En Avril 2017, Damien et Dom explorent en ski de rando le Haut Altai mongole à partir d’une yourte montée en altitude.
Ils seront rejoints par Quentin, Dastan et Marcel pour tenter de toucher les hauts sommets dont le plus haut de Mongolie, le mont Khuiten, 4,374 m.

screenshot_5843 semaines d’autonomie dans l’Altai en Avril 2017 avec Damien

Le projet initial de cette expé était de rassembler une palette d’amis et amies, d’âges variés, avec qui j’ai vécu des moments forts en montagne ou ailleurs dans le passé. Je voulais tourner avec eux un film qui aurait questionné le sens et le pouvoir de transformation de ces expés. Au fur et à mesure que la date de départ approchait, je me suis rendu compte que si beaucoup acceptaient c’était plus pour me faire plaisir que parce qu’ils en avaient vraiment envie.  Pour plein de raisons évidentes, c’était en fait difficile pour beaucoup de libérer du temps et les ressources pour passer 2 ou 3 semaines dans une yourte sur les hauteurs de l’Altai. J’ai donc débranché la prise de ce projet trop ambitieux tout en annonçant que, puisque la logistique était déjà organisée, je partais de toutes façons et qu’il y avait de la place pour ceux qui voulaient inventer un autre projet avec moi. Damien a répondu positivement et nous sommes donc partis à deux.

screenshot_571Damien a 19 ans et c’est sa première grande expédition. Nous avons passé cet été une semaine d’escalade ensemble et le courant passe vraiment bien entre nous. Mais ici i s’agit d’autre chose. Nous allons vivre en totale autonomie, coupés de tout par des températures entre -5 et -25 degré pour explorer des pentes vierges à ski sans topo ni carte. Le moindre souci peut vite se transformer en catastrophe. Damien ne skie aussi que depuis un an même si c’est un triathlète hyper entraîné.

Après l’excitation de l’organisation à deux et du départ ensuite, j’ai tout d’un coup été pris d’angoisse en mesurant mes responsabilités face à la multitude de choses qui pouvaient mal tourner. Cette expé, plus que toute autre, questionne les raisons qui m’amènent à organiser ce type d’expés depuis 30 ans. Je ne pouvais fuir la question et cela n’en est devenu que plus passionnant. Le plus extraordinaire c’est que j’ai pu en parler avec Damien. Damien en effet fait partie de ces rares personnes avec qui tous les sujets peuvent être abordés sans apriori, avec beaucoup d’écoute et d’intelligence mais aussi sans complaisance et beaucoup de perspicacité.screenshot_583

Le sommet, l’exploit, les difficultés ne sont que des moyens. Ce qui prime pour moi c’est de vivre ensemble des moments forts où les masques tombent au contact de ces grands espaces, avec des compagnons de cordée qui acceptent cette rencontre avec eux mêmes et les autres dans l’inconfort décapant de l’aventure. La toute grande majorité des personnes avec qui j’ai vécu ces moments forts sont devenus de vrais amis et amies avec qui je suis resté en contact malgré les chemins différents que prennent naturellement nos vies respectives. De ce point de vue-là, beaucoup de mes copains guides de montagne m’envie. Si j’accompagne quelqu’un ce n’est pas uniquement pour le conduire en toute sécurité au sommet. Je lui propose de partager un chemin vers un objectif que nous assumons ensemble. Si j’accepte de lui partager mon expérience avec la responsabilité que cela implique, je lui demande en contrepartie d’avancer sur le chemin de l’autonomie et de la réciprocité. Ma plus grande joie c’est de voir mes compagnons de cordée organiser ensuite sans moi ce genre d’aventures et même souvent me dépasser. Il y a plein de guides compétents pour nous amener au sommet. Je ne suis pas guide, je ne suis qu’un facilitateur, un catalyseur pour que la réaction puisse démarrer. Ensuite la réaction doit aller jusqu’au bout par elle-même. Partir en expé, c’est accepter de construire un chemin ensemble en assumant les risques d’une rencontre vraie vers l’objectif atteint ou non.

screenshot_575Pourquoi alors partir seul avec un gars, 39 ans plus jeune que moi, au fin fond de la Mongolie ? La question n’est-elle pas plutôt : pourquoi pas ? En quoi l’âge importe-t-il quand il y a cette envie partagée de découverte et de rencontre réciproque ? C’était le cas ici avec Damien. Nous avions simplement envie de découvrir ces grands espaces ensemble et en chemin, de nous apprivoiser. C’est aussi simple que cela.

L’expérience des années toutefois rend parfois plus lucide sur les risques encourus et leurs conséquences. C’est là qu’il faut communiquer et nous avons réussi à le faire avec Damien. Nous ne sommes pas là pour nous faire peur mais pour vivre à fond cette rencontre entre nous et avec ces montagnes, ce froid et cette yourte qui très vite deviendra notre petit chez nous. Il faut s’y inventer toute une organisation, faire le feu, cuisiner, faire fondre et bouiller l’eau, faire sécher le matos et les chaussettes parfois bien odorantes, siffler ou secouer l’autre quand il ronfle trop fort, etc. Tout geste prend une signification nouvelle là-haut. Il en va de même pour chaque regard. Cela en devient très fort et c’est justement cette intensité que nous venons chercher.screenshot_582

