Avec l’ami Orphée, on a envie de descendre une rivière.
On ne sait pas encore très bien où, comment et sur quelle embarcation.
Mais on sait pourquoi: sortir de notre zone de confort, aller chercher le challenge en pleine nature.

Le feu

Un beau soir de printemps, mon téléphone sonne. C’est l’ami Orphée.

  • Broooo, todo bien?
  • Bueno Bueno
  • T’es chaud on descend une rivière ?
  • Un grand Oui !

Immédiatement, notre imagination galope sans freins et nous versons dans la conversation un flot d’idées, d’attentes et d’excitation. Nous nous figurons déjà au cœur d’une expédition incroyable et extrême à la Mike Horn. A nous les grands espaces, la nature brute ! Déjà, nous domptons d’impressionnants rapides et avons droit aux heures dorées de fin de journée dans le plus parfait bonheur.

Quel sentiment merveilleux que de voir apparaitre une étincelle et que chacun la nourrisse du bois de son imagination pour qu’elle devienne une belle flambée. Se découvrir alignés sur les mêmes envies d’ailleurs et regarder chacun à notre manière dans la même direction ! A ce stade, c’est la philosophie du voyage qui compte, on verra la pratique plus tard. A un moment, Orphée me lâche un « On s’en fout, quoi qu’il se passe ça sera marrant ». C’est ça qu’on veut.

Si je me félicite de cet enthousiasme, il s’agirait de ne pas avoir déjà aftermovie en tête avant même d’avoir réfléchi au projet…

Le plan

Vient alors le temps de la préparation qu’avec indolence nous repousserons souvent à plus tard. Allez hop, on gratte les infos, on bloque les dates (une semaine mi-juillet), on réserve le matos. Et surtout, on fait notre shopping de rivière. C’est fou le nombre de rivières navigables qu’on peut trouver en se baladant sur les sites ad hoc! L’allier nous paraissait être une rivière suffisamment abordable pour notre inexpérience tout en étant suffisamment épicée de rapides et isolée pour notre envie d’évasion. L’expérience prouvera que c’était exactement la rivière qu’il nous fallait, à défaut d’être celle qu’initialement nous aurions voulu.

Côté logistique c’est assez simple : 1 journée de route pour aller jusqu’au massif central, on laisse la voiture à la gare et on remonte la rivière par le train. De là, l’Allier offre des portes de sortie environs tous les 15km où il suffit de prendre le train pour regagner la voiture. On prévoit 4-5 jours de navigation, en commençant par le haut Allier. Vu qu’on ne sait pas exactement combien de kilomètres il est possible de parcourir par jour, on ne se donne pas vraiment de destination finale.

C’est aussi pour moi l’occasion d’essayer les plats déshydratés. Je concocte une bolo et un tajine en suivant les bons conseils de youtube et d’Alexis De Knoop, on verra ce que ça donne… En tout cas, vu le temps passé à couper ces fichus légumes en cubes minuscules et à soigneusement éviter la moindre graisse, ça a intérêt à être bon.

 

Le face à face

Tout naturellement, les préparatifs ont laissé place à la réalisation. Nous remplissons la voiture dans le joyeux désordre qui nous caractérise et en route ! Musiques, blagues, silence, planning, essence, sieste, histoires d’humour et d’amour, silence, courses, arrivée.

Le lendemain, nous montons à bord du 10h08 Arvent-Chapeauroux, qui ne tarde pas à nous dévoiler les méandres de l’Allier. Scotchés à la vitre, nous fixons notre adversaire. Elle intimide avec son eau sombre et tumultueuse. De notre perchoir mobile, nous estimons plus mal que bien la férocité de notre ennemi. Une chose est sûre : on voulait des rapides, on va être servis ! Notre examen ne s’arrête pas à la rivière mais remonte les flancs abrupts de la vallée pour admirer l’isolement total de la vallée. Bonne surprise, mais qui va de pair avec une petite arrière-pensée pour le « et si ça tourne mal ? ». Je me tourne vers Orphée, je pense qu’il appréhendait aussi la situation. En vrai, ça a l’air jouable, et le guide nous a dit que ça passe. De toute façon, si ça ne passe pas, on fera des portages.

A mesure qu’on remonte la rivière, l’excitation grandit. Si bien qu’arrivés à chapeauroux, on est gonflés à bloc. Finie l’anticipation, maintenant c’est l’action. Plus de tergiversations, on saute dans le bain !

