Une expé qui aurait pu mal tourner

dscn1854Ma mémoire me rappelle à l’ordre quant à l’urgence d’écrire quelques mots au sujet de l’expé “escalade alpinisme en haute montagne à Chamonix Ailefroide” en juin.

Donc, nous étions deux au départ, Laurent et moi-même.

Comme le titre l’indique, on a commencé par changer de destination. Ce qui aurait pu être une excellente idée, si on avait choisi les îles Canaries…

J1 – Nous voici donc, sous la bruine, vérifiant les principes de la géométrie projective sur l’interminable moraine du glacier noir.

Edification de l’hôtel Ferrino, qui restera en place 4 jours. Le temps se dégage.

Notre guide de voyage nous suggère une course de mise en jambes (!), non loin de l’hôtel: Pilier S de la Barre Noire.

Si ce récit convainc nos aimables lecteurs, de ne jamais envisager cette course à leur tour, nous aurons la satisfaction d’avoir apporté notre modeste aide à quelques amis alpinistes…

J2 – Le lendemain, dans la nuit noire, nous cherchons vainement la trace au travers d’un pierrier sans fin, quasi-vertical, que dis-je, surplombant (comme la majorité des pierriers), avec en ligne de mire la coïncidence entre un bout de papier et un tas de cailloux jugé plus ou moins grimpable.

Il se trouve que le tas de cailloux en question ressemblait à s’y méprendre à un gâteau consciencieusement saupoudré de sucre glace, à supposer que le sucre glace soit très froid et tout à fait glissant, et le gâteau énorme et très très dur pour les dents…Et nous en avons bouffé, du gâteau…

En principe, les rochers sont faits pour grimper et les patinoires pour glisser, mais quelque chose ce jour là – la rencontre entre une certaine météo et un choix un peu crétin – a provoqué un mélange des genres, le tout bien sûr agrémenté de protections aléatoires, si pas inexistantes, de topo illisible, de brouillard qui s’en mêle, et de cailloux qui ne tiennent pas du tout…Bref, c’était pas du gâteau. Et on a vraiment pas du tout rigolé.

Si bien qu’après deux cents mètres, on a sonné la retraite. Echappée en rappel, puis descente pressée d’un couloir sinistre et encaissé au pied de la face S des Ecrins.

En arrivant à la tente, on a eu comme une grosse envie de revoir les arbres, les oiseaux et les mouches. Descente précipitée vers un monde moins hostile…

J3 – Remontée au camp avancé, regonflés à bloc, en divorce avec les courses de rocher.

J4 – Grosse dose de panade (Cérélac, à conseiller pour les réveils matinaux en montagne. Prenez la formule “de 4 mois à 1 an”), départ au turbo vers le glacier Noir.

A 7h30, nous débouchons au sommet du couloir du Coup de Sabre. Course magique, effectuée dans des conditions parfaites, en tout sérénité. Gestes naturels, entente parfaite.Etat de grâce, plaisir à la mesure de la peur de l’avant-veille. Puis nous nous asseyons sur un cailloux, en plein vent, avant d’avaler la descente vers le Sélé.

J5 – Réconciliés avec l’alpinisme, nous partons au petit matin vers un autre sommet, le Pic Coolidge, sentinelle plantée en plein centre du glacier Noir. La face nord-est se compose d’un ressaut rocheux de 250 mètres, puis d’une longue pente de neige, et finalement d’un ressaut terminal, plus court, surmonté d’une gigantesque corniche de neige. L’itinéraire nous semble évident jusqu’à la corniche. Après, on évite d’y penser…

J’aborde la première longueur, rien de difficile. Mes chaussures sont usées à la corde, je suis mal à l’aise et j’ai l’impression de grimper sur deux boîtes de conserve.Car nous avions choisi de grimper en grosses. Histoire de marquer notre virilité en jouant les durs. Bien sûr, à ce moment, j’aurais donné n’importe quoi pour avoir mes chaussons…

