Après le Maroc en Stop, les deux auto-stoppeurs Max et Rod, se lancent le long des routes du Caucase!

Deux semaines à sillonner les paysages de la Géorgie et l’Azerbaïdjan mais aussi de rencontres et découvertes assurées tout au long du chemin.

Puis enfin, un bon bol d’aire au sommet du Mont Kazbek, perché à 5, 033 mètres de splendeur !

… Au final rien de tout cela auras eu lieux …

Une aventure unique et tout a fait improvisée c’est offerte a nous.
Vive les bienfaits de l’autostop !!

Récit:

Nouvelles d’Azerbaïdjan : Un Espace entre les Empires

 

Une transition

Le soleil se lève. Les Montagnes apparaissent.

Devant nous, la plaine s’étend à l’infini terminant son chemin, au loin, sous le miroir noir de la Caspienne. Il y a 2.500 ans, Hérodote y référait déjà comme « la plaine immense qui s’étend à perte de vue ». Nous y voici.

Cette terre sèche dont parlait Hérodote s’étale à présent sous nos yeux.

Loin au Nord, se dresse la majestueuse barrière montagneuse du Caucase. Ce rempart est si imposant qu’on croirait y entendre le rugissement d’un tsunami de roches et de glaces qui déferle en notre direction.

Entre nous et les montages, les anciennes industries Soviétiques ont des airs de somnolences perpétuelles. Cela fait bien des années que leurs grands squelettes métalliques n’ont plus rugis. Nous admirons en silence cette scène de chaos et de grandeur.

Cheveux aux vents, le torse bombé, nous scrutons la camionnette bringuebalante qui vient de nous jeter sur le bord de la route. Elle s’éloigne. En à peine quelques secondes elle disparait à l’horizon et nous nous retrouvons seul.

Absolument seul, dans ces plaines verdoyantes qui bordent le Caucase. C’est évidement avec un sourire radieux que nous vivons ces instants, car c’est un long voyage qui commence …

 

Boston Place  

Quelques mois plus tôt, dans ma petite maison sur la Boston Place à Londres, je regarde fiévreusement mes piles de feuilles « flash cards » de vocabulaire d’Arabe. En fait, je commence à me rendre compte que cette langue (donc mes études aussi) commence sérieusement à me taper sur le système. Je ne mange plus, ne dors plus. Tout est horrible autour de moi. Cette ville pue, tout me parait immonde, je me sent misérable. Ma voisine est laide, mes profs sont cons et même la musique finit par me rendre sourd. Signification : « S.O.S Baroudeur en manque de route », là il faut intervenir rapidement avant rupture totale ! J’appelle Max ;

Visiblement va pas beaucoup mieux.

On regarde les tickets les moins chers : GÉORGIE. Yallah on se taille.

C’est bon, le mécanisme d’assainissement de l’esprit est enclenché ! Ouf on souffle, on achète des cartes topographiques, on se documente sur la région, on planifie l’ascension du Mont Kazbek à 5.000m d’altitude, en bref on recommence à respirer. L’environnement sociétal qui nous entoure, nous paraît à nouveau abordable.

 

Tentative de corruption

Après quelques heures de route, nous arrivons enfin à la frontière entre la Géorgie et l’Azerbaïdjan. Nous marchons dans le no-mansland, avec dans nos dos la frontière Géorgienne, qui ressemble somme toute à un poste frontalier normal. Par contre en face, le poste frontalier Azéri nous fait penser à une façade de boite de nuit de mauvaise fréquentation, que l’on trouve généralement en bord de route secondaire. Il n’y manque plus que les néons roses colorés et clignotants pour encadrer les drapeaux nationaux Azéri…

Il faut l’avouer, nous sommes les seules touristes à la ronde, ce qui provoque des regards amusés. Et nous voilà plantés devant les officiers des douanes Azéri, qui nous dévisagent avec un air limite inquiétant, alors que nous, nous affichons des sourires aux allures bêtas, essayant maladroitement de nous donner des aires de braves hommes. Et évidement ce qui devait arriver arriva, ils nous prennent nos passeports, nous ordonnent de nous asseoir en nous déglutinant « problem problem ». Autant se le dire ; ça pue !

