Descente des rivières Coulonge et Noire, Août 2015

screenshot_139Nous revenons de 220 km de packraft perdus au fin fond des grands espaces québécois. Je garde de cette aventure le gout particulièrement agréable d’un pari réussi.
Notre expé devait être une valse à trois temps et c’est finalement à quatre temps que nous avons dansé. D’un côté, il y a Réginald et Cyril qui auront 16 ans dans quelques jours et de l’autre côté, il y a Benoît et Hadrien entrant tous les deux en seconde année universitaire. Entre ces deux paires d’amis, je me glisse, bien décidé à dépasser mon rôle d’organisateur. Rarement, je n’aurai préparé une expé avec autant de minutie. Des menus, matos aux tickets de bus, itinéraires et autres points de chutes chez des amis, tout était prêt quand ils ont débarqué à Montréal. Pour mener à bien un tel projet, l’improvisation ne peut être de mise.Canada2015-1030873

Nous partirons en bus dès leur arrivée à Montréal pour le lac Pomponne dans la réserve de la Veyrendrie au nord du Québec. De là, nous pagaierons 70 km sur la rivière Coulonge, réputée pour son isolement et ses rapides. Ensuite nous traverserons 45 km à pied et sur des lacs pour rejoindre la Rivière Noire et la descendre sur 115 km. Cela devait être la valse à trois temps dont je parlais plus haut.

G0020111Le premier temps est toujours rempli d’un peu de tension. Il faut que chacun trouve sa place et maîtrise l’utilisation du matériel et le rituel des bivouacs. Malgré notre expé préparatoire dans les Tarn, je suis seul avec 4 novices, le stress des rapides et cette méteo un peu capricieuse en ce début d’expés. En plus j’essaie de filmer le passage dans les rapides tout en les sécurisant. C’est un peu beaucoup et je fini par glisser et tomber dans l’eau avec mon appareil en bandoulière. Je jure comme tous mes ayeux rassemblés et ce n’est pas peu dire. J’attendrais trois jours qu’il sèche avant d’oser le rallumer … avec succès. Peut-être était-ce salutaire car cela me forcera à me concentrer sur la sécurité et le simple plaisir de passer les rapides en packraft. Cyril se retourne dans le premier rapide et nous rappelle qu’un accident est si vite arrivé. En mode panique, il lâche pagaie et raft.

screenshot_140Cette tension, dont je porte sans doute une certaine responsabilité, s’évapore rapidement au fur et à mesure que chacun trouve ses marques et participe aux petites tâches de montage, démontage et sécurisation des passages dans les rapides. Très vite Hadrien s’avère être un second très efficace et surtout très agréable. Je ne suis déjà plus seul à tout porter. Benoît lui sort petit à petit de l’intensité de son camp louveteau pour s’ouvrir à la réalité de cette rivière et de ses visiteurs.

La Coulonge me laisse à nouveau une certaine impression d’étouffement. Nous nous sentons un peu prisonnier de sa masse d’eau qui nous pousse vers l’avant, de son encaissement et de cet horizon toujours barrée par un rideau d’arbres de chaque côté.

screenshot_141C’est donc avec un certain soulagement que nous amorçons le second temps de notre expé: la traversée. Nous roulons nos packraft, remplissons nos sacs à dos et traversons à pied « à travers tout » plusieurs petites vallées de taillis et forêts mixtes. Il faut rappeler que nous sommes encore lourds de 7 jours de nourriture. Benoît en marchant sur un nid de guêpes fera courir bien vite Hadrien qui le suivait.
Nous arrivons enfin au lac Bryson dont il faudra traverser les 10 km. Changement total d’ambiance donc, non seulement dans notre style de navigation dans ces étendues maintenant tellement larges mais aussi entre nous. On sent que tout se détend, d’autant plus que le soleil revient et qu’un magnifique coucher de soleil accompagne notre repas sur les berges du lac animé par le cliquetis des vaguelettes et surtout le chant de canards huard. Pendant la nuit, nous entendrons des loups se répondre de part et d’autre du lac. Splendide !
Au petit matin nous découvrons de la mousse blanche et parfumée sur plusieurs centaines de mètres. Depuis lors Réginald sait qu’il ne faut jamais se laver avec du champoing moussant dérobé en furte dans un hotel dans un lac…

screenshot_142Et puis il y a aussi la lenteur de la progression à la pagaie sur ces lacs qui apporte une dimension méditative vraiment intéressante et appréciée par tous. Enfin presque tous … car Cyril reste un peu réfractaire à l’exercice d’autant plus que la faim commence déjà à tenailler son estomac. Benoît s’occupera d’accueillir avec humour les confidences de ses multiples complaintes.

