Ne jamais sous-estimer un type qui vous parle d’un “trek sportif dans les Lofoten”. Même si c’est un français 🙂

“Trek sportif au Sud des îles Lofoten” : c’est le titre de l’article qu’on trouve en quelques clics sur le site (https://rando-lofoten.net).

On comprend très vite que c’est un français qui a écrit le récit de son aventure. Première réaction : “ok, il fait sûrement le malin, quand il dit que c’est abrupte, ou qu’il faut avoir un bon sens de l’orientation, ou que certaines étapes prennent 8 à 9h, on peut relativiser.

Bah oui ! Dans les Alpes, quand un panneau nous indique “refuge à 3h”, on y est généralement en 1h30. Et puis en France on grimpe facile à vue du 6b alors qu’en Belgique le 5c en moulinette nous fait pousser des cris de cerfs en ruth… Spoiler alert : on aurait écouter le monsieur. 

Les signes du destin

Le destin nous envoyait-il des signes lorsque Bertrande est passée par la fenêtre du Airbnb à Amsterdam pensant qu’elle s’ouvrait vers l’intérieur, et prenant donc son élan pour la tirer vers elle ? (elle finit sa course sur le balcon). Etait-ce aussi un signe de l’oracle quand, à 6h du matin, la voiture fait “tttrrrrrt” quand on essaye de la démarrer pour aller à l’aéroport ? Quand comprendrions-nous que ce voyage nous était hostile dès les départ ? Quand Bertrande ne retrouva pas sa carte d’identité ni son passeport alors que nous embarquions ?

Que nenni ! Nous volons sans papiers d’identité jusqu’à Bergen. Le gentil douanier, après nous avoir informé que “you have a problem”, décide finalement qu’on fait bien trop pitié et nous laisse passer…

Deuxième vol jusqu’à Bodo, et là, nous arrivons juste à temps pour embarquer dans le ferry (gratuit) pour Mosekenes : le Sud des Lofoten. Le monsieur à l’entrée me demande “name ?” je lui répond “Quentin”… “same as Quentin Tarantino”. Le monsieur écrit sur son registre de bord “Quentin Tarantino”. Me voila ravi de voyager avec un grand producteur de cinéma à bord.

Au loin, après 3h de navigation venteuse et houleuse, on commence à apercevoir ce que Tolkien aurait immédiatement nommé “le mordorrr” : entre d’épaisses vagues noires et une chape plombée de nuages se dresse une gigantesque mâchoire acérée. Des pics qui semblent prêts à nous avaler.

La pluie, partout, tout le temps

Débarquement vers 20h. Nous devons encore marcher le long de la route jusqu’à Sorvagen où nous planterons la tente au début du trek, sur un terrain magnifique, plat, et accueillant : le descriptif renseigne “bivouac possible partout”. Ce que le descriptif ne dit pas, c’est que quand il pleut, c’est plutôt “de la tourbe, trempée, partout”.

On avance, toujours un peu plus loin, pensant qu’à un moment on tombera sur le seul endroit de l’île à proposer autre chose qu’un cailloux ou un tapis spongieux gorgé d’eau dans lequel on s’enfonce de 15 cm… mais on doit bien s’y résoudre : ce soir, comme tous les soirs à venir, il va bien falloir se coucher dans une flaque.

Pas de chemin

À notre grande surprise, la nuit fût bonne. Et ce, malgré la pluie qui tombe depuis notre arrivée : une pluie tantôt battante en rafales de grosses gouttes qui font “splâtch” dans le cou ou le bas du dos quand on s’abaisse, tantôt fine, qui a la capacité d’outrepasser n’importe quelle protection fût-elle “waterproof”.

Dès notre première montée, on se demande si c’est bien ça… le chemin. En fait pour tout dire, il n’y a pas de chemin. D’après la trace GPX, on est sensé marcher sur une sorte de toboggan de pierre lisse et archi glissant. On le fait avec une extrême précaution, car on est heu… curieux !

Après quelques passages franchement hardcores, on tombe sur une chaîne : “c’est bien la preuve que des humains sont passés par ici”. On continue donc en ayant déjà beaucoup de respect pour les montagnards norvégiens qui, selon l’expression consacrée mais néanmoins soumise à controverse car on critique : “ne sont vraiment pas des ptits zizis”.

Arrivée au dessus, on longe une crête à travers un décors époustouflant : même avec “un ciel aussi gris qu’un canal s’est pendu”, l’île révèle son imposante et majestueuse beauté.

