis la veille. J’avais une présentation oral le matin (sympathique seconde sess), puis l’Eurostar de l’après-midi m’emmenait à Londres pour y retrouver ma sœur. J’ai vainement rattraper des heures de sommeil dans ce train. Le lendemain je grimpais dans un train direction Glasgow. Vous n’imaginez pas mon excitation, chaque escale me rapprochait un peu plus de cette aventure.
Je ne savais pas encore ce qui m’attendait, autant d’un point de vue physique de d’un point de vue spirituel.
Donc c’est l’après-midi du 3 septembre que j’ai entamé mon parcours. Tout se passait bien, des petits lacs pigmentaient la vue. Ma première nuit en camping sauvage s’est improvisée sur le pouce. A 21h heure anglaise je n’avais toujours pas trouvé de spot pour installer ma tente et la pluie commençait à tomber, comme le jour le faisait. Je me suis fait mon nid une lampe de poche à la main, plutôt folklorique comme première nuit.
L’objectif de mon deuxième jour était d’atteindre ce fameux lac mentionné plus haut, le Loch Lomond, voire de le dépasser. Celui-ci occupait plus ou moins une trentaine de kilomètres de la marche. J’avais mis la barre haut ce matin-là, espérant parcourir 30 km pour rattraper mon retard de la veille. J’ai démarré la journée sous une pluie battante. Des mures de bois m’ont servi de petit déjeuner réconfortant, je n’en avais jamais vu autant de ma vie ! Je craignais déjà de ne plus avoir assez d’eau parce que la bouteille purificatrice que j’avais acheté me paraissait douteuse. Je me suis arrêtée à un camping ou plusieurs marcheurs s’étaient abrités pour attendre la fin de l’averse. J’ai demandé à un des marcheurs ou je pouvais remplir ma bouteille d’eau. “Zere is a tap over zerr” m’a-t-il répondu. Etrange cet accent, il me parait familier… Mais pas le temps de mondaniser, les gourdes remplies j’ai repris la route. J’ai atteint le lac et ai été gratifiée d’un temps magnifique qui faisait scintiller l’Ecosse de mille feux. Petit à petit, les sensations sont revenues, me rappelant les douleurs que j’avais ressenti deux ans plus tôt sur le chemin de Saint Jacques. Les larmes montaient, les jambes lâchaient, je boitais tellement et marchais si lentement qu’un groupe de trois 50naires se sont arrêtés à mon niveau pour me proposer de porter mon sac. La dame du groupe avait travaillé à L’OTAN à Bruxelles, et m’a conseillé de prendre du paracétamol pour calmer la douleur, ou carrément de prendre un bus pour rentrer sur Glasgow car la journée d’après se passait loin de la route, donc aucune issue si ça n’allait pas. Je me suis installée sur la plage de cailloux après cette interaction, et suite à un appel requinquant avec un bon ami, mon plan était construit. Je ne voulais pas me faire du mal pendant ma seule semaine de vacances de l’année, Le lendemain, j’allais prendre un bus jusqu’au prochain stop de la marche et bien me reposer. Je me sentais honteuse d’abandonner si vite, mais à quoi bon se mettre la pression, s’il n’y a de toute façon personne pour le voir? La résilience était proche. Après une baignade bien méritée dans le lac j’ai trouvé le plus beau spot du séjour pour dormir avec une vue magnifique sur l’eau.
Vers 5 – 6 h du matin, Danielle toqua à ma toile de tente. Les charmants vestiges de cet ouragan qui a frappé l’Atlantique quelques jours avant mon départ nous ont entouré, moi et ma solitude. Les bourrasques de vents et la pluie acharnée me terrifiaient, et au bout d’un moment je ne pouvais plus faire semblant d’être zen. J’ai pris mes jambes a mon cou au lever du jour, vêtue en tout et pour tout du plastique de la veste et du pantalon étanche acheté avant le voyage. Après vérification, l’arrêt du bus était de l’autre côté du lac, donc j’y avais accès soit en ferry, soit à la nage. Avant l’arrivée du ferry, j’aurais déjà été ravagée par les midges, ces minuscules moustiques redoutables. Donc ni une ni deux, un paracétamol dégusté, j’étais repartie pour une belle journée de marche. J’y arrivais, j’avançais et croisais des gens sur qui calquer mon rythme, le moral remontait.