Nous nous installons donc, toujours avec nos allures de braves types innocents. Le temps passe ; 20 minutes, une demi-heure… Le poste frontière est vide, il n’y a pas un chat. Les officiers quant à eux, nous scrutent de loin. Ils semblent attendre quelque chose. On commence à comprendre qu’ils veulent un pourboire pour accélérer la « démarche administrative ». Max me murmure, « ils n’auront pas un rond de notre part ! ». Nous finissons par sortir nos livres, en jetant nos pieds bruyamment sur la table, pour leurs offrir une image d’indifférence bien provocatrice. Plus tard un soldat vient discuter avec nous, et fini par aborder des sujets de littérature Russe, notamment de Tolstoï, que Max était justement en train de lire. Rapidement les officiers reviennent, disent au soldat dans une déblatération gluturale de foutre le camp. Suite à cela, ils nous rendent nos passeports dument tamponnés et nous crachent comme des insectes hors du poste frontière.

Check ! première frontière terrestre traversée, et ce ne sera pas la dernière de ce voyage…

 

Le trafiquant d’armes

A peine après avoir traversé la frontière Azérie, nous voilà à nouveau en bord de route, avec les pouces tendus vers le ciel. Suite à une courte attente, une grosse berline noire, immatriculée en Russie s’arrête devant nous. Un type assez jeune sort de la voiture et nous propose de monter à bord. Nous, comme d’habitude on se lance plein de bonne confiance, sans se poser trop de questions.

Le premier transfert houleux de valises du coffre de la voiture à celui d’une autre voiture, juste derrière la frontière, aurait dû nous mettre la puce à l’oreille. Mais n’ayant pratiquement pas dormi la nuit précédente, il faut avouer que nous n’étions pas au top de notre très fin potentiel de réactivité.

Les choses ont commencé à se gâter quand notre chauffeur nous explique qu’il roule quasi non-stop depuis Moscou car il doit impérativement rejoindre Ganca avant midi pour rejoindre du monde. Première question innocente : comment ce brave homme a-t-il pu conduire sur une si longue distance avec si peu de repos ? Deuxième question encore plus innocente que doit-il livrer à ses copains à Ganca ? Concernant la première question, nous avons vite eu la réponse. Alors que notre ami commençait à s’endormir au volant, il s’est arrêté pour disparaitre derrière un muret en bord de route.

Quand il est réapparu devant la voiture avec une tronche d’ahuri où exorbitait tout le possible et l’imaginable des orifices faciaux du bonhomme, nous avions vite compris comment il avait affronté la fatigue depuis Moscou. Conclusion on a pas envie de connaitre la réponse à la deuxième question, et il faut vite se tirer de cette mauvaise enroule… Je ne sais plus exactement quelle excuse nous avons inventée, mais dans le quart d ’heure nous étions sorti de la voiture et à nouveau les pouces tendus en bord … d’autoroute…

 

Le Karabakh – Conflit contre l’Arménie

Dans la région de Ganca, nous sommes pris par un petit camion, puis par un autre. Les locaux sont très sympathiques. Plus nous progressons vers Baku, plus la terre est aride. Vu qu’on est crevé nos chauffeurs nous laissent dormir pendant les longues heures de trajet

Sur la route vers Baku, nous longeons les hauteurs du Nagorno-Karabakh. Notre chauffeur, qui s’appelait Nemet m’explique que ces hauteurs sont théoriquement Azérie, mais qu’aujourd’hui elles sont sous contrôle Arménien. En fait il y a toujours eu une majorité d’Arméniens dans le Karabakh. Seulement quand la région était sous domination soviétique, Staline appliquait la politique du « divisé pour régner », tout comme de nombreuses autres puissances de l’époque. En appliquant cette politique, les autorités Soviétiques ont durant les années 20, administrativement rattaché le Karabakh à la province Soviet d’Azerbaïdjan. Résultat, à la chute de l’Union Soviétique en 1989 l’Azerbaïdjan entrainât dans son indépendance les collines du Karabakh, absorbant par la même occasion ses habitants Arméniens.

