Alexis et Damien partent 10 jours dans les Alpes bernoises à la recherche du peu de neige que contiennent encore ces belles montagnes.

Tout commence en octobre 2021, à l’occasion du concert annuel du CapExpe. Entre deux mouvements de danse sur la musique endiablée jouée par nos copains français, j’aperçois Damien qui sirote un verre accoudé au plan de travail de la cuisine. Ca fait longtemps que j’ai compris que c’était un sacré gaillard, et je me dis que c’est l’occasion d’aller l’aborder. Le trac monte, mais je me lance. “Hello Dam, tu vois qui je suis?” “euuuh, oui.., fin je crois” (Yes, j’ai parlé à une star, l’acteur principal du film “Altaïtude”, et en plus il sait qui je suis). Le courant passe bien, on tape causette, nos bouteilles de cara s’entrechoquent et on en claque une à la santé de CapExpe. “Dis, ça ne te dirait pas qu’on se fasse un truc cet hiver?”. Ça fait un petit temps que je rêve de Laponie et de ses grands espaces. Plus jeune, j’avais peur du froid, mais là, après 7 années à l’unif, je sens que mon corps est mieux isolé contre les températures négatives. Damien a une expérience de fou. La Laponie n’a plus de secret pour lui, il s’est déjà retrouvé dans des expéditions de grande ampleur telles que le projet Altaïtude en Mongolie, mais aussi en Islande lors de sa traversée en autonomie avec Dom. Ca me semble être le compagnon parfait. De mon côté, je suis plus réputé pour la logistique, et les plats déshydratés. Je sens que ça peut marcher. Damien me répond avec beaucoup d’enthousiasme qu’il est chaud, et on se bloque tout de suite 2 semaines en avril. Rapidement, Max rejoint l’équipe, et nous sommes prêts, à 3, pour affronter la tempête.

Le temps passe, et il semble que nous ne soyons pas les seuls à rêver de Laponie cet hiver… Tout le matériel du CapExpe est pris d’assaut, les expés s’enchainent, et nous arrivons trop tard. Un comble pour celui qui gère la caverne d’alibaba du CapExpe depuis tant d’années. Nous cherchons des solutions, et du matériel par d’autres moyens, mais en vain. Les étoiles ne s’aligneront pas cette fois-ci, mais ce n’est que partie remise.
“Bon Dam, Max, j’ai bloqué 2 semaines maintenant, on ne va pas rester en Belgique à frotter le sol de nos colocs respectives quand même?? On fait quoi?”. Max me répond qu’il se lance dans un autre gros projet, et me laisse avec Damien sur les bras. C’est le moment pour moi de jouer ma carte joker:

C’est (encore une fois) notre ami Dorsan, vieux Belge retranché dans les montagnes suisses depuis plusieurs années maintenant qui nous servira d’inspiration pour notre sortie. En effet, Dorsan connait la Suisse et les Alpes comme sa poche (il est capable de vous citer les 82 4k des alpes en moins de 4 minutes, et vous donne le nom de l’alpiniste et l’année de la première ascension de chacune d’elles si vous lui accordez 2 minutes supplémentaires). Je ne serais pas étonné si fin d’année, il connait mieux les topos du Valais que le site Camp2Camp lui-même.

Un coup de fil, et c’est parti. Nous bloquons un créneau, lançons les démarches de notre expé, et on met le cap vers la Suisse allemande pour la traversée du massif du Dammastock par la haute route uranaise. La route se passe à merveille avec Damien, on refait le monde à l’avant, pendant que notre BlaBlaCar écoute discrètement ce que nous racontons. Damien m’explique toute la complexité de son métier, ce super héros qui achète et revend l’électricité que nous consommons. “Ah monsieur, vous aussi vous travaillez dans la crypto monnaie” rétorque notre passager, intéressé de gratter le bon plan. Soit nous ne parlions pas assez fort, soit il faudra que Damien soit un rien plus clair dans ses explications.