Il était donc temps de passer au troisième temps de notre expé et de rejoindre la rivière Noire qui nous avait été annoncée comme plus calme et moins isolée que la Coulonge. Tout de suite la Noire nous surprend agréablement. Moins encaissée, elle nous dévoile pas mal de rapides fort amusants à enchaîner et même de longs passages avec des eaux vives en continu qui nous permettront d’avancer très vite.
La cerise sur le gâteau sera aussi ces magnifiques plages au sable fin où nous pourrons savourer notre petit rituel vespéral : le chocolat- whisky (Porto blanc pour les plus jeunes).GOPR0049Une toute autre ambiance s’installe entre nous. Les langues se délient, l’humour devient cinglant mais surtout les regards s’approfondissent. Les repas se font tout seul, les vaisselles un peu moins mais elles se font. Les packrafts sont repliés pour réduire le risque d’attaque d’ours ou même de castors qui ne viendront jamais. Le campement est chaque fois bien rangé lorsque nous rentront dans nos deux tentes. Qu’on le veuille ou non, c’est le signe d’une expé de qualité où le respect de chacun est la règle.
La joie et le plaisir d’être ensemble grandissent de jour en jour. J’épinglerais le bivouac près d’un magnifique double rapide, juste après le gros orage où nous screenshot_143avons mis toutes nos affaires à sécher – ou plutôt à respirer – sous la bâche et où nous nous sommes payés le luxe de passer plusieurs fois (jusqu’à cinq fois pour certains) les deux rapides. L’appréhension normale du début a cédé la place à la joie du jeu dans les vagues. C’est tout de même vraiment amusant ces packrafts !
Seule ombre au tableau, les estomacs de certains se creusent de jour en jour un peu plus. Pourtant, croyez moi, j’avais prévu de fameuses quantités….

La fin de la rivière sera plus calme et les pauses « PBJ » plus nombreuses, d’autant plus que nous n’aurons pas besoin des réserves du jour de sécurité …. Le nombre de petits chalets au bord de la rivière augmentent au fur et à mesure que diminue le nombre de kilomètres à parcourir .
La longue arrivée ensoleillée sur le lac créé par le barrage électrique qui clôture la Noire me laisse une énorme impression. Ramant tranquillement assis sur le boudin arrière du packraft je jouis du spectacle de ces 4 bateaux colorés pilotés par quatre paires d’yeux qui en disent long sur le succès de cette expé. Je suis profondément heureux.

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La plus grosse surprise était pourtant encore à venir : le quatrième temps de notre expé. Michel et Carinne ont débarqué tout sourire avec une remorque pour nous faire rentrer dans la magie et la chaleur de leur accueil. Kinés belges l’une comme l’autre, ils se sont installés il y plus de 20 ans à Pembroke tout près de l’arrivée de notre Noire. J’avais pu apprécié leur accueil il y a 6 ans lors de notre première descente de la Coulonge mais j’étais loin de me douter de la connivence qui allait se tisser entre ce couple maintenant à la retraite et ces quatre jeunes. Cela a commencé par un repas pantagruélique qui a vu Cyril passer tout près de l’explosion estomacale pour se terminer par presque deux jours de joies partagées. Un peu sur mon propre nuage du succès de cette expé parfaitement menée, j’observais avec délectation Réginald se mettre à parler et lancer des vannes sans arrêt, Cyril se transformer en professeur de Français vis-à-vis de son aîné expatrié depuis si longtemps déjà et puis Ben et Hadrien leur emboîter le pas, hilares. Les soirées sont interminables avec Michel déchaîné et Carine hyper activement heureuse de combler tous ces estomacs encore bien adolescents. Cyril et Réginald, fiers de l’expérience de travail dans les bois avec leurs pères respectifs, débitent les arbres tombés pendant l’orage qui nous avait ralenti sur la noire quatre jours plus tôt. Hadrien, Ben et moi nettoyons, séchons et rangeons tout le matos. Pouvais-je rêver meilleure apothéose pour cette expé au plein cœur de la wilderness canadienne que cette symphonie inter générationnelle ?

En tous les cas, tous les 7 nous avions les cœurs bien serrés au moment de monter dans le bus.

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