Instantanément, en 1989, le conseil local du Karabakh vota l’indépendance de l’Azerbaïdjan et son rattachement à l’Arménie. Ce qui provoqua l’intervention de l’armée Arménienne qui mena les combats aux cotés des milices locales arméniennes. Progressivement, les troupes arméniennes occupèrent le Karabakhau détriment des défenseurs Azéris qui étaient pourtant assistés pas des Officiers turcs. Le conflit sanglant qui s’en suivit, dura jusqu’en 1994 et coûta la vie à plus de 30.000 civils. En 1994, l’Arménie et l’Azerbaïdjan s’accordent sur un cessez-le-feu. La ligne de cessez-le-feu établie en 1994 est toujours en application aujourd’hui.

Alors que Nemet nous raconte tout cela, nous réalisons tout doucement que le Caucase est une région-carrefour, située entre trois grandes puissances historiques, qui ont toutes laissé une trace profonde dans la culture Azérie. Premièrement, au nord, la puissance de tradition slave (russes) qui y a laissé une empreinte sociale via le modèle de gouvernance communiste. Deuxièmement, au sud-est la Perse (Iran) qui y a laissé la religion musulmane du courant Chiite (culte majoritaire pratiquée en Azerbaïdjan). Et troisièmement, au sud-ouest, les Turcs (longtemps empire Ottoman) qui y laisserons une empreinte linguistique et culturelle dans la société azérie. La localisation géographique de l’Azerbaïdjan, implique un entrecroisement culturel et ethnique, qui trop souvent entrainera les Caucasiens à se taper dessus. Par ailleurs, conflits et tensions interethniques perdurent à nos jours et nous le réaliserons durant la suite de notre voyage.

 

Percée vers Baku et tensions avec l’Iran

Comme nous venions de l’entendre, même si l’Azerbaïdjan semble être toujours profondément imprégné de l’influence des pays qui l’entourent il n’entretient pas pour autant de bonnes relations avec ses pays voisins. Au Nord de Shirvan nous sommes pris en stop par Tahir, qui habite à Lankharan, à quelques kilomètres de la frontière avec l’Iran. Il nous explique que son pays n’est pas en très bons termes avec l’Iran, car 30 millions d’azéris habitent au nord-ouest de l’Iran et constituent donc un groupe minoritaire dans la mosaïque des peuples qui habitent l’Iran[1]. Tahir nous affirme que ses frères Azéris d’Iran sont persécutés par le régime des Ayatollahs et que pour cause, les Azéris éprouvent un certain sentiment de haine vis-à-vis des iraniens. Ce sentiment sera confirmé par de nombreux chauffeurs durant notre périple. Une autre chose qui nous interpelle dans les faits ; la majorité de la ‘nation Azérie’ se trouveraient alors en Iran, et non en Azerbaïdjan. Car en effet, la population de l’Azerbaïdjan s’élève à 10 millions d’individus, contre les 30 millions de congénères-ethniques qui sont en Iran

Par ailleurs, je suis surpris, car sachant que la religion-majoritaire du pays était le courant Chiite de
l’Islam, je m’attendais à trouver une influence politique Iranienne prépondérante. A la place je découvre que c’est la Turquie qui essaye d’avoir le grappin sur le pays. En effet, les incursions politique, financière et culturelle de l’état Turc s’y ressente fortement. Beaucoup d’ONG Turcs sont présentes dans le pays et s’y affichent avec leurs drapeaux rouges à croissant et étoile argentés. C’est probablement dû au revirement de politique étrangère d’Ouest en Est qui est opéré depuis plusieurs années par le Président Erdogan. Il faut préciser que la langue Azérie est une langue Turcophone, tout comme les langues nationales des pays de l’ouest de l’Asie Centrale (Turkménistan, Ouzbékistan). C’est pourquoi dans le cadre de la politique de revirement diplomatique vers l’Est, la Turquie tente de rétablir une position de leadership dans le Caucase et en Asie Centrale sur base de sa proximité linguistique avec ces régions. J’en observais enfin la preuve sur le terrain.

 

La Mer Caspienne et la face cachée du Régime

Ici personne ne critique le président Aliyev qui règne en absolu depuis plus de 15 ans. Même si on n’en parle pas beaucoup en Occident, le Président Aliyev a une réputation de dictateur intransigeant. Il est vrai que nous avons pu admirer des portraits gigantesques du Président partout sur notre chemin. Nous ne nous sommes pourtant pas spécialement sentis dans un État autoritaire ni même dans un État sécuritaire.  On trouve même que les gens à la campagne semblent heureux. Les routes et autres infrastructures publiques sont modernes et entretenues au peigne fin. Nous sommes aussi en admiration devant les nombreux employés publics qui entretiennent les bords de routes, notamment en ramassant les déchets. Mais rapidement nous allons découvrir que toute cette propreté et modernité affichée sur l’avant de la scène, n’est qu’une façade qui voile une triste réalité.