Mais comme le veut l’autre expression consacrée : “leur bonheur est de courte durée”. Car brusquement le chemin disparaît devant une falaise qui plonge à pic dans le lac en contrebas. Pourtant, on sait qu’il faut passer plus ou moins par là. Alors que faire !? Deux choix possible : soit redescendre, ce qui signifie abandonner ce trek et en faire un autre, balisé cette fois, soit grimper vers le sommet, en essayant de se faufiler dans la première goulotte qui semble conduire vers le col. On opte pour l’option 2. À ce moment, nos godasses ont déjà percé, ce qui vous aidera à comprendre l’une des photos ci-dessous, prise 7h plus tard.

On trouve finalement un passage : tellement étroit qu’il faut parfois onduler comme des vers pour hisser notre corps à travers les rochers et mousses détrempées. On trouve une échelle ! “Ah bah là c’est sûr on est sur un super chemin super équipé !” LOL.

Arrivés au col, on croit à une mauvaise blague : pas de chemin pour redescendre de l’autre côté bien sûr, mais pire : une vieille corde qui nous invite (crod-ialement) à descendre les 20 mètres de falaise pleine de mousses. Mais elle date de quand ? Plutôt 19ème ou 20ème siècle ? ouuu ? Hein ?

Tout doucement, on s’y agrippe un par un, avec nos 12 kilos de sac qui nous tirent vers le vide. Les mains sont trempées et glacées, mais elles tiennent bon parce qu’en bas c’est un pierrier, et pas un tapis de mousse (pour une fois).

En fait, sans les lacs, il nous aurait été impossible de nous orienter. C’est le côté “simple” des Lofoten : il suffit de passer entre les lacs… après il faut trouver la faille. Pendant des heures, on avance par petites étapes entrecoupées de “t’es sûre que c’est par là ?” et d’allez-retours sans sacs pour repérer si “ça passe”. À ce moment là, la pluie fait son entrée officielle à travers nos sous-vêtements, et chacun de nos pas s’accompagne d’un gros “sprouitch” : c’est officiel, nous sommes bien en train de faire “un trek sportif”. De violentes rafales de pluie nous le confirment.

Là ou de “sportif” on est soudainement passés à “hostile”, c’est lorsqu’il a fallu redescendre. La trace GPX du français est formelle, il faut aller “dré dans l’pentu!”. Or, le pentu, c’est une dalle toute lisse qui semble plonger droit dans le vide. Au plus on avance, au plus on se rend compte que remonter est impossible, et que s’il n’y a rien là dessous, on risque de se retrouver calés sur ce cailloux pour un sacré bon bout de temps.

On se retrouve même en position “pepette ski” à racler nos pantalons sur la roche, en traînant nos sacs d’une main, l’autre main cherchant quelques maigres prises pour se rassurer, en vain. Il faut mettre les mains à plat sur ce rocher lisse, en espérant ne pas glisser. À ce moment-là, on est pas très fiers. On serre les fesses, le silence s’installe.

Ce moment va durer au moins 15 heures selon nous, 1h30 selon la police, mais il restera gravé dans nos souvenirs comme étant “le moment où on a été vraiment foireux prochaine fois on réfléchira à deux fois”. Finalement, on arrive à destination, après…9h de marche ! On aperçoit le lac de Krokvatnet. Et là “oh joie !” il y a un genre de plage ! Enfin un endroit sans tourbe ! Je dégage les cailloux, et installe la tente à 30 cm de l’eau en pensant que “c’est boooon ça vaaa c’est pas la mer”.

Il est déjà 22h et il fait encore totalement clair. Normal, car à cette époque de l’année, le soleil ne se couche que très peu, dans une sorte de pénombre entre 2 et 3h du matin un truc du genre. Donc imaginez que vous vous réveillez la “nuit”, eh bien il fait clair comme en plein jour. Assez perturbant, d’autant plus que nous nous sommes réveillés toutes les 15 minutes car avec le vent et la pluie des vagues se sont créées, venant lécher les parois de notre tente, qui, rappelons le, était plantée à 30 cm de l’eau, seul endroit de l’île j’imagine où il n’y avait pas de tourbe détrempée.

