Questions : Pourquoi partir à l’aventure ? Pourquoi skier dans le Grand-Nord ? Qui sommes nous ?
Et réflexion sur le paradigme du grand nord comparé au paradigme de nos rues.

Je pense que chacun de nous, tout au long de sa vie, se pose des questions. Qui sommes nous ? Pourquoi avançons-nous dans ce sens la ? Qu’est-qui vaut la peine d’être vécu ou accompli ? Pourquoi telles choses sont-elles plus importantes que d’autres ?  etc. Le plus dur est probablement d’y trouver réponse et je pense que certains endroits sur cette planète facilitent la tâche. Rodolphe, sans le savoir, a été la clef de voute de cette recherche personnelle indispensable pour moi, en me proposant une escapade hivernale d’une semaine dans le Hardangervidda en autonomie totale.

 

Pour être honnête on traîne pour l’organisation, et c’est ma faute, je ne prend les choses en main. Au moment de réserver les avions, tout s’accélère enfin. De quoi a-t-on besoin ? Combien de jours de ski de randonnée ? Quel itinéraire ? Petit à petit tout ce mets en place jusqu’au jour J. On se retrouve pour préparer les rations alimentaires, vérifier le matériel, terminer les sacs et on fonce à l’aéroport. La seule chose qu’on doit trouver à Oslo avant de partir c’est de l’essence blanche pour le réchaud. En arrivant a Oslo, on a deux heures de battement en attendant le bus qui nous amène dans un chouette coin paumé après 8h de voyage. Comme le monde est beaucoup trop petit nous tombons sur un autre groupe de CAPEXPE dans le bus et on échange nos itinéraires. 

 

Le premier soir on dort au pied du lac gelé que nous traverserons le lendemain. Ce grand lac de 8km est la première étape vers cette quête de sens. Sur ces premiers km une moto-neige nous dépasse et naïvement je lève mon pouce. Vous aurez compris que ce lac aura été vite traversé. Et c’est tant mieux parce que c’est un luxe de gagner du temps sur un planning en montage. 

Le soleil est tape violemment, cette neige nous éblouis mais on ne va pas se plaindre. On ski limite en T-shirt. Notre rythme est relativement soutenu. C’est l’euphorie du début. Encore bouillant, sec, motivé on fonce vers l’étape suivante. On plante notre tente sur les berges d’un lac gelé, la vue est incroyable. Entre ce soleil qui reflète dans la neige, le calme monastique qui y règne et nos deux voix qui résonnent bêtement, on se déconnecte doucement de la réalité. Il faut toujours un petit temps pour s’acclimatation, il faut oublier les choses qui semblent importantes en Belgique, se concentrer sur son unique besoin vital et dans ce cas-ci, en une journée nous étions dans le vif du sujet. C’est assez incroyable comme avec Rodolphe le courant est bien passé tout de suite. Très vite, une routine s’est installée.

On monte la tente à deux, ensuite, il érige les murs qui sont notre seule protection contre une éventuelle tempête. Pendant qu’il exerce ses talents de bâtisseur, j’installe nos deux lits et lance une Royco minute soup pour quand les murs seront assez solides. Cette Royco peut paraître banale mais c’est un pur plaisir dans ce genre de moment. On se réchauffe doucement et on refait le monde. On rigole à pleine voix parce que de toute façon personne ne nous entend. Pour l’instant on est à deux jours de ski de la civilisation. Il faut quand même dire que les nuits sont fraiches, même très fraiches. On frôle les -30° Celsius. En fait on se les caille sérieusement la nuit et le sommeil reste très léger. Heureusement la bonne humeur et le second degré nous réchauffe et nous fait presque oublier ce petit nuage de vapeur qui s’échappe de notre plus profond intérieur à chaque expiration.

Doucement mais surement on se rapproche du mont Hartaigen. C’est un montage plantée un plein milieu du Hardangervidda. Assez naïvement on se le fixe comme objectif. On veut le gravir et on décide donc de dormir à sa base pour analyser la faisabilité. Après une soirée à peser le pour et le contre, à calculer les risques représentent, on prend la décision de ne pas monter. Une corniche de neige menace et si elle lâche elle nous entraînerait sous une avalanche de neige. Surtout que sans téléphone satellite et à trois jour de la civilisation une erreur minime peut devenir fatale. C’est étrange comme le but de ce genre de voyage est de se décrocher de cette civilisation mais immanquablement on y pense toujours de loin.  On abandonne cette idée irresponsable et on vérifie l’itinéraire du lendemain.

