Juste quelques descentes en ski, quelques enjambées en raquettes…et ce que le lieu, ma santé et l’hiver capricieux me permettront et, surtout, aller voir comment va mon aventurier de fils.

Quand Joséphine du QG m’a demandé de bien vouloir rédiger un compte-rendu d’expé, je me suis demandé ce que j’allais bien pouvoir raconter d’intéressant. Je suis juste une maman de 46 ans qui a cessé un jour ses aventures spéléologiques pour se consacrer à l’éducation de ses enfants, Florian et Laura. Je n’accomplis rien de spectaculaire, ne recherche aucune performance. Je suis déjà très heureuse quand mes occupations familiales et professionnelles m’autorisent l’une ou l’autre échappées belles, qui laissent toujours un goût de trop peu. De surcroît, cela fait plus de 7 ans que je lutte contre la maladie de Lyme et que j’y investis beaucoup de temps, de force, d’espoir et d’argent.

Alors, en m’affiliant à Cap Expé, cette année, sur les conseils insistants de mon fils, et aussi pour remercier la communauté et Dom de tout ce qu’ils lui ont apporté, je ne pensais pas me retrouver la plume à la main, tout ça parce que j’ai emprunté une paire de raquettes qui – disons-le tout de suite – n’ont pas servi !

Florian vit désormais en France : il étudie au Centre de Formation des Métiers de la Montagnes (CFMM) de Thônes, une bi-qualification de 2 ans qui lui permet, avant tout, de vivre en montagne, de se former comme animateur nature et de préparer différents brevets sportifs dont celui de pisteur-secouriste. Comme nous nous voyons peu et que nous n’avons pas les mêmes congés, le plan était donc de le rejoindre sur son lieu de stage aux Contamines-Montjoie, de faire quelques descentes en ski dans la station et une petite sortie hivernale en raquettes ou à pieds.

Mes deux journées de ski m’ont confirmé que j’aime la sensation mais pas les stations. Les infrastructures qui défigurent le paysage et la foule me mettent définitivement mal à l’aise. J’aimerais tester le ski de rando mais cela me semble beaucoup trop physique. Je reviens de très loin : 7 ans d’errance médicale, 1 an sans travailler, des douleurs à n’en plus dormir, des problèmes de concentration qui ne me permettaient plus de lire une carte, des vertiges, des pensées dépressives… On m’avait prédit la chaise roulante.

Je mesure le miracle : je suis sur des skis ! Cet été, j’ai même marché à La Bérarde. C’était dur mais je l’ai fait ! Il y a eu des rechutes : le traitement est lourd. Mais je me relève, je le sens ! Alors, demain, il faut que je quitte les pistes, il faut aller voir là-haut, vers Tré-la-Tête. J’entends un appel impérieux : c’est là et pas ailleurs. Cela m’obsède.

Florian travaille. Laura m’accompagnera. Elle se remet d’une méchante entorse : on testera ce qui est possible. J’ai une petite crainte : et si cela ne lui plaisait pas ? La montagne, ce n’est pas son truc à elle. Et si elle devait s’arrêter ? Elle n’a plus marché sérieusement depuis 4 mois. Mais moi, je le sens, je DOIS y aller.

Enfin, nous y sommes sur le sentier saupoudré de neige qui passe par Les Plans. Je m’étonne : c’est facile. Elle m’étonne : elle gambade comme un chamois. Nous nous élevons et je médite : comme la vie est étrange ! La seule fois où j’ai pris ce sentier, j’avais 16 ans et je réalisais un rêve longtemps couvé, le cœur battant à tout rompre. J’allais « faire » mon premier sommet. Il avait fallu attendre patiemment, depuis mes 9 ans, l’âge réglementaire pour participer au stage d’initiation à l’alpinisme organisé par un enseignant de mon école. Jean-Claude m’impressionnait tellement que nous étions allés en délégation de trois copains lui demander de nous intégrer dans sa prochaine équipe. A l’époque, je n’avais aucune idée de ce qui m’attendait et je n’avais aucune condition physique. J’en ai bavé. C’est fou, 30 ans plus tard, j’ai plus de facilités !

J’ai appris la foulée lente, pesante et régulière… L’endurance personnelle, celle qui m’a sauvée, chaque fois que la maladie me rattrape avec ses crises imprévisibles. La détermination, l’anticipation et le dosage de l’effort, l’évaluation de mes moyens fluctuants. Je ressens une immense gratitude à l’égard de tous ceux qui ont fait germer ces inestimables ressources dans mon corps et mon esprit adolescents.

Je jette un coup d’œil à ma chérie dont le pied est manifestement guéri et qui grimpe loin devant. Elle est rayonnante, elle adore, elle en redemande. Je pense à mon grand garçon qui porte secours sur les pistes, déjà très pro, des projets plein la tête. Je suis fière d’eux, mais aussi de moi : j’ai transmis un peu de ce précieux héritage.

Nous atteignons le refuge : le promontoire est très enneigé. Je songe aux raquettes qui sont bien rangées dans mon coffre de voiture. On mange un bout au soleil et on décide de continuer jusqu’au front du glacier. Je sais que je ne reconnaîtrai rien : il a trop reculé. On n’y passe même plus pour monter aux Conscrits. Le voilà : Tré-la-Tête, là où tout a commencé, là où tout recommence.

Laura s’émerveille : elle veut faire les Dômes. Dis, Maman, on revient en mai ? Est-ce que Flo est capable de nous y emmener ? Comment on fait pour s’entraîner pour ça en Belgique ? Tu crois que j’y arriverai ?

Tandis qu’on babille, assises sur un rocher, un immense aigle royal déboule par-dessus le Mauvais Pas. Je suis abasourdie : il est à moins de 5m au-dessus de nos têtes. On voit toutes les nuances de couleur de son plumage et il nous fixe de ses yeux perçants. Je n’en ai jamais vu d’aussi près ! L’émotion est à son comble tandis que mes pensées tourbillonnent : la maladie, le combat, l’espoir de rémission, moi ici avec mes deux enfants, les souvenirs qui remontent… Jean-Claude qu’on surnommait « Grand Aigle Déplumé des Cimes »…

Demain, je rapporterai les raquettes intactes au QG et je m’acquitterai de mon petit devoir de rédaction. Oui, c’était bien une expédition, un « voyage d’exploration dans un pays difficilement accessible » (cf. Le Petit Robert), celui de mon âme et de mes racines. Comme il me tarde de recommencer !

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