Cette ambiance seraine ne pouvant durer, nous fûmes surpris par une salve de météorites, originaires d’une galaxie quelque part loin au-dessus de nous, et qui avait heureusement choisi pour cible le pilier voisin. Le soleil s’intensifiant, cela se transforma en véritable bombardement. On entendait, des secondes à l’avance, les sifflements des projectiles déchirer l’espace-temps, avant d’exploser dans d’atroces souffrances en heurtant le pilier de plein fouet. Il fut un moment où l’air était à ce point chargé de poussière que je ne voyais plus mon compagnon de cordée. Stop, c’est vrai, là j’en fais un peu trop.Cependant, je ne déformerai pas la réalité en affirmant qu’on avait assez froid dans le dos.

A midi, enfin, nous sortons du ressaut rocheux, soulagés. Midi, c’est bien tard pour attaquer une pente de neige pareille, mais il nous semblait improbable de descendre le ressaut rocheux, et la sortie par le haut semblait tellement plus évidente.

La neige ramollie nous a demandé la plus grande attention, je nous voyais glisser à chaque pas, dévaler la pente et sauter les 250 mètres de falaise…

Assailli depuis le matin par d’incessantes pensées morbides, serré par la peur, j’avoue ne pas avoir profité un seul instant de cette course, si ce n’est peut-être en photographiant les petites fleurs bleues du deuxième relais.

Quand j’ai proposé à Laurent de passer la nuit sur un bout de rocher pour attendre des meilleures conditions de gel, il a changé de couleur, ses yeux sont sortis de leurs orbites et ses cheveux se sont dressés sur sa tête. Je crois bien qu’il n’appréciait pas trop cette idée.

Finalement, on est sortis à grands renforts de piolets, pitons, et broches, dans la glace, la neige et le rocher pourri. J’ai vécu l’arrivée sur l’arête comme l’accueil dans un autre monde. Toute la tension s’est évanouie, d’un seul coup.Le paysage était grandiose, la montagne délaissée à cette heure. La voie de descente nous est apparue si évidente… Nous sommes retournés vers les petits oiseaux.

Ces situations nous ont amené à formuler beaucoup de questions. Nous avons passé beaucoup de temps à philosopher sur nos motivations, à partager nos impressions.

J’étais parti, une fois de plus, avec un élan naïf, une motivation aveugle devant ces grandes parois.

Quelles raisons nous poussent-elles à grimper sur les montagnes? Qu’y cherchons nous?

Plusieurs fois, il m’est apparu comme probable – même très faiblement – que nous puissions, peut-être, ne jamais rentrer. Cette idée m’est absolument insupportable. L’idée de jouer à la roulette russe ne m’inspire que de la peur, et je ne vois guère quelle beauté ou quelle vertu, sinon celle de forcer au questionnement, trouver dans ce sentiment.Ce n’est définitivement pas pour participer à ce jeu macabre que je vais en montagne.

Sans doute, j’ai souvent paru me faire le chantre de ces dangers, en réaction à la boulimie sécuritaire qui avale cette société et qui me semble faire obstacle à toute liberté individuelle. Mais mon véritable attachement est non au danger, mais à l’engagement, cette notion d’éloignement à la sécurité relative de la vallée. S’engager ne signifie pas nécessairement se plonger dans un milieu hostile et effrayant; un engagement est possible dès lors que l’on choisit de s’éloigner de la facilité des chemins battus.

L’alpinisme doit pour moi rester avant tout une question de plaisir. Plaisir de s’élever, plaisir du geste, plaisir de partager avec les compagnons de cordée, plaisir de s’immerger dans un environnement préservé. Peu importe la performance, le défi, ou la difficulté. Dorénavant, j’ai décidé de fuir tout ce qui pourrait troubler la sérénité d’une course en montagne.

Si ces quelques mots peuvent susciter une réflexion, j’en serai très heureux.

Bonnes courses!

Nico