Twins trek dans le Sylan

L’idée de ce trek a germé en moi il y a 2 mois. Alors que je venais de suivre le Danube à vélo à travers 4 pays sur 650 kilomètres en tant qu’accompagnateur pour Passeport ASBL, j’avais soif d’aventure. J’ai immédiatement pensé à la Scandinavie. Celle-ci offre en effet des conditions que j’affectionne. Le froid, la demi-montagne et la météo variable. J’ai tendance à aimer les conditions difficiles car après tout paraît facile. Nous avons donc, avec mon frère jumeau Guillaume, choisi de partir dans le Sylan (ou Sylarna en suédois), un parc national sur la frontière entre la Norvège et la Suède dans le Jämtland encouragés par l’idée que l’équipe Expé de Passeport est partie là un mois avant nous..

Guillaume et moi avons cherché des amis pour nous accompagner pendant les vacances mais il est évidemment compliqué de trouver des personnes motivées pour aller en Norvège alors que l’Espagne, le Portugal et l’Italie avec la chaleur, le soleil et les fêtes leur tendent les bras.

Du coup, on est parti à deux. Sans remords car nous savons que les expériences comme celles-ci sont toujours uniques et ce sera en plus l’occasion, le 13 septembre, de fêter notre anniversaire d’une façon plus originale que d’habitude.

Mais la question du pourquoi revient souvent. J’y ai longtemps réfléchi. Personnellement (et je suis sûr que Guillaume partage mon avis), je trouve la vie quotidienne fatigante. La routine est mortelle. Il m’arrive souvent d’être assis sur un banc et de regarder comme les gens sont pressés, emprisonnés dans leur routine. De plus, de nos jours, la pression sociale est écrasante. Il faut toujours avoir quelque chose à montrer ou à raconter. Tout le monde a peur du manque de reconnaissance ou de ne pas être dans la norme. Quand les gens sont seuls, leur téléphone n’est jamais bien loin pour ne pas qu’on croie qu’ils sont “sans amis ou sans vie sociale”. Quand je croise des connaissances dans la rue, beaucoup détournent le regard comme s’ils ne m’avaient pas vu. J’ai tendance à assimiler ça à de la timidité mais je pense plutôt qu’ils ont juste peur que je ne les reconnaisse pas. Voilà ce que je suis venu fuir ici. Je suis venu trouver le calme et la sérénité pour pouvoir penser à soi au lieu de penser à l’avis des autres. Je suis venu fuir routine et me découvrir moi-même.

C’est parti, nous commençons à marcher sous la pluie en direction de Ramsjøhytta. Il fait froid et le soleil se couche. De plus, très vite, on monte en hauteur, à une altitude où il n’y a plus d’arbres et où en fait, il n’y a pas grand-chose à part de la terre, des cailloux et de l’herbe.

Paysage d’altitude

La gueule de la tente après cette nuit très agitée.

 

À 20h, nous décidons de poser la tente. On est encore haut et un petit vent se lève… Ce qui complique la cuisson des pâtes. Le soleil est désormais totalement couché et il fait de plus en plus froid. Pressés de manger, on décide d’abréger la cuisson, un peu tôt peut-être, car les pâtes sont encore plus ou moins croquantes… Tant pis. Après avoir vu un troupeau (de rennes probablement) passer à une dizaine de mètres du campement, on rentre à l’intérieur de la tente pour commencer la nuit. Guillaume et moi dormons tous les 2 tout habillés, bonnets sur la tête. En septembre, les conditions climatiques sont déjà plus dures. En Belgique, l’été est encore omniprésent tandis qu’ici, on est déjà dans un bon automne.