Un objectif de notre voyage, avant d’entamer l’ascension du Mont Kazbek en Géorgie, était de tremper nos pattes dans la Mer Caspienne. Mais étrangement, à la hauteur de Qobustan la route qui serpentait le long de la Mer, en était séparée sur toute sa longueur par un mur bétonné qui rendait son accès impossible. Plus loin, nous profitons d’une brèche dans le mur pour pouvoir pénétrer de l’autre côté du mur, vers la côte. Et là c’est l’épouvante. Depuis l’endroit où nous nous situons, jusqu’à la Mer, il y a environ deux kilomètres d’étendues vaseuses et marécageuses. Seulement, sur cette vaste étendue sont échoués les milliers de déchets industriels et plastiques. Les immondices et autres misères humaines s’étendent à perte de vue pour aller s’engouffrer directement dans la Mer Caspienne. Impossible de savoir si les déchets sont abandonnés ici ou bien s’ils sont entrainés par les courants marins jusqu’aux côtes Azérie.

Alors que le côté intérieur du mur nous montrait un pays propre et moderne, nous découvrons de ce côté-ci une autre réalité de l’Azerbaïdjan. Une réalité bien contenue et endiguée par le Régime. Ces différentes facettes du pays, nous les retrouverons tout au long du voyage …

Nous marchons un peu au milieu des décombres. Au loin à l’horizon, sur la mer, nous voyons les gigantesques stations d’exploitation de gaz et de pétrole, qui crachent une fumée noire, telles des épaves de cuirassiers à la dérive. Nous faisons demi-tour avant même d’avoir atteint la Mer, nous en avons assez vu. C’est épouvantable de voir à quel point l’être humain peut être dégueulasse.

 

Un état rentier

Dans les faubourgs de Baku nous longeons des kilomètres de murs, qui bordent les deux extrémités du boulevard. Derrière ces murs, nous observons des sommets de maisons, pour ne pas dire des sommets de palais. Ces résidences luxueuses, toutes plus kitchs les unes que les autres, reflètent un clash profond entre une société dominée par les Oligarques enfermés dans leurs compounds de mauvais goûts et les gens des campagnes qui vivent dans des conditions beaucoup plus précaires. Même s’il faut avouer que les gens des campagnes semblent tout à fait heureux, les contrastes entre les classes sociales et aussi entre le monde rural et le monde urbain de Baku sont frappants.

À vrai dire, plus j’en vois, plus j’identifie des caractéristiques typiques d’un État-rentier, qui possède une économie tout à fait asymétrique, complétement dépendante des revenus liés à l’exploitation du pétrole et le gaz. C’est un phénomène que j’ai déjà souvent observé au Moyen-Orient. En d’autres termes, ce type d’économie résulte souvent en l’établissement d’un « contrat social » implicite, où le peuple accepte de se plier au régime contrôlé par les Élite nationales (dans ce cas-ci le régime oligarchique du Président Aliyev), cela en échange d’investissements en toutes sortes d’infrastructures publiques, divertissements et autres subsides destinés au peuple. Ces bénéfices dédiés au peuple sont évidemment financés grâce aux revenus issu de l’exploitation des matières premières. Cependant, malgré le fait que le pays donne une image de développement accéléré et de croissance économique florissante et équilibrée, ces systèmes économiques comportent des failles majeures. Par exemple ce type de développement associe automatiquement l’émergence d’une clique d’élite économique (capitalisme chronique), proche du régime, pour ne pas dire qu’ils sucent le pouvoir telles des sangsues baignant dans la corruption à grande échelle. De plus, ces systèmes économique et social sont aussi limités dans leurs capacités à développer des produits finis. Ce genre d’économie pourrait être comparé à un gros cake, dont le glaçage sucré est luisant et superbe mais dont le contenu intérieur est pourri jusqu’en son centre.