L’eau

On descend finalement du train, et là c’est la douche froide. Au propre heureusement, pas au figuré. Des trombes d’eau s’abattent subitement sur nous et on se retrouve trempés en moins d’une minute. En vrai on se marre. On avale vite le diner du midi sous l’arche d’un pont, on gonfle précautionneusement les rafts et hop, à la flotte ! On m’avait prévenu que quoi qu’il arrive, en packraft on finit trempés. C’est d’autant plus vrai quand ça mouille d’en bas et d’en haut en même temps. Mais qu’importe, quelle joie d’être enfin là !

Les premiers rapides ne se font pas attendre et je découvre les joies des repérages, mais surtout les sensations géniales de la descente. Le débit est clément et les tumultes domptables, même pour une pagaye novice. Je me sens rapidement en confiance et dans mon élément. L’excitation ne s’estompe pas et l’émerveillement ne fait que croitre. J’ai les yeux grands ouverts pour ne pas perdre une miette de ce qui est en train de m’arriver et je fais de mon mieux pour emmagasiner tout ce qui m’arrive.

Jusque-là, les aventuriers de pacotille que nous sommes s’accommodaient assez bien de l’eau omniprésente. Mais après quelques heures, le froid commence à engourdir nos extrémités. C’est le moment où un feu et un bon repas chaud seraient bienvenus. Je propose donc de doucement commencer à chercher un endroit où s’arrêter pour la nuit. A peine ma phrase terminée, un méandre nous dévoile le premier bâtiment aperçu depuis notre départ. De notre point de vue de marin d’eau douce, ça a l’air d’être une maison un peu délabrée au milieu de nulle part. Pas sûr qu’une route aille jusqu’ici.

On toque, mais pas de réponse donc on se permet d’entrer, la porte est ouverte. On découvre un véritable paradis pour packrafteurs transis : Un endroit sec, isolé du vent, avec une cheminée et du bois que l’on a eu la délicatesse de laisser au sec. En farfouillant sans faire de mal, on tombe sur les mots conservés précieusement d’un autre groupe de baroudeurs échoués ici par un hasard similaire 3 ans auparavant. Après avoir passé un coup de balai et pendu nos affaires mouillées, on goutte à la délicieuse chaleur d’un bon feu tout en réhydratant la bolo. La nuit fut sèche grâce à notre logement miraculeux, mais nous découvrons rapidement qu’il faudra le partager avec de bruyants rongeurs dont l’obscurité et notre imagination grandissait le nombre.

La terre

Le lendemain, après avoir laissé un mot à l’humour décalé pour remercier le propriétaire absent, nous repartons sur le front dans une petite bruine. Déjà, les batailles contre les rapides de la veille ont fait de nous des soldats plus habiles donner le coup de pagaye adéquat et à choisir la bonne route. Le débit croit à chaque kilomètre parcouru et donne plus de force au courant, ce qui rend les rapides plus challengeant. En alternance avec ceux-ci, se trouvent d’agréables segments plus calmes, qui nous laissent tout le loisir d’admirer les abords de la rivière.

De hautes collines encadrent la totalité de cette partie-ci de l’allier. Dans leur désordre et en rang serrés, elles nous toisent avec une gravité soulignée par une allure sombre. Par leur masse et leur immobilisme elles imposent sans même s’en rendre compte son chemin à la rivière. Les nuages, non contents de dispenser sur nous une pluie inéchappable, jettent sur les flancs de ces géantes une luminosité inquiétante. Ca semble satisfaire les orgues basaltiques qui détachent leurs roches noires de l’épaisse végétation. A part nous, seule la voie de chemin de fer se fraye vaillamment un chemin à travers ces collines silencieuses et heureusement, les arches de ses ponts ont le bon gout de ne pas dévisager ce magnifique paysage.

Notre deuxième journée de navigation s’écoule agréablement entre blagues et palabres, entre calmes et rapides. Alors que nous déjeunions sur la berge dans une température supportable mais proprement inconfortable, nous saluons 2 canoës qui nous dépassent. A ce moment, le soleil nous accorde sa seule apparition Ô combien exaltante, longue d’une dizaine de secondes mais malheureusement bien trop tôt interrompues par les nuages.