Au cours de la nuit, la pluie fait son retour et vers 2 heures du matin une énorme bourrasque de vent s’abat sur la tente… Début de tempête. C’est seulement la deuxième nuit que nous passons dans la tente et nous ne connaissons donc pas du tout sa capacité de résistance au vent… Heureusement, elle semble plus ou moins stable même si l’intensité du vent semble augmenter. Celui est similaire au mistral du midi de la France, puissant et cassant. De mon côté, l’anxiété s’installe peu à peu, la peur que la tente craque m’empêche de dormir… Guillaume non plus ne dort pas (difficile avec tout ce bruit évidemment).

De plus, je dors du côté gauche et le vent vient justement de là. Je suis oppressé en permanence par la toile de la tente et essaye tant bien que mal de l’aider à lutter contre le vent. Par moments, la tente s’écrase littéralement sur moi, ce qui renforce mon inconfort. Guillaume lui, semble plus serein, je ne sais pas si son calme vient plus de son caractère naturel ou du fait que lui, du côté droit, n’a pas la toile en pleine figure. En professionnel, il ouvre régulièrement la porte pour vérifier que la tente reste bien attachée. Moi, je prie pour qu’elle tienne. La perspective de me retrouver dehors à 3h du matin dans un froid glacial et au milieu de nulle part ne m’enchante pas du tout. J’imagine les scénarios catastrophes. Retourner à la voiture dans de telles conditions relèverait de l’impossible. Il est déjà parfois compliqué de trouver son chemin en pleine journée alors la nuit et avec ce vent…  À 3h20, je sens une forte humidité au niveau de mon genou, je touche mon sac de couchage et constate qu’il est trempé. Le double toit, collé à la tente à cause du vent a transmis son eau jusque chez moi… Mauvaise nouvelle.

Maintenant, Il faut attendre, attendre que la tempête cesse. A chaque heure qui passe je me dis que dans une heure ça sera fini mais c’est interminable. Il y a maintenant de l’eau à l’intérieur de mon sac de couchage et je me demande ce que je suis venu faire dans cette galère… Mais je me rappelle vite que visiter les villes ou passer une semaine à faire la fête ne m’intéresse guerre. Je suis le genre de gars qui veut pouvoir regarder sa vie et n’avoir aucun regret, je veux pouvoir raconter à mes enfants et petits-enfants qu’ils ne savent pas ce qu’est la couleur bleue tant qu’ils n’ont pas vu les lacs de Scandinavie, ni ce qu’est le verbe briller tant qu’ils n’ont pas vu les millions d’étoiles qui jonchent le ciel pendant la nuit. Je suis également venu me former pour l’avenir car les opportunités que nous offre la Terre sont illimitées et je compte bien les exploiter.

Et puis, à 5h, le souffle diminue, je m’endors enfin. Au réveil, la tente est déformée et ressemble un peu à un champ de bataille mais au moins elle a tenu bon. Les confectionneurs, je vous aime.

Guillaume et moi évoluons au même rythme, l’un derrière l’autre.

 

L’objectif d’aujourd’hui est d’arriver à Storerikvollen, un refuge au bord d’un lac, le Esandsjøen. On descend enfin d’altitude et on retrouve très vite des vieux amis de notre expédition dans le Hardangervidda l’année précédente, les marais. Progresser dans les marais est une sorte de jeu qui peut être amusant au début mais qui en fait ne l’est pas vraiment. Il s’agit de trouver les parcelles d’herbes les moins noyées possible et espérer qu’elles ne cèdent pas sous notre poids (et celui de notre sac). C’est du feeling. Il arrive de temps en temps que Guillaume et moi nous trouvions au même endroit et que lui cherche un autre chemin car il n’a pas confiance vis-à-vis des parcelles et que moi je décide d’aller tout droit car je pense qu’elles vont tenir. En général, je ne tombe pas et j’en retire ma petite fierté d’avoir eu confiance. Heureusement, les marais ne sont pas trop noyés et on peut plus ou moins marcher sur toutes les parcelles. Mais on n’est jamais à l’abri des surprises.

