L’objectif est de profiter du vaste terrain de jeu qu’offre le parc Norvégien du Hardengervidda, en le traversant en pleine autonomie, sans autre assistance que celle éventuelle du vent dans nos voiles…

Récits de trois copaings errant au gré du vent sur le plateau immaculé de l’Hardengervidda

On se prépare ! Faut faire des choix !

Hardengervidda ? 9 consonnes pour 5 voyelles. Aucun doute : on est chez les vikings ! Ce nom barbare désigne notre terrain de jeu pour cette expé. Il s’agit d’une vaste zone (disons un cercle de ~80km de diamètre) peuplée de lacs, monts et vallées tout en douceur, le tout perché entre 1000 et 1500m d’altitude.

Pour les plus vieux d’entre nous, c’est la destination pour la 4ème année consécutive. On a bien tenté de varier en lorgnant sur les plaines de l’Islande, du Nord de la Norvège, voire du Groenland, mais rien n’y fait : le Hardengervidda est décidément le terrain de jeu parfait, ZE place to be pour apprentis snowkiters en mal grands espaces.

Les objectifs de l’expé sont simples : vivre en pleine autonomie, sans contraintes si ce n’est celles imposées par l’hostilité de l’environnement et puis, en bref, s’en mettre plein la vue !

Après plusieurs expés en groupes un brin plus gros, nous insistons cette année pour partir à 3. La logistique et les inévitables aléas techniques nécessitent une certaine agilité pour pouvoir profiter pleinement de l’expé. Bien que les bonnes bouilles de nos camarades d’expé partis avant nous cette année nous aient bien manqué, nous sommes convaincus de la pertinence de ce choix.

Après un round de collecte de matos, de déshydratation de fruits, d’empaquetages des vivres, de check, re-check et contre-checks de notre ‘Gear List’, c’est parti ! Nous embarquons pour un long voyage en voiture-Ferry-voiture pour finalement, abandonner la voiture à Heukelisetter, au pied du plateau.

 

Une bonne débauche de calories, en toutes conditions

« Si on sort les voiles cette semaine, je suis content » me dit Rémy alors qu’on se prépare à parcourir nos premiers mètres, à la lumière de la pleine lune, pour aller poser la tente à l’abri des regards. Les prévisions ne sont en effet pas idéales pour des randonneurs éoliens : c’est pétole ! Pas un pet de vent ! Puisqu’à toute chose malheur est bon, nous profitons de premières journées de grand bleu et de soleil, et -grand luxe- de pauses sans vent qui nous autorise à manger toute une barre de céréales sans perdre le moindre doigt !

Corollaire inévitable de l’absence de nuages : des nuits glaciales. La première nuit devait donner le ton : -32°C selon les organisateurs (-24° selon la police).

Nous progressons les premiers jours en ski de rando, traînant notre lourd matos tels des bagnards. Heureusement que nous ne croisons personne, car nous subirions moqueries et colibets des locaux. En effet, personne ne randonne en peaux de phoques sur cette topographie qui est infiniment mieux adaptées au ski de randonnée nordique (ben tiens !) ou autre back-country. Nous dimensionnons notre expé pour le kite, et nous payons la note quand il s’agit de marcher. 19 bornes suffisent à vous tuer un homme ! Dodo !

Dès que le vent soufflera… je repartira

A l’aube du 4ème jour, nous nous réveillons bercés par un délicat bruit de toile de tente. Du vent ??! Branle-bas-de-combat. On souque les arquebuses et on se retrouve en moins de temps qu’il ne faut pour le dire (~2h ?), sur le pont, toutes voiles dehors, prêt à lancer l’abordage sur ces paysages qui défilaient trop lentement jusqu’ici.

Mais le vent a amené son lot de nuage (bas, le nuage). La visibilité n’est pas top et notre enthousiasme avait visiblement altéré notre jugement : ce que nous appelions vent ne devait pas être plus qu’une brise. Quelques heures, un pied trempé, 2 changements de voiles et 6km plus tard, nous remontons la tente. Epic fail ! On ne nous y reprendra plus.