On se réveille sous un vent plutôt désagréable mais il faut avancer. On remarque aussi que le grand bleu habituel a laissé sa place à un ciel gris chargé. Mine de rien on remballe notre maison et on se met à avancer. Tout au long de la journée le vent s’intensifie et il commence à neiger. Sans s’en rendre compte on se retrouve en fait dans une tempête. Chaque centimètre de la peau qui n’est pas couvert est en danger, on doit donc s’emmitoufler de tous les côtés. On tente une pause pour boire une tasse de thé mais on comprend vite que s’arrêter n’est pas une bonne idée. Il fait trop froid. Le vent et la neige s’intensifient encore après 5 heures de ski. Et à ce moment-là, notre chemin fait un « Y ». On cherche l’embranchement à prendre et en tournant en rond on perd littéralement le nord. En fait on n’y voyait plus rien. C’était comme se retrouver dans une chambre entièrement peinte en blanc. Plus aucun relief à l’horizon, un épais écran nous entoure de tous les côtés. Pour me rassurer, je m’imagine des montages. Rodolphe me demande de partir vers la droite pour voir si je ne retrouve pas le chemin. Je lui dis que ça ne va pas être possible parce que là il y a une montage (en réalité je dis : « mais Rod t’es con ou quoi ? Ouvre tes yeux il y a une montagne, c’est pas possible !). Il me regarde abasourdi et me dis que j’ai tort, je lui fais confiance et je vais donc voir avec mon bâton de ski en avant, tel un aveugle, pour éviter de me choper un rocher, c’est à ce moment précis que je prends conscience de ce qui se passe : en fait, je ne vois rien. Si j’avais les yeux fermés le résultat aurait été le même. Je ne trouve quand même pas le chemin et me redirige vers Rodolphe tant que je vois encore sa veste rouge.

Si on se perd de vue c’est fini pour nous. A ce moment la Rod calme le jeu. On s’assied sur nos sacs et il me dit : « réfléchissons, on est venu de la gauche et on devait prendre à gauche donc logiquement on doit aller par là ». Je lui réponds que pour moi on vient de la droite. Bref on est paumé ! Il n’était pas plus sûr que moi de la direction initiale. On sort enfin la carte et, peu confiant, on prend un embranchement en se disant qu’au pire on plantera la tente si on se sent vraiment perdu. On retrouvera bien le chemin une fois la tempête passée. 

On savait, grâce à la carte, qu‘en fin de journée on était censé trouver une ligne électrique et que au pied de cette ligne il y avait une hutte dans laquelle on pourrais dormir. Après encore quelques heures de ski on trouve cette fameuse ligne électrique mais pas la hutte… et puis, entre deux rafales de vent, Rodolphe aperçoit une chose qui ressemble étrangement à un toit à 10 mètres de nous. On est sauvé ! On y est ! Ouf ! c’est l’euphorie, on crie, on rigole, on se félicite de cette éprouvante journée achevée.

Après avoir dégagé la neige qui masquait la porte, on entre, on se pose dans un fauteuil, il y avait du café et on boit à nous deux une petite dizaine de tasses. Cette chaleur qui coule dans notre gorge vaut tout l’or du monde ! Cela peut paraître anecdotique mais sérieusement, ce simple café qu’on boit vulgairement dans la vie quotidienne était une jouissance inouïe après cette journée éprouvante. Une fois l’émotion redescendue on discute et on fait le point sur cette journée. Au bout du compte on skia pendant 8h d’affilée, sans s’arrêter, avec comme seul repas deux biscottes avalées en 1 minute. Aussi, cette tempête de neige s’est transformée en blizzard. La neige horizontale nous a fouetté le visage sur une bonne partie de la journée. On a peut-être été un peu fou mais dans le feu de l’action le seul but était de rejoindre cette hutte. On a avancé en file indienne sans se poser de questions, chacun profondément perdu dans ces idées.

Tous ces cafés nous empêchent de dormir, je suis couché sur ce lit en plein milieu de nulle part, personne ne sait précisément ou nous nous trouvons, nos muscles sont au repos et tout d’un coup une sorte de méditation intérieure ce met en marche à mon insu. Les réponses aux questions énoncées plus haut fusent et s’entrechoquent pendant un bon moment. 

Le lendemain nous décidons de ne pas se remettre en route. Nous avons tous les deux le besoin et l’envie de nous poser, de continuer à digérer les émotions de la veille. On en profite pour s’extasier devant la beauté que nous offre cet espace. Le soleil est revenu et fait briller les milliers de flocons qui continuent à tomber. C’est splendide. Je joue dans la neige tel un enfant de 7 ans à en oublier tout ce qu’il se passe autour et à l’intérieur de moi. En fait, je profite simplement de ce que je suis en train vivre. C’est d’ailleurs ce qu’on oublie de faire quotidiennement, plutôt que d’agir comme un robot préprogrammé, apprenons à réaliser ce qu’il se passe autour de nous et surtout, apprenons à profiter de ce que nous vivons.

 

Malgré cette nuit à réfléchir sur toutes ces idées, et toutes ces réponses émises silencieusement je n’ai toujours pas toutes les solutions. Mais en même temps existe-il des réponses absolues ? N’est-il pas préférable de s’attarder sur la réflexion plutôt que sur la solution ?

En tous les cas je voudrais remercier Rodolphe car c’est lui qui m’a poussé à l’accompagner dans un de ces nombreux lieux qui poussent à avancer.

Merci

Greg