Ski de randonnée nordique en autonomie entre 700m et 500m à travers l’Eiffel et les Fagnes en ne traversant que 2 routes pendant 2 jours.

Traverser à ski les hauts plateaux des Fagnes et de l’Eifel avec de joyeuses personnalités de 15-16 ans, voici le challenge que Capexpé s’était fixé en ce début d’année 2011. S’inventer une « wilderness » de proximité et y plonger à la recherche de sens, voilà la montagne qui se dressait devant nous au départ de cette aventure.

Septante-cinq kilomètres entre Allemagne et Belgique sans traverser plus de quatre routes, l’aventure fut à la hauteur de l’objectif. Ce fut fort et plus que mille mots, la vidéo de cette expé vous partagera l’ambiance chaudement vécue à neuf. La météo ne nous a par épargné et tous, à un moment ou un autre, nous avons touché nos limites. Sans diminuer ce que les autres participants ont pu vivre, je voulais juste vous partager ici ce que cette expé a déclenché chez moi.

Tout d’abord une confirmation : cette traversée est magnifique. Nous l’avons tentée dans des conditions difficiles et elle nous a résisté. Nous étions pourtant prêts, les sacs minutieusement pesés et le moral au zénith. Deux jours de pluie, une nuit sous tente et des erreurs de gestion de groupe dans mon chef nous ont usés et fait reculer. Plus exactement, j’ai reculé sans tout à fait m’en rendre compte immédiatement. Au lieu d’un plongeon dans les fagnes wallonnes enfuies sous une épaisse couche de neige fondante, nous nous sommes laissés dériver vers le confort des chemins allemands, balisés et damnés.  Une fois à la route Elsenborn-Kalterherberg, un petit coup de GSM nous a téléporté dans la chaleur du sauna du fond des bois.

L’expérience fut d’autant plus forte que justement nous étions en pleine « wilderness » inventée, proche de tout. Ce n’est pas la première fois que je dois faire marche arrière en expé, mais c’est la première fois qu’après coup cela me pèse autant. L’élan initiatique de ce voyage-ci ne devait-il pas être suivi jusqu’au bout ? Il demandait un lâcher prise d’autant plus important que la situation ne comportait aucun danger objectif et les portes de sorties étaient nombreuses. Cette expé, comme toutes les autres, était un exercice spirituel pour lutter contre nos addictions consommatrices et s’ouvrir à nos vraies questions existentielles. La proximité du lieu et la jeunesse des participants en intensifiaient encore l’enjeu.

Les causes de notre échec sont on ne peut plus classiques. Une fois encore nous sommes partis tard, nous obligeant à planter les tentes trop loin du but le premier jour. Le lendemain, je n’ai pas bien géré la répartition du poids des sacs et surtout l’itinéraire au moment critique. Transis de la tête au pied par cette pluie ricochant sur la neige, la fatigue s’est alors insinué dans le groupe qui s’est mis à « suivre » sans plus penser ni croire au but.

Certes, cette déception ici partagée est celle d’un guide exigeant mais c’est aussi l’occasion d’une certaine remise en question : Ai-je le droit d’imposer ainsi ces chemins initiatiques aux générations déferlantes de Capexpé? Ne dois-je pas plutôt leur laisser le soin de trouver eux-mêmes les voies qui leur conviennent? N’est-ce pas surtout à eux de prendre et non à moi d’offrir ? Et pourtant si des gars comme moi ne le font pas qui le fera? N’avons nous pas tous un jour rencontré des aînés qui nous ont fait découvrir la lumière capable de nous faire décoller?  Je pense qu’ils ont vraiment apprécié cette aventure et se sont sentis vivre en tâtant leurs limites. N’est-ce pas déjà suffisant?  Si j’ose ce récit, c’est aussi pour qu’ils puisent dans cette tentative de traversée l’envie non seulement de recommencer mais surtout de suivre cette fois l’élan jusqu’au bout, fortifiés par la compréhension des erreurs et faiblesses dans cette aventure-ci.

Cette expé a aussi confirmé à mes yeux l’importance et la pertinence du projet Capexpé. C’est l’élan partagé qui crée le sens mais pour pouvoir le suivre jusqu’au bout, sa mise en musique doit être irréprochable. L’improvisation, si elle peut-être magique lorsqu’elle est partagée par de bons musiciens expérimentés, reste la plupart du temps d’une platitude ennuyeuse. Les plus belles créations sont toujours le fruit d’un effort conséquent. N’est-ce pas notre devoir et notre joie que d’essayer de diffuser cette évidence là où la culture ambiante clame contraire? Il y a certes mille façons de le faire mais Capexpé n’a-t-elle pas un message vivifiant à partager en optant ainsi pour le bain complet et radical dans l’élément naturel ? Ne faut-il pas apprendre aussi à le dire, le filmer ou même l’écrire?

En tous les cas, moi qui voulais donner c’est surtout recevoir que j’ai du me résigner à faire. Vivre ainsi trois jours dans le froid de ces grands espaces humides avec ces six géants de quinze ans m’a gonflé d’énergie et d’envies nouvelles. Plus que jamais je rêve de forcer les liens entre les générations. Où sont passées nos veillées d’hivers d’antan ? Pourquoi diable avons nous tellement peur de cette « génération Facebook » ?  Est-ce finalement si différent ?

Et si nous découvrions ensemble un chemin vers une ère postcapitaliste où le sens primerait sur la peur et où l’action primerait sur la consommation?

Qui est partant ?

Dom