Allez hop, nous voilà dans la région de la ville d’Interlaken, où nous terminerons notre sortie. Nous garons l’octavia G-Tec sur un parking pour redescendre au point de départ en octavia RS. L’upgrade est remarquable, et nous redonne confiance dans le stop, même en Suisse allemande, moins réputée pour la pratique du stop. La RS nous dépose à la gare de Göschenen 2 minutes après que Dorsan fut sorti de son train. Les retrouvailles sont chaleureuses, les sacs sanglés, et l’équipe parée à poncer les pentes de neige du massif du Dammastock.

L’approche se fait d’abord à pieds, skis sur le sac, jusqu’à ce que la neige permette de chausser les peaux. C’est somptueux, la montagne est belle, et les prévisions météo de la semaine ont découragé toutes les autres cordées à se lancer dans l’aventure. Nous sommes seuls au milieu d’un énorme massif.
Après une longue journée de marche, notre solitude est interrompue par le gardien de la Chelenalphütte qui s’aventure a notre rencontre. Le pauvre était seul là-haut depuis plusieurs jours, et est enchanté de nous accueillir. Pour fêter ça, il nous a concocté la spécialité de sa région. Alors que nous sommes bien installés dans le refuge, et que nous reprenons doucement nos esprits, le gardien nous présente un grand saladier de pâtes saupoudrées d’oignons frits, et un autre rempli de compote. « Und hier sind die Makkron » nous rétorque-t-il fièrement. Abasourdis par l’aberrance de ce menu « macaroni/pommes de terre (cuisson identique dans la même eau), sauce blanche, oignons frits, compote », c’est le fou-rire dans la cordée. Nous renommerons bientôt ce mets suisse-allemand le « Macron-Compote », qui restera à jamais gravé dans notre mémoire.
La joyeuse cordée part se reposer, le ventre plein de Macron, et la tête pleine de souvenirs, car la journée du lendemain ne s’annonce pas des plus simples.

Le départ se fait crampons aux pieds tout droit dans la pente. Le ciel se dégage, et notre bonne étoile donne tort aux prévisions météo. La situation est idéale : nous avons une météo parfaite, mais les prévisions ont fait fuir tous les autres montagnards. La journée est magnifique, nous atteignons le glacier et nous nous accordons même le sommet du Sustenhorn, optionnel dans notre itinéraire. Dorsan est particulièrement euphorique, car il vient de recevoir un appel de deux amis (deux frères qui sont prêtres tous les deux, nous précise-t-il) pour courir la Patrouille des Glaciers avec eux 3 semaines plus tard. Nous descendons à travers de vastes étendues glaciaires, complètement désertes, jusqu’à la Tierberglihütte, où nous partagerons la tablée avec deux autres cordées, qui nous donnent des renseignements pour le lendemain.

Jour 3, les choses se corsent. Nous partons au lever du soleil pour assurer l’horaire et les deux difficultés majeures de la journée. La première est une ascension de 1200m de D+ d’une traite. Un beau défi sportif que nous réaliserons chacun à notre rythme, et qui nous laissera bien le temps de réfléchir au sens de la vie, et à la mission qui nous a été confiée par l’humanité (ou le Seigneur, c’est selon) sur Terre. Par lâcheté, nous laissons un groupe de 8 alpinistes un rien moins en forme se relayer pour faire la trace. Ils nous offrent ainsi une autoroute de neige damée.  Nous ferons une pause chaque fois que nous nous rapprocherons un petit peu trop du groupe, afin qu’ils ne puissent pas nous proposer de les dépasser. Arrivés là-haut, nous nous trouvons devant la 2ème difficulté du jour. Il faut maintenant redescendre toute la dénivelée a ski, mais la première partie de la descente se fait par une pente courte et très raide. La cordée est consciente qu’il y a un risque que le manteau neigeux ne soit pas suffisamment stable, et est prête à y renoncer si les signaux passent au rouge. Nous nous posons 15 minutes, observons la face, et cherchons une façon de s’assurer que la face ne nous jouera pas de mauvais tour. Une idée nous vient alors. C’est une technique de sécurisation en montagne que nous voulons essayer depuis longtemps : « purger la face ». Nous installons un relais sur un becquet solide de chez solide, et envoyons Dorsan encordé charger le manteau neigeux. Malgré ses sauts appuyés et sa tentative de tout faire partir sous ses lattes, rien ne bouge, la neige est béton, et nous identifions en plus un bel échappatoire 20m plus bas en cas de souci. GO ! La descente est merveilleuse, les pentes sont aussi immaculées que la Sainte-Vierge, et le bonheur est total.

