750 km, dont 300 sur une rivière sinueuse et isolée de tout, la Big Salmon River, le restant sur le puissant fleuve Yukon.
De Quiet Lake à Dawson, été 2022 dans le Yukon.

Récit d’une descente en canoë du Yukon, Canada

Avant de vous narrer les grandes lignes de cette aventure, je vais évoquer les éléments qui nous ont amené à vivre cette expédition, Antoine et moi. Tout à commencé par une descente de l’Allier en France, il y a 3 ans. Antoine m’avait convaincu de pagayer quelque 230 km avec le canoë de son grand-père. Ce canoë en frêne et acajou a nécessité une restauration qui s’est étalée sur plusieurs années, mais le résultat en valait la peine ; nous avons passé de bonnes vacances. Si bien que nous décidâmes de réitérer une expédition de même nature. Il faut dire que ces moments vécus au fil de l’eau sont très apaisants, et ce sport m’apporte une forme d’humilité. Nous voilà donc à évoquer un parcours plus long; pourquoi pas sur les lacs Suédois? Il y a un an de cela, Antoine me demande si la descente du Yukon m’intéresserais. Je dis oui, même si je n’avais jamais entendu parlé ni de cet incroyable fleuve, ni de ce territoire Canadien qui porte son nom. Et puis, avec la fin présumée du Covid 19, j’avais envie de faire un voyage qui me sort de ma zone de confort. Apparemment, Antoine avait fait cette proposition sans savoir si même il y avait des rivières intéressantes dans cette région du globe. Nous apprendrons plus tard que le Yukon est une destination des plus prisées pour les activités de canoë en pleine nature, avec des parcours tels que ceux utilisés lors de la ruée vers l’or des années 1890 et avec la promesse d’observer une faune exceptionnelle ; ours, élan, aigles, etc.

Préparation

Notre itinéraire comprenait 750 km, dont 300 sur une rivière sinueuse et isolée de tout, la Big Salmon River, le restant sur le puissant fleuve Yukon. Et ce dans une région proche du cercle polaire, ou la neige n’est pas exclue en été et où il persiste un risque de se faire croquer par un ours. Nous avions donc quelques appréhensions et une bonne préparation nous semblait indispensable. Avec ma compagne Géraldine, nous avons passé nos soirées d’hiver à regarder des reportages sur la région du Yukon, ainsi que des capsules vidéo sur la navigation en canoë, et enfin les retours d’expériences de l’aventurier Mike Horn. Un collègue m’a enseigné les rudiments et les plaisirs de la pêche à la cuillère, et de nombreuses sorties hivernales en rivières Ardennaises, principalement avec Géraldine qui m’as beaucoup aidé dans la préparation de cette expé, m’ont familiarisé avec le petit canoë que nous nous sommes procuré. Je me sentais prêt pour la difficulté annoncée comme étant un solide classe II+. Antoine se procura une balise GPS de détresse, j’achetai des sous vêtements techniques et nous effectuâmes la réservation pour la location d’un canoë auprès d’une agence yukonnaise.

Le départ, mais sans le sac d’Antoine

Antoine décolla de Paris, moi de Bruxelles. J’arrivai tard le soir à Whitehorse et Antoine pendant la nuit. Mon téléphone ne fonctionnait pas, mais j’ai malgré tout reçu un message de sa part ;  »… Je ne t’ai pas vu au camping ou j’ai dormi sous un arbre comme j’ai pu. Je n’aurais pas mon sac avant ce soir 18h au plus tôt … actuellement au Tim Hortons (coffee shop) du centre ville pour me réchauffer un peu … » J’ai retrouvé mon ami en short et en T-shirt, et il doit beaucoup à son excellente constitution de ne pas être tombé malade avec une température qui flirtait avec les 5 degrés cette nuit d’août 2022. Malheureusement, son sac en soute n’est pas arrivé le jour d’après, et nous prîmes la décision, malgré les réticences d’Antoine, de partir sans son matériel. Nous louâmes donc un sac de couchage, achetâmes un pull, des bottes et un imperméable, 20kg de nourriture et partîmes avec le canoë dans la voiture de l’agence de location. La conductrice, Karine, nous briefa et nous déposa donc au départ de ce périple d’une durée présumée de 18 jours.

Une vie au fil de l’eau

Malgré seulement 5-6 heures de pagayage quotidien, les journées sont terriblement remplies. Nous faisons du feu trois fois par jour pour cuisiner et nous réchauffer, et nous apprenons le comportement adéquat pour éviter d’attirer les ours. Nos spray répulsifs au poivre nous permettent de dormir sur nos deux oreilles. La Big Salmon est un régal, un magnifique terrain de jeu ou l’on passe d’énormes barrages fait de piles de troncs d’arbre. De jolis rapides alternent avec des méandres plus calmes. Antoine et moi apprenons à vivre à deux, une division des tâches s’opère naturellement selon les affinités respectives. Nous n’avons croisé personne durant les 6 jours requis pour rejoindre le fleuve Yukon, mais nous avons eu la chance de contempler des élans, des aigles à têtes blanches et des saumons qui remontent le courant. L’arrivée à l’embouchure du Yukon et de la Big Salmon m’a fait un gros choc sur le moment : il en était fini de notre petite rivière rien qu’à nous. D’autres canoës fréquentent cet immense fleuve, pour lequel la navigation s’avère beaucoup moins technique, voire même quelque peu répétitive. Les dix premiers jours, mes seules pauses consistent en ces moments passés à pêcher, du moins à essayer de pêcher. Ce contact avec la rivière et les poissons qu’elle hébergent me fascine et me relaxe. Par après, la routine s’installe et laisse la place à d’autres activités, tels que la lecture ou l’écriture de ces quelques lignes qui donnent une idée de l’état d’esprit du moment :

18/08/2022 Ne faire qu’un avec le fleuve, tanguer même sur la terre ferme, manger le poisson de la rivière, se laver dans cette dernière, cuisiner avec son eau.
19/08/2022 10ème jour, 420 km. Je prends le temps d’écrire quelques lignes. Nous avons dormi 10h et sommes donc reposés. La météo ne cesse d’être clémente, même si le feu qui réchauffe mes pieds est bienvenu.
Le lendemain, Antoine à réalisé un mat à partir de monceaux de bois et la bâche de notre tarp a fait office de voile. Ce fut très efficace malgré le peu de vent, mais je me lasse assez vite de ce type de navigation beaucoup moins physique que le fait de pagayer ensemble.

Nous avons rejoint notre destination, Dawson City, après 14 jours de navigation. Nous avons croisé quelques familles avec enfants ainsi que quelques couples de personnes âgées qui descendaient le Yukon. Antoine et moi n’étions d’ailleurs pas les plus rapides, mais je pense pouvoir dire que nous étions les mieux loti en termes de quantité et de qualité de nourriture. Notre mot d’ordre fut en effet de n’avoir aucune restriction sur l’alimentation. Sur ce point, nous avons respecté la doctrine de Dan Maclean (Paddling the Yukon river and its tributaires), qui termine ses conseils par la phrase suivante  »red lentil beans cook in five minutes and have fun ». Pour terminer, une info sur le coût de l’expédition : la vie au Yukon étant plus élevée, nous avons dépensé quelque 3000 EUR par personne, en comptant le billet d’avion

Jonathan