En arrivant au barrage d’Alleyras alors en travaux, nous avons eu droit à un spectacle singulier. La grue était en train de treuiller des canoës par-dessus le chantier, au plus grand amusement de leurs propriétaires et des ouvriers. Le chef de chantier, lui, avait autre chose à foutre. Nos packraft n’auront malheureusement pas droit à ce traitement de faveur, et nous les porterons à travers le chantier au milieu des bruits de marteau piqueurs. Nous poursuivons notre navigation, toujours amusés mais peut être un peu moins émerveillé par ce segment où la laisse de crue nous exposait ses déchets peu agréables à l’œil. On devient vite exigeant…

L’appel du vide

A l’approche de la soirée, un peu engourdis, nous trouvons un rocher en aval de Monistrol d’Allier où nous pourrons satisfaire nos envies de backflips. Je perds le Shi-Fuh-Mih et je retourne à l’eau pour une vérification rapide qui nous rassure sur la profondeur de la rivière. Et hop, on s’autorise quelques jumps depuis notre petite falaise 😊 Après ça, un feu allumé non sans mal nous réchauffe vaguement alors que nous causions dans une bonne ambiance. Je ne sais plus trop ce qu’il s’est dit mais j’en garde un bon souvenir. Une fois mon grand appétit rassasié et notre petit digestif dégusté, nous décidons d’aller explorer une tour qui émerge de la canopée plus haut sur le flanc de la colline. Au prix d’une bataille mémorable contre des murs de ronces, nous arrivons au pied de cette structure industrielle abandonnée, et commençons une ascension acrobatique. Au dernier étage, satisfaits de la vue, nous décidons de dormir là… en dépit du bon sens.

Mais bon, la vue en valait la peine et ça fait des bons souvenirs. On apprendra par la suite que ce bâtiment était un ancien camp de prisonniers pendant la seconde guerre mondiale. Le lendemain nous allions affronter le passage le plus délicat du parcours, « la pierre qui pleure ». Ou plutôt, « la roche qui pleure », comme me rectifia avec condescendance un guide qui menait ses kayakeurs juste devant nous. Un repérage sérieux et la présence d’autres personnes nous donnent la confiance pour nous lancer dans cette chute d’environ 1 mètre, qui n’a l’air de rien vu de l’extérieur mais qui nous laissa tous les deux bien désarmés une fois pris dans son flux. Heureusement, ça passe bien, mais plus ça serait trop.

La croisée des chemins

Doucement, nous arrivons dans le bas Allier et les rapides se font plus rares, et les paysages moins spectaculaires. Les affluents avaient rempli la rivière d’une eau monotone, et, comme par vases communicants, notre enthousiasme s’est vidé. Evidement, c’est moins amusant de devoir progresser à la fatigue de ses bras que de se laisser emporter par des flots joyeux.

Et la pluie.

Et la fatigue.

Et l’autre.

Arrivés à Langeac, un téléphone sonna. Notre ancienne troupe scoute, dont le staff était intégralement covidé, voyait son camp menacé d’annulation et nous appelait à la rescousse. Ce coup de fil nous cueillit comme des fruits bien murs. Nous sommes fortement tentés de délaisser notre Allier et ses segments avals peu prometteurs et de quitter notre humidité grelottante, de fuir l’ennui qui accompagnait nos coups de pagaye sur cette rivière paresseuse. Tout ceci affronta en nous une légère honte de mettre une fin prématurée à notre expé, de ne pas être allé jusqu’au bout de l’épreuve.

Nous sommes justement à une des portes de sorties que l’Allier offre. Ou à une porte de sortie que nous nous sommes accordés ? Le départ imminent d’un train vers Arvent où nous avions laissé notre voiture mis fin à notre hésitation et catalysa le choix de la facilité. Je ne me flagellerai pas d’avantage car la raison de notre retour reste louable et que nous serons tout de même allés au-devant d’une adversité inconnue pendant 3 jours, mais par honnêteté je tenais à dévoiler ce sentiment un peu coupable qui nous accompagnait dans le train.

Après la pluie, le beau temps

A peine mis en route, le soleil perça les nuages et nous offrit une splendide dernière soirée, ce qui enfouit bien vite nos remords. Pour moi, cette expé aura approfondit mon amitié déjà solide avec Orphée. De belles bases sont posées pour l’année de colloc qui se profile au loin. A l’horizon, les contours d’autres aventures prennent déjà une forme plus sauvage, plus grandes et plus éprouvantes. Tous deux, nous sommes contents d’être partis et d’avoir vécu ça. En tout cas, on peut dire que nous avons mordu au hameçon du packraft !