Arrivés au 3ème refuge, nous sommes à nouveau en intimité avec la gardienne. Celle-ci ne parle qu’Allemand, et nous communiquons tant bien que mal avec un mix de Néerlanglais saupoudré d’un accent germanophone. Nous ne comprenons pas tout, mais le courant passe avec la maitresse des lieux. Je crois qu’elle nous aime bien. Alors que je m’éclipse 5 minutes pour sécher nos affaires, notre gardienne s’inquiète de mon absence. « Wo ist die große ?? » s’exclame-t-elle à Damien et Dorsan. Mes deux compagnons de cordée, dont les poids cumulés dépassent à peine celui du mien et de mon sac à dos éclatent de rire. Die Grosse sera désormais mon nouveau surnom en montagne.
« Kann die große mir helfen, den Macron an den tisch zu bringen? ». C’est improbable, nous aurons une seconde fois l’opportunité de déguster ce légendaire Macron compote durant notre traversée.

Le dernier jour sera le plus technique. Alors qu’il ne nous reste qu’une petite dénivelée à grimper, et une longue descente jusqu’au village d’Engelberg qui surplombe la ville ou nous avons garé l’octavia, nous sentons que la température se réchauffe, et qu’il ne faudra pas trainer pour rejoindre la civilisation. C’était sans compter sur une fixation fragilisée de mon ski qui décidera bientôt de m’abandonner. C’est la meeer noirrr… Ni une, ni deux, nous réorganisons la cordée. J’ai la chance d’être accompagné par deux athlètes qui n’hésiteront pas à charger leur sac pour m’alléger. Je m’empresse pour chausser mes crampons, et pars léger dans leurs traces pour rejoindre le sommet. Malgré leur travail de damage, je continue à m’enfoncer jusqu’aux genoux. Mon cœur pompe, ma tête ordonne au reste de mon corps de trouver les dernières molécules de glycogène pour tenir le rythme. Strava m’aurait certainement donné 100% d’effort d’endurance en Z7. C’est bon, nous atteignons le sommet. Nous sommes un rien en retard sur le timing, mais avons tout de même bien limité la casse. Il ne reste plus qu’à descendre ! Bob le bricoleur sort sa caisse à outils, et confectionne une réparation improvisée à l’aide de colsons, tape et corde 1mm (MUST HAVE en expédition). Il ne reste plus qu’à descendre sans tirer sur la fixe. Challenge accepted. Étonnement, ça tient ! le tape ne se déchire qu’à quelques mètres de la route, à cause d’un passage sur un caillou trop peu recouvert par la neige. Rien de grave, il ne reste plus que de la marche de toute façon. Alors que Dorsan relève le défi de terminer cette haute route à pied, Damien et moi prenons de l’avance et sautons dans une navette vers Engelberg. Je pars rechercher la voiture, qui n’a heureusement pas été embarquée pour la fourrière, et nous nous retrouverons bientôt tous les trois dans le village d’Engelberg pour le check final de notre grande traversée. Les visages ont le sourire, nous sommes fiers de nous et comblés par cette belle expé.

Merci Damien de m’avoir fait confiance, et pour la complicité qui s’est installée au cours de cette expé.
Merci Dorsan pour ton accueil toujours aussi généreux, et ta disponibilité en montagne.

C’est une très belle cordée que nous avons formé là, qui a très bien fonctionné, et je ne suis pas prêt d’oublier cette belle aventure vécue tous les trois.

Heureusement, le prochain concert CapExpe n’est plus trop loin!