Compte-rendu d’un pipi matinal : « Là ça souffle ! Et en plus, on voit ! » 5ème jour. Conditions idéales. On remet le couvert avec les grandes voiles. Après un début chaotique durant lequel Rémy et Greg perdent (et retrouvent) tous les deux leurs grandes voiles après que le vent ait forci, nous trouvons notre rythme de croisière. On part plein-Est à pleine-balle. Les sentiments de libertés et de joie se bousculent dans nos têtes froides alors que nous naviguons en escadron à travers cet océan de blanc. Lac après lac, col après col, chaque vallée semble vouloir nous remercier de la visiter ! Rémy, le maître des chiffres avec sa montre GPS à tout faire, ne se sent plus pisser. 40 bornes.

A quelques détails près, les 6e et 7e jours d’expés seront dans la même veine. Le paysage défile avec en prime, une arrivée magistrale au-dessus de la vallée de Rjukan, une vue imprenable à des kilomètres à la ronde, ou l’on peut tenir tête au somptueux Gaustatoppen, le boss de la région.

On monte le camp : pas de repos pour les braves

Cette expé est intense à tout moment. Pendant l’effort en journée naturellement. Que ce soit en kite ou en marchant, le repos reste un concept abstrait. Le vent et le froid n’autorisent pas de longues pauses qui sont souvent pragmatiques : boire du thé, manger, se sustenter pour pouvoir reprendre la route et avoir chaud.

Une fois exténués par l’effort, nous décidons de monter le camp. Mais nos pénates sont encore loin et un nouveau combat s’engage. L’un de nous commence la fastidieux travail de fonte de neige pour les soupes et les thés pendant que les 2 autres attaquent le montage et l’aménagement de la tente, avec option anti-courant d’air et anti-tempête, s’il vous plaît. S’en suit sans traîner la cuisine. Variété, plaisir, (quasi)zero-waste et vrac ont été les maîtres mots de la préparation des menus et on peut affirmer qu’il s’agit d’une belle réussite ! Ça n’empêche, on ne se permet pas d’interruption dans le ballets des casseroles et des thermos au-dessus du réchaud. Les discussions ne sont pas longues. Le pragmatisme prime. « Passe moi la pollenta. Tu sais aller chercher de la neige dans l’auvent ? Ou sont les VBL ?»

Rjukan : le retour à la civilisation et la magie du soleil

Après une dernière journée en flèche (plus de 60 bornes, je vous laisse imaginer l’état de Rémy), nous redescendons de notre perchoir dans la vallée au niveau de Rjukan. Rjukan est un village tapi au fond d’une vallée Est-Ouest avec au sud, le Gaustatoppen et ses 1800m. Autant vous dire que, même avec les 50m² de miroirs placés au-dessus du versant nord pour leur réfléchir un peu de soleil, ces Norvégiens voient autant le soleil qu’un ours polaire ne voit un palmier. Le premier rayon de soleil étant attendu durant le mois d’avril, le premier weekend est dédié au Solfest : la fête du soleil. En clair, il s’agit d’un carnaval et -loi de Murphy oblige- sans soleil.

Rémy étant reparti chercher la voiture enfouie sous 1m de neige en stop, Greg et Lau découvrent le village en fête. Sous ses airs de micro village-route aussi blafard que ses habitants, Rjukan recèle en fait de nombreux centres d’intérêt : il s’agit du berceau de l’hydroélectricité avec la plus grande centrale hydroélectrique du début du XXème siècle (qui explique l’existence même de ce village dans cet endroit peu idyllique). Le lieu regorge aussi d’histoires pouvant nourrir quelques fantasmes militaristes : la base sous-terraine secrète et ses galeries au cœur même du Gaustatoppen (désormais utilisables pour ceux qui veulent rider la puff du Gaustatoppen), sans oublier Vemork, qui fut le théâtre d’un sabotage par des Norvégiens des installations nazies ayant pour but de mettre au point l’arme atomique.

Greg et Lau errant gentiment à la découverte de la fête au hasard d’un comptoir, se font embarquer par 3 jeunes (soit 50% de la population locale dans la tranche 25-35 ans) dans ce qui se transforme en guet-à-pinte bien en règle. A 8€ la pinte, le budget de l’expé a pris un peu de plomb dans l’aile.

Nous concluons cette expé par un somptueux brunch avec nos amies rencontrées la veille. Leur sympathie et générosité est à en faire tomber tous les clichés sur les Norvégiens. Que du bon !

Détail de notre tracé par jour :