Guillaume et moi sommes différents mais je suis très heureux de partager cette aventure avec lui car j’ai une confiance infinie en lui. Il est un support de taille. Sans doute même le meilleur support que je puisse imaginer. Le meilleur équipier, c’est le plus qualifié et le plus motivé et avec Guillaume, y a pas de soucis à se faire.

Puis, soudainement, nous arrivons devant une grille, là au milieu de nulle part. Que l’on regarde à gauche ou à droite et on ne voit pas le bout. Alors on consulte la carte et on choisit de longer à droite pour rejoindre une petite route en terre. Dessus, on rencontre une camionnette conduite par un norvégien âgé, c’est la première personne que nous croisons depuis le début de la marche. Il a l’air très heureux de nous voir et nous discutons un peu. Son grand sourire est révélateur du peu de personnes qu’il croise dans le parc. C’est sûr qu’en travaillant ici, des gens, on en voit pas beaucoup. Puis, il poursuit sa route, et nous la nôtre.

Dans toute cette végétation, se cachent des étendues de marais. Il s’agit de ne pas tomber dedans.

 

On rejoint vite les petits chemins. Il fait beau aujourd’hui, le vent de cette nuit a chassé les nuages et le soleil nous réchauffe lorsqu’on marche. Du coup, on retire des couches de vêtements. Mais dès qu’on s’arrête, le froid revient vite et nous rappelle que nous sommes à une latitude de 63° nord, soit 3° en dessous du cercle polaire arctique. Nous évoluons dans une flore assez similaire à chez nous, on a retrouvé les arbres et la végétation. Les marais sont toujours là et la boue jonche le chemin, nous obligeant à marcher en “s” de façon permanente. Vers 16h, nous arrivons à Storerikvollen. Là, nous rencontrons un couple qui nous demande où on va et d’où on vient. Eux nous disent qu’ils ont logé à Ramsjøhytta la nuit passée, un autre refuge qui se situe 18km à l’ouest. Quand ils voient que nous portons une tente, ils nous parlent de la tempête et nous expliquent que la maison dans laquelle ils dormaient tremblait. Au début, j’ai pris ça pour une blague mais quand le gardien du refuge rencontré 5 minutes plus tard nous a raconté la même chose, je me suis bien rendu compte que c’en était pas une. Cette nuit, pas de risques, on plante la tente à côté du refuge.

Sur un banc à Storerikvollen, avec le drapeau belge (et non Allemand comme l’a cru le gardien du refuge au premier regard).

Bjørneggen, là où nous avons posé la voiture, est à 24km et la carte indique 8h de marche. Ce qui est en fait énorme puisqu’elle ne tient pas compte des pauses et du repas de midi.

Demain c’est notre anniversaire à Guillaume et moi, on aura 19 ans et je n’ai pas envie de passer la soirée de notre anniversaire au milieu de nulle part à manger des conserves. Je propose alors à Guillaume de finir le trek demain et d’aller à Trondheim le soir, à 90km. Il est d’accord.

Le lendemain matin, on se remet à marcher. C’est un anniversaire très différent aujourd’hui. Il n’y a personne pour le souhaiter (il n’y a même personne tout court), pas de cadeaux, pas de gâteau, pas de bougies. En fait c’est une journée comme les autres. Ce qui m’attriste un peu.

Décidés à retrouver la voiture le plus vite possible, on fonce. On en oublie presque de regarder le paysage, qui est pourtant une des raisons pour lesquelles nous sommes là… Voir et ne jamais oublier, aller là où les autres ne vont pas et découvrir l’autre et soi-même toujours plus. Ici, les personnalités se cassent, il n’y a pas de spectateurs, personne pour filmer, personne pour se moquer ou critiquer. On voit l’autre tel qu’il est, sans jugements.

Je reste persuadé que c’est dans les aventures comme celles-ci que l’on apprend vraiment à connaître l’autre. Voir sa façon de résoudre les problèmes, voir sa mentalité, voir ses peurs. Guillaume et moi avons passé littéralement toute notre vie ensemble mais ici, je ne cesse d’apprendre sur lui et de lui.