Les rues de Baku reflètent bien le phénomène de « sur-fait » produit par l’économie de l’or noir.A commencer par les innombrables fontaines (nous sommes en pleine zone ultra-aride !). Aussi, sur le littoral de Baku, nous croisons un Oeil de Londres miniature, une réplique de l’Opéra de Sydney et les  pharamineuses ‘tours de flammes’ accompagnées d’un gigantesque drapeau Azéri, qui snobe le reste de la ville. C’est sans parler des boulevards Haussemaniens qui se donne des allures Parisiens. Avec Max, en nous approchant de ces somptueuses façades jaunâtres, nous découvrons des morceaux entiers de fausses pierres de craie, qui se sont décrochés par gros blocs, pour laisser à découvert les matériaux de mauvaises fabrications, composés de dalles en béton moisie et de ferrailles rouillées. Toutes ces superbes conceptions, nous le réaliserons vite, ne sont que des camouflages, qui en réalité recouvrent des bâtiments aux structures pourries, construites à la va-vite et commençant déjà à s’effriter. Ceci, sans parler des gigantesques projets urbains de mega-cities et autres centres financiers, qui n’ont jamais été terminés, aujourd’hui leurs sombres squelettes d’aciers hantent les côtes de la Caspienne.

  

 

Les délices de Baku

Le centre de Baku est quant à lui beaucoup plus intéressant. Classé au patrimoine mondial de l’UNESCO, ce superbe centre moyenâgeux est un refuge au milieu du kitchissime de la ville moderne aux alentours. Dans un restaurant dans le centre de Baku, nous rencontrons Ruxana qui veut bien nous parler de l’histoire de sa ville.

Une fois de plus nous réalisons à quel point les grands empires régionaux se sont disputés ces terres arides. En 1191, la ville antique dénomée Samaxi, qui se situait à l’emplacement actuelle de Baku fut démolie par un violent tremblement de terre. Suite à cela, une période de troubles s’est abattu sur la région due aux nombreuses incursions Mongoles et Timourides dans la région du Caucase. La ville ne reprit son essor qu’au XVème siècle sous la domination de la Dynastie des Sirvan.

En 1501 les Sirvans sont chassés par les Perses, menés pas le Shah Ismail Ier. Ce sont les Perses qui implanteront le Chiisme, remplaçant le Sunnisme qui y était jusqu’à lors implanté à Baku. Deux siècles plus tard, les troupes de Pierre le Grand (Russes) font leurs entrées dans Baku, chassant à leurs tours les Perses. Ces jeux de passe-passe de pouvoirs sur Baku, entre Empire Russes et Empire Perse auront lieu jusqu’à la Première Guerre Mondiale ou la Sublime Porte finis à son tour, par mettre la main sur Baku. En 1918, l’Azerbaïdjan devient pour la première fois indépendante dans le contexte de la chute de l’Empire Ottoman. Mais à peine deux ans plus tard, l’Armée Rouge fait son entrée à Baku, pour ne l’évacuer qu’à la chute de l’Union Soviétique. Depuis lors l’Azerbaïdjan est à nouveau indépendant, avec Baku comme capitale. L’histoire de Baku reflète très bien la succession d’empires et puissances avoisinantes qui ont traversé les terres du Caucase.

 

La planque des truands

 Nous marchons en admirant les petites ruelles du centre historique de Baku, qui serpentent dans toutes les directions, pour finalement converger vers la porte Nord du rempart qui ceinture le centre-ville. Nous nous dirigeons vers un studio que nous avons déniché pour pas cher.

Arrivés à destination, nous empruntons un porche sombre qui donne accès à une cour intérieure. De là il faut grimper une ribambelle d’escaliers métalliques. Arrivé à mi-chemin de l’escalier je me rends compte que chacun de mes pas fait vaciller toute la structure de l’escalier de haut en bas …

Notre piaule était évidemment tout en haut du pseudo-immeuble Haussmannien. Arrivé à l’intérieur on se sent comme chez soi. Étant au dernier étage l’appartement avait l’avantage d’être bien ensoleillé.  Cuisine en longueur bien usée et graisseuse. Vieux bureau contre un papier peint dégelant du mur. Sans parler de la salle de bain où la douche est prise à croupis, avec un pied dans le cabinet et l’autre pied dans l’évier. En fin de compte cet appart a du charme et je trouve qu’il ressemble à une planque de truands.