Vers midi, je suis arrivée devant un hôtel ou, visiblement, tout le monde s’arrêtait manger son pique-nique ou boire un verre. Quitte à être seule, j’allais me prendre une petite Guinness. Ce breuvage couleur café avait l’air d’être une routine pour les marcheurs, ça ne pouvait que me faire du bien et adoucir mes douleurs musculaires. En attendant ma commande, un accent francophone pour formuler une demande de café noir m’a sorti de mes pensées. J’ai levé les yeux et ai reconnu le gars du camping qui m’avait indiqué le robinet d’eau. Ni une ni deux j’engage la conversation, on a déjeuné ensemble et j’étais gênée de l’allure de mon pique-nique comparé au sien (fait du même pain depuis 3 jours avec le même fromage blanc et une poignée de noix, un luxe). Romain m’a partagé sa passion pour l’aventure et m’a proposé de le retrouver à un camping sur notre route le soir. Tout à coup, je ne me posais plus la question de si j’allais arriver à finir cette marche. La question était éventuellement, quand j’allais la terminer. Boostée par cette rencontre, j’ai arpenté seule à nouveau les rochers qui longeaient le lac. De la marche ? Pas vraiment, on était plutôt sur de l’escalade. J’ai bien aimé cette zone, j’étais de temps en temps caressée par le soleil qui perçait entre les arbres du lac, et mes douleurs, elles, étaient bien inférieures à la concentration que je devais mettre dans cette avancée pour ne pas tomber. Arrivée le soir, enfin, quelques regards se sont posés sur moi que j’ai légèrement perçus comme de la pitié (compassion?) des autres marcheurs. Je marchais, courbée à cause du poids de mon sac, et boitant de la jambe gauche. Le temps était au repos. Romain et moi se sommes raconté nos vies autour de Guinness et de mac and cheese du resto du camping. Le sourire aux lèvres, je me suis paisiblement endormie. Je n’étais plus seule, j’allais y arriver.
Le lendemain matin, tôt comme à mon habitude, je suis partie et au bout des 20 premiers mètres, je suis tombée nez à nez avec un bélier donc les cornes imposantes m’ont suggéré de ne plus trop bouger. Sauvée par un autre marcheur qui possédait un grand bâton qu’on aurait dit qu’il avait taillé lui-même, on a continué tous deux la route et de nouveau, j’ai parlé avec cet inconnu qui avait au moins 10 ans de plus que moi, dont la vie, les passions, les connaissances étaient différentes. Seule les Highlands nous reliaient, et ont stimulés notre entente. Vers midi, j’ai recroisé les trois 50naires qui étaient éberlués par ma performance. Ils ne pensaient pas me voir jusqu’ici, et m’ont rapporté qu’on était au milieu de la West Highland Way. Vers 13h, j’ai retrouvé Romain et on avait déjà fait un peu moins de 20 km. Une tempête était prévue pour l’après midi, mais décidée à ne pas rester plantée là, je l’ai encouragé avec deux hollandaises à continuer la marche. C’est ainsi qu’on s’est retrouvé trempés jusqu’aux os, a finalement parcourir deux étapes en une journée. Je nous revois marcher, lui relativement loin devant moi, et moi, avec de la musique pour me stimuler, à lutter contre la douleur et la sensation désagréable de l’eau qui perce chaque coin de ma peau et veillant à ne pas laisser trop de distance nous écarter . L’idée initiale n’était pas d’en faire autant, mais vu notre état, il fallait qu’on se rende au village d’après pour trouver un logement au chaud. Arrivés au village à bout, on a trouvé l’unique hôtel du coin qui était rempli. La dame de l’accueil nous a suggéré de retourné au village du déjeuner et d’y chercher un hôtel. On a mis le pied dehors, il faisait grand bleu. Alors nous et notre seum, on a pris un bus qui rebroussait nos pas, et on a retrouvé avec extase le confort d’un lit douillet et du chauffage de notre hôtel. De nouveau, les langues se sont déliées autour de Guinness et d’un match de foot avec des Ecossais agités !