 

Guillaume et moi le jour de notre anniversaire, 19 ans qu’on se supporte.

 

Les kilomètres défilent, on entend que le bruit de nos pas et de notre souffle. Je m’efforce de rester juste derrière Guillaume, il marche à un rythme de folie. Très vite, on se retrouve coincé par une rivière… Aucun passage. La procédure est alors toujours la même. On retire les chaussures et les chaussettes, on marche dans l’eau glacée et on évite de tomber dedans. Après avoir séché nos pieds et remis nos chaussures, on repart. Il arrive que l’on suive le chemin et puis plus rien. On ne sait pas où on est ni où on va, on est perdu. Dans ces cas-là, il faut chercher les petits “T” rouges qui indiquent le chemin. Ces petits “T” sont en fait la seule trace de l’homme, la seule chose qui nous relie à la civilisation. Pour trouver les “T”, c’est toujours Guillaume qui gagne. Et quand on ne trouve pas, il faut marcher à l’instinct et tâcher de repérer la trace du chemin. Heureusement, il n’est jamais bien loin.

Par moments, le paysage ressemble à la savane africaine, de l’herbe jaune et des arbres bas dispersés et peu nombreux. A la différence que le sol est toujours constitué de marécages qui se font de plus en plus persistants. Mais par chance, on remonte en altitude. Là-haut, les marais n’existent pas, la progression est facile. On croise à nouveau des rennes, ils nous fixent. La sensation d’un spectacle réciproque se fait ressentir. Ont-ils déjà vu des humains auparavant ? Sans doute, mais pas beaucoup.

Au début de cette mini-expé, je m’étais vite retrouvé face à mon plus gros problème quand je marche, l’ennui. En effet, à quoi penser ? Comment s’occuper ? Alors je pense à ma vie à Bruxelles, à mes études… Mais si je marche ici, c’est justement pour m’évader de tout ça car ici, rien ne nous lie avec notre vie “civile”. On n’a pas internet, pas de réseaux sociaux, des fois, pas de réseau tout court. Mais la grande différence c’est qu’on voit que tout ce dont on peut se plaindre en Belgique ne le mérite souvent pas. Nous vivons dans un confort qui est tel que nous avons tendance à créer des problèmes qui n’en sont pas vraiment, du moins c’est ce que je pense.

Ici, il n’y a que 2 choix possibles : avancer ou ne pas avancer. T’avances, tu rentres chez toi. T’avances pas, tu restes. Et c’est ça le remède à mon ennui. C’est l’envie d’avancer, l’envie de mettre un pied devant l’autre et de savoir qu’à chaque pas la distance qui est derrière augmente et celle qui est devant diminue… Quand on a trouvé cette motivation, on devient inarrêtable. L’ennui n’existe plus et on ne pense qu’à une chose, c’est marcher.

Cette mini-expé touche à sa fin. Nous nous trouvons désormais dans une forêt qui ressemble aux Ardennes mais celle-ci est une gigantesque mare de boue. Pour éviter la boue du chemin principal, il y a des chemins alternatifs qui le longent et pour éviter la boue des chemins alternatifs, il y a des chemins alternatifs aux chemins alternatifs et pour éviter la boue des chemins alternatifs aux chemins alternatifs eh ben il y a… nan c’est une blague lol.

Ca y est, nous arrivons à destination, on a bouclé les 24km en 5h de marche au lieu des 8 prévues. Fiers de la performance, nous commençons à rouler vers Trondheim. Dans la voiture, je réfléchis. Je me demande où j’irai la prochaine fois, dans quel pays, dans quel endroit, mais il est certain que la Scandinavie ne m’a une nouvelle fois pas déçue… et que je reviendrai.

Nous retrouvons la voiture à Bjørneggen. Direction Trondheim maintenant.