Nous passons notre soirée sur la terrasse, en admirant les nuages du soir qui dansent aux allures sanguines et reflets bleus-gris. L’air se rafraichit et une brise de la Caspienne se lève, j’en profite pour allumer un cigare. Alors que le monde entier continue à tourner autour de nous, guerres, pleurs, joies et émerveillements. Nous, nous sommes simplement là. Le regard rivé vers le ciel, captivés par ce soleil qui se couche sur les toits émeraudes de Baku.

                                            

Le Salafiste

Entre Baku et Qalaciq nous nous retrouvons dans la voiture d’un Sunnite du courant Salafist qui revenait tout juste d’Arabie Saoudite où il avait suivi le ramadan. Il nous explique que les locaux ne sont plus religieux en Azerbaïdjan. Plus personne n’est pratiquant et cela le désole. Il nous affirme aussi que tout le monde se dit Chiite même si selon lui, à l’époque, les habitants de cette partie du Caucase étaient en réalité Sunnites.

– Nos pères nous ont dit que nous étions Chiites et nous les jeunes, nous nous sommes donc tous identifiés comme étant Chiites ».

Il affirmait que tout le monde avait oublié que dans des temps anciens ils étaient tous Sunnites avant de se reconvertir au Chiisme.  Il ajoute aussi que dans la société Azéri actuelle, le culte n’était plus qu’une construction idéologique et identitaire fermentée par le Régime. Or, dans la vie de tous les jours la religion n’avait plus beaucoup d’importance. Ceci est probablement une conséquence de la politique antireligieuse qui fut imposée durant de nombreuses années par l’Union Soviétique. Il est vrai que nous n’avons pas entendu de Muezzine, ni vu de symboles religieux durant notre traversée du pays.

Durant le long trajet en sa compagnie, nous discutons beaucoup de la religion et en particulier de l’Islam. J’en profite pour lui poser des questions sur l’Arabe Classique, que j’apprends en intensif depuis un an à l’école du Moyen-Orient à Londres. Quand le soir pointât son nez, notre nouvel ami sorti son casse-croute qu’il pouvait enfin manger après une journée de jeûne. Mais réalisant que nous n’avions pas prévu de diner, il nous donne la moitié de son repas pour que nous ayons quelque chose à nous mettre sous la dent. On réalisait à cet instant que ce type était juste vraiment un bon musulman, muni de valeurs humaines qui lui avaient été inculquées en partie par sa religion.

  

Montagnes

J’ouvre les yeux. Un écran bleu pur et profond me fait face. Les rayons du soleil commencent à prendre du terrain sur les cimes des montagnes.

Ces sommets rocheux reflètent les milles et unes lumières de l’aube, avec des notes brunes, oranges et bleuâtres des neiges éternelles. Tout cela fait contraste avec la végétation, plus bas, dans le fond de la vallée qui est verte et sombre, nichée dans l’ombre des versants nord montagneux.

Le chant des oiseaux matinaux est lui-même bercé par le doux mouvement de l’eau qui se déverse le long de la rivière qui gronde à quelques mètres de nous. Max dort encore à point fermé. Nous avons eu froid cette nuit.

Mais quel spectacle au réveil.

J’aime me réveiller en pleine nature. A même le sol, avec comme seul plafond, la toile céleste qui fait office de toit du monde. Le paysage se découvre, les rongeurs curieux viennent observer ces deux bonshommes qui dorment paisiblement au milieu de la caillasse. La température augmente au fur et à mesure que le soleil effectue son ascension dans le ciel.

La journée commence. Le compte à rebours est lancé. Mais nous attendons.

En une fraction de seconde, depuis les crêtes montagneuses, les rayons du soleil se manifestent à nous, en venant nous lécher le visage de leurs photons réchauffant. Petit à petit, nos corps engourdis par la fraicheur nocturne, se réchauffent dans nos sacs de couchages. C’est le moment de se mettre en mouvance.

Après quelque temps, Max marche au loin devant moi sur une route qui serpente le long de la rivière. Je marche en silence. Dans le fond de la vallée, les sommets imposants du Caucase naviguent au milieu des nuages.  J’ai le sentiment que cela va être une belle journée.