On se réveille à cause des rafales de vent, à cause de la pluie battante, à cause des vagues qui lechouilles le auvent, à cause du froid, de l’humidité… Je rêve même qu’un marsouin me réveille pour me mettre en garde de la montée des eaux, et sursaute dans mon sac de couchage. Pour la millième fois j’ouvre la tirette du auvent pour vérifier que l’eau n’atteint pas nos affaires. Une bonne nuit quoi…

S’il fallait résumer ce trek en une photo, la voici :

Voici dans quel état ont été nos pieds, jour et nuit. C’est dur, mais il faut voir la vérité en face : aucun petits pieds, si protégés qu’ils soient dans de bonnes chaussures bien graissées, ne peuvent rester au sec plus de 5h dans cet endroit. L’eau est par-tout.

Le lendemain : opération “exfiltration”. Nous venons d’enfiler nos vêtements trempés et glacials, on a replié la tente dans le sac, trempée elle aussi, plus question de se dire qu’on va continuer comme ça : on se tire ! D’autant plus que le programme du jour c’était l’ascension du plus haut sommet, dans une purée de pois, avec rafales et rochers glissants. Sur la photo ci-dessus, Bertrande indique qu’il faut descendre jusqu’au lac, longer sa rive, pour trouver un village qu’on devine dans la brume. Normalement il y a des bateaux qui font des navettes, mais le dernier passe d’ici quelques heures. Sachant qu’il nous reste encore une descente plutôt rock’n roll, et que le long du lac il n’y a pas de chemin, c’est tendu.

Entre deux gamelles et autant de gros mots, on descend mètres par mètres sur une pente…heu… pentue, et extrêmement glissante. À nouveau on pense : “quand même ces norvégien-ne-s c’est vraiment des grand-e-s malades”. Parce que oui, on trouve ça et là des traces de passages d’humains : des cabines techniques, des câbles, de vieilles cordes,…

Ce qui devrait être un chemin pour les techniciens du barrage s’est transformé en torrent. On a pas le choix, il faut à nouveau descendre en “pépette-ski” mais cette fois en plein courant. Je vois Bertrande s’engager là dedans, entre la paroi légèrement en dévers à gauche et la falaise à pic à droite : son sac amortit les trombes d’eau du torrent.

On arrive, après énormément d’efforts, au bord du lac. On trouve un semblant de chemin : cela ressemble plus à la trace laissée par un animal dans les fourrés, mais ça nous convient. On oscille entre des bosquets touffus dans lequel il faut se plier en 4, et d’énormes blocs tombés de la falaise, qu’il faut escalader puis désescalader. Ca fait un moment maintenant qu’on est en mode automatique : avancer, ne pas se poser de question.

Sur la photo, on le voit au loin, le fameux “dernier bateau”. Il faut donc accélérer. On glisse, on tombe dans la boue, on s’enfonce jusqu’aux genoux dans des bourbiers, mais on avance coûte que coûte… jusqu’à arriver à l’embarcadère de la libération. Là, le capitaine nous dit qu’il faut en fait attendre un autre bateau. On patiente dans une petite cabine en bois avec d’autres touristes, en expliquant d’où on vient. Ils ont des yeux tout ronds. On est content de voir des vrais gens. En réalité on est parti depuis 2 jours seulement, mais on a l’impression que ça a duré un mois. Il faut dire qu’avec la nuit qui ne tombe jamais, on a eu tendance à marcher beaucoup beaucoup…

Enfin arrivés à la civilisation, on se prend un mega-hôtel dont on oublie le prix exorbitant tant il nous est nécessaire de prendre une douche chaude et de dormir. À ce moment précis, tous nos muscles se disent : “c’est bon les gars, on a fini le job”, et on commence à boiter comme des petits vieux, on ne fait plus “sproutch” à chaque pas, mais “aïeuh”. La chambre “mega classe” se transforme vite en “mega souk” où l’on entend les “plics plics” des affaires qui sèchent.

La suite du séjour est plutôt classique : visite de villages, petite rando à la journée, dont la fameuse rando qui mène à la plage de North of the Sun (https://vimeo.com/ondemand/northofthesun/108068644) où nous avons pu squatter la cabane des types, une super expérience ! Je vous laisse là avec quelques photos.

En conclusion : même si c’est difficile à croire, on a franchement adoré ce trip. C’était une belle épreuve de couple qu’on est assez fiers d’avoir surmonté sans aucune tension, et surtout, c’est ce genre de trucs qui te font apprécier les douches chaudes, ton petit confort etc. Autrement dit c’est indispensable de se faire mal pour être heureux.