La journée du lendemain s’est passée difficilement, comme si ce confort retrouvé avait déchargé mes batteries. En revanche des paysages de plus en plus spectaculaires s’élevaient devant mes yeux. Les highlands se révélaient de plus en plus, timides participants à la marche les premiers jours. De nouvelles rencontres ont été faites, si bien que le soir on a diné à quatre dans un camping. Une allemande, un autrichien, Romain et moi formions une bande assez hétéroclite au quotidien, de quoi nous enrichir tous autant, surtout moi qui était comme d’hab la plus jeune du groupe.
Deux journées nous écartaient de l’arrivée. Deux journées et deux bons gros dénivelés. Je marchais seule et me laissais dépasser par les gens qui s’étaient levés plus tard que moi, une bonne manière de travailler sur son égo. La première montagne à escalader m’a offert la plus belle vue de la marche, un 360° sur l’Ecosse dans toute sa splendeur, des montagnes à perte de vue, et un ciel cachant un soleil qui nous titillait de temps à autre. Au déjeuner, on s’est retrouvé de nouveau à quatre, on était concrètement à la dernière étape avant la fin de la marche. Soit on restait là mais on avait une grosse journée le lendemain, soit on prenait de l’avance sur le lendemain. Je vous laisse deviner notre décision, mais il faut croire qu’ à chaque fois que je décidais de prendre l’avance, j’étais récompensée par une drache torrentielle. C’est ainsi qu’on s’est tous les quatre retrouvés réfugiés dans une ruine ferme, à déguster les bières qu’on avait pris en stock pour le soir. Ils voyaient tous que je peinais à marcher. Je n’ai cessé de leur dire “Don’t wait for me, just go further, I’m coming”, jusqu’à ce qu’ils me bouclent le clapet en m’affirmant que je ne dormirais pas toute seule ici, qu’on était une équipe et que j’étais comme leur petite sœur maintenant. Quand la pluie s’est calmée, on a repris la route. Remplie d’émotions grâce à cette team qui tenait à prendre soin de moi, j’ai rassemblé les faibles forces qui me restaient, jusqu’à notre luxueux spot de camping sauvage. Ce soir-là, j’ai fermé les yeux le cœur gonflé d’affection pour ces gens, pour cette marche, pour ce corps qu’on m’a donné et qui m’avait déjà permis de parcourir 140 km à pied.
Plus que 10 km et on y était. J’avais hâte, mais me sentais retenue par ces paysages que je n’avais plus envie de quitter. Impossible de penser à ce que je ferai en rentrant à Bruxelles. Bru quoi d’ailleurs ? La vue de Fort William au loin m’a forcé d’admettre qu’on y était, et que demain même heure, je poserai le pied dans ma ville natale.
On a franchi la ligne d’arrivée tous ensemble, avons fait les photos les plus clichées devant tout ce qui pouvait nous indiquer qu’on les avait achevés, ces kilomètres. On a partagé notre dernier déjeuné autour d’un fish and chips bien mérité. Et lentement, le groupe s’est désagrégé et chacun est rentré chez soi. Mon train était à 19h30 le soir, j’avais 4h pour penser à ce que je venais de vivre, et sécher mes larmes d’adieu. Alors j’ai écrit, et ce jusqu’ à 3h du matin dans le train. Vite mettre sur papiers ces souvenirs que j’aurais préféré graver dans la pierre. Souvent je me retrouvais à me demander, mais est-ce bien moi qui ai vécu ça ? Heureusement, mes douleurs aux pieds et les piqures de midges me témoignaient que j’y avais véritablement été.
A mes yeux, la West Highland Way représente bien plus qu’un challenge sportif plutôt bas de gamme comparé à ce qui a déjà été fait. Elle m’a prouvé que la volonté me pousserait toujours au-delà de mes limites, et ce peu importe mon état, elle m’a rappelé à quel point j’aime être avec des gens, que ça vaut toujours la peine d’aller vers l’inconnu. La vie est pleine de surprises et on peut les stimuler en sortant de sa zone de confort, ce serait bête de ne pas en profiter. Merci l’Ecosse, merci mon corps, ma tête, merci à toutes ces rencontres, Romain, Isabelle et Tim. J’espère sincèrement ne pas m’arrêter là. J’ai plein d’idées en tête pour mes prochains challenges (peut être que je changerai de chaussures). Et j’aimerais m’obstiner dans cette vie avec la détermination qui m’a guidé mes pas dans cette aventure.