 

Dans la ville des Khans

Sur notre route qui longe le Caucase nous décidons de nous arrêter à Saki. C’est une ville qui es perchée dans un haut de vallée, et qui a pendant longtemps été un carrefour caravanier entre Tbilissi, Bakuet Derbent.

Nous montons jusqu’à la forteresse de Nukha, qui en son centre héberge encore toujours un palais du 18ème siècle, où le Khan local, accompagné de sa Cour  régnait en souverain.  Je suis émerveillé par les deux gigantesques arbres qui flanquent le palais. Ces arbres ont été plantés en 1530, il y a 488 ans… Cela m’amuse de penser qu’en 1700, quand les Khans se promenaient avec leurs suites dans les jardins du palais, ils pouvaient déjà admirer ces deux arbres qui à l’époque devaient faire un quart de leur taille actuelle !

Dans l’intérieur du palais nous pouvons aussi admirer des superbes fresques centenaires. Elles représentaient pour la plupart, des scènes héroïques de la bataille de Haci Celebi’s en 1743, qui opposât l’armée du Khan à celle de l’Empereur Perse, Nader Shah.

A nouveau, je suis impressionné de voir toutes les nations qui sont passées par ici. Sur les fresques je vois des guerriers et des mercenaires Mongoles chevauchants leurs petits chevaux nerveux chargeant l’infanterie Perse. Eux-mêmes sous le feu des canons Cosaques, sur une autre fresque. Plus loin, la cavalerie Tatare battant le fer contre les Seldjoukides ou encore contre des guerriers mythiques de la Horde d’Or…

Ces plaines du Caucase ont visiblement vraiment été la scène d’un brassage des civilisations de toute l’Eurasie et le Moyen-Orient moyenâgeux.

 

Les Tchéchènes

L’Azerbaijan héberge aussi de nombreux réfugiés tchétchènes avec leurs descendances. Dans le village de Kebeloba qui est habités par ces tchétchènes d’Azerbaïdjan, que nous rencontrerons avant de repasser la frontière au nord-ouest, vers la Géorgie. Nous rencontrons donc plusieurs anciens réfugiés du conflit sanglant qui éclatait il y a quelques années contre Moscou

Ils nous expliquent que leurs parents ont dû fuir les atrocités de la guerre. Ici en Azerbaïdjan ils ont été accueillis. J’avais toujours eu l’image des Tchéchènes, comme étant des gens peu raffinés … Je dois avouer qu’on a été très bien accueilli, ils étaient tous très souriants et très aidants.

D’autres nous racontent que maintenant, au nord, les relations sont cordiales entre l’Azerbaïdjan et l’ourse russe. Même si plusieurs chauffeurs nous ont fait part de leurs méfiances vis-à-vis de la Russie, ce qui est probablement dû à l’indépendance récente du pays de l’Union Soviétique et surtout dû aux ambitions post-impérialistes mise en avant par Vladimir Poutine, notamment récemment en Géorgie avec l’intervention de l’armée Russe en Ossétie du Sud et en Abkhazie. L’État Azéri essaye de maintenir des relations cordiales avec son voisin Russe.

 

CCL Azerbaïdjan

Et voilà une belle étape de notre voyage qui se termine. Nous faisons face à la frontière qui est toujours aussi kitsch qu’à l’entrée dans le pays. Même si l’allure feutrée de ce poste douanier Azéri nous suggère une fois de plus, les asymétries sociétales criantes du pays, on peut tout de même très simplement résumer que nous avons adoré l’Azerbaïdjan. Un pays avec une histoire chargée, une belle culture. Des paysages variés et délicieux. Et les Azéris vraiment très accueillants.

À présent, nous marchons à deux dans le no-mansland en direction de la Géorgie. Face à nous le couché du soleil en est à ces premiers instants. Au bout de la route une voiture Lada est garée en bord de route avec un vieillard qui nous propose de nous lifter plus loin dans les terres Géorgiennes.

L’aventure continue, si seulement nous savions en ces instants vers quelle épopée nous étions en train de nous lancer.

 

Franz Westervlier

Bruxelles, Mars 20.

 

 

Note

[1] Pas trouvé de sources fiables quant aux 30 millions d’Azéri résidant en Iran, mais on peut affirmer avec certitude que la minorité Azérie est nombreuse dans les territoires nord-ouest de l’Iran.