Damien a 19 ans et il s’entraîne à fond au triathlon, sans doute plus de 16h chaque semaine. J’en ai 58 et je ne peux évidemment suivre son rythme à la montée. Damien skie depuis un an et n’est donc pas encore un expert. En plus, il a de vieux skis tout longs. Il peine souvent à la descente dans cette neige parfois difficile et ces pentes raides. Il faut donc chacun faire des compromis et se réjouir de voir l’autre progresser et dépasser ses propres limites. Composer ensemble avec nos différences, nos forces et nos limites, c’est tellement fort lorsqu’on y arrive. Et puis il y a ces grands espaces. Très vite, dû à l’isolement et cette vigilance renouvelée qui nous force à porter l’attention au delà de notre propre pas vers celui de l’autre dont nous dépendons aussi, notre regard s’agrandit. Nous ne regardons plus le paysage de l’extérieur comme on contemple une photo, nous devenons ensemble dans le paysage. Nous commençons à percevoir beaucoup plus de choses que d’habitude. Le plus curieux c’est que ce regard élargi perdure aussi sous la yourte lorsque, le soir, l’un  verse du thé à l’autre, sert les spaghettis ou fait la vaisselle dans la neige. Même le ton de la voix change, devient plus attentif, respectueux.

screenshot_574A aucun moment nous n’avons eu l’impression de prendre des risques mais l’isolement restait total. Nous avons atteint de nombreux sommets sans nom et parcouru des centaines de kilomètres, souvent sur des glaciers crevassés. C’est qu’ici tout est loin. Pendant trois jours nous avons même logé sous tente pour atteindre un col au-dessus d’un gigantesque glacier à la fin duquel Damien a dû littéralement me tirer pour que la cordée arrive au-dessus. Nous avons eu beaucoup de chance avec la météo même si nous avons aussi dû essuyer plusieurs tempêtes. Bref l’aventure était totale, à la hauteur de l’Amitié qu’elle a creusée.

screenshot_578Lorsque Quentin, Dastan et Marcel nous ont rejoint pour la fin du séjour, l’aventure a poussé le bouchon un cran plus loin. Nous avons fait de longs portages dans la tempête vers la deuxième yourte montée à plus haute altitude. L’anticyclone est revenu et nous avons escaladé ensemble et encordé le Malchin (4050m) avec sa longue arête neigeuse. Et puis nous l’avons surtout descendu en ski du côté russe dans une magnifique poudreuse, poussé dans le dos par Quentin qui ne se sentait plus avec ses nouveaux skis légers.

screenshot_581Alors que les autres se reposaient, Damien s’est alors envolé le lendemain sur un autre long glacier. J’ai essayé de le suivre.  J’ai tenu deux heures. Après m’être arrêté pour remettre une deuxième paires de gants car mes doigts commençaient à geler, je n’ai jamais pu le rattraper. Damien s’éloignait au fur et à mesure de mes efforts.  A un moment toutefois, ne me voyant plus derrière, Damien a tout d’un coup pris conscience du danger et s’est mis à  paniquer. “Dom est tombé dans une crevasse. Ou est-il ? Comment vais-je le tirer de là ?” Pour le forcer à s’arrêter j’avais juste bifurqué vers un petit sommet et une magnifique pente raide qui m’attirait depuis le début et dont une bosse me cachait momentanément de la vue de Damien. Nous nous sommes retrouvés et vivement expliqués au sommet avant une autre descente d’anthologie même si Damien n’arrêtait pas de couper mes belles traces avec ses grands tournants. Damien d’un coup venait d’acquérir cette expérience face aux risques qui forcément lui faisait défaut jusque là.

Le lendemain, il était temps de rentrer vers les bancs des auditoires pour Damien. Nous sommes redescendus à la première yourte en trois heures, un record. J’ai vu Damien se retourner mille fois pour capter une dernière fois la vue de ces trois énormes glaciers à la frontière entre la Mongolie, la Chine et la Russie. C’était émouvant.screenshot_580

Moi ces 3 semaines intensives de hautes montagnes dans le froid à courir derrière ce jeune triathlète m’ont comblé mais aussi épuisé. J’aurais pu remonter à la deuxième yourte pour accompagner les trois autres pendant une petite semaine supplémentaire mais j’étais à bout et j’ai senti que je devais rentrer avec Damien à Olgi, aller au bout avec lui et puis me reposer, digérer tout ce que je venais de vivre. Je sens aujourd’hui que c’était la bonne décision. Il ne faut jamais être trop gourmand. Je crois que j’avais aussi besoin d’un peu de solitude pour digérer toute cette intensité.

J’ai retrouvé Dastan, Quentin et Marcel à Olgi et nous avons bien fêté cela. Je suis rentré avec eux à Ulaanbataar et nous avons encore bien fêté cela avec un festin préparé par Dastan et son épouse. Magnifiques moments aussi.

Merci Damien

Merci Dastan, Quentin, Marcel

Je suis prêt et même impatient de rentrer en Belgique terminer le film de notre expédition de cet été au Canada. Ce sera très fort aussi et je me sens maintenant à la hauteur de la tâche.

Ensuite oui il y aura aussi un superbe petit film ce cette aventure mongole avec Damien. Mais c’est comme un bon vin , il faut d’abord le laisser décanter un moment.

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Récit de Damien :