Cet été j’ai vécu la pire aventure de ma vie dans les montagnes corses, 6 mois après j’ai ressentis le besoin d’écrire ce qui m’étais arrivé…

Corse…

“Je m’appelle Florian, j’ai 17 ans, je suis passionné de montagne…

L’été dernier, 2020, je suis parti en Corse avec ma famille. Sur la fin du voyage, nous sommes allés à Corte, dans les montagnes. Je suis parti faire une randonnée seul, pendant que les autres faisaient une plus petite randonnée de leur côté.

C’est comme ça que le 13 juillet, à 7 :00, je commençais à grimper sur les lacets d’un chemin, dans la vallée de la Restonica, pour monter au sommet du Monte Rotondo 2622m (Ritondu en Corse). J’avançais vite, j’étais heureux. Parfois en courant, parfois en marchant, je profitais de mon ascension pleinement. L’ascension du monte Rotondo par la Restonica ne présente pas de difficultés, seulement de la recherche d’itinéraire, 1822m de dénivelée depuis le parking, et un peu d’escalade dans du 4  à la fin.

Je suis arrivé au sommet en trois heures, tout allait bien. J’y ai rencontré des gens qui étaient montés depuis l’autre versant, par le refuge de Petra Piana. Ils étaient étonnés de voir un jeune tout seul et on a sympathisé. Ils m’ont dit de faire attention parce que souvent, en Corse, les orages sont là à midi sur les hauteurs.

Mon plan pour la suite était de redescendre sur le refuge de Petra Piana, puis de prendre le GR20 pour descendre sur le lac Melo depuis le col de Bocca Soglia.

J’ai donc entamé ma descente sur le refuge de Petra Piana. Sautant de blocs en blocs, j’ai rejoint le lac de Bellebonne puis le refuge en franchissant une passe dans la montagne. Et effectivement, en redescendant, le brouillard s’installait déjà. Je suis passé devant le refuge sans dire bonjour et j’ai continué sur ma lancée, fonçant à travers les pierriers et les sentes.

J’ai continué à courir. J’ai croisé quelques randonneurs qui allaient se mettre à l’abris de la pluie qui commençait à tomber. Moi, sûr de moi, je continuais de foncer. Heureux, je voulais arriver à temps pour le rendez-vous avec la famille au lac Melo.

Je me trouvais sur une belle arrête, tantôt que des rochers, tantôt que de l’herbe. C’est là que l’orage a éclaté, quand je me trouvais sur le chemin de crête, au plus haut sans aucun abris. Les orages en montagne, ce n’est pas une simple petite pluie avec quelques éclairs… C’est le déluge, la température chute très fort, la grêle s’invite, les éclairs tombent, effrayants, on a l’impression que ça n’arrête pas. Et quand on se trouve sur une crête à 2000 mètres d’altitude, c’est généralement là aussi que la foudre aime frapper.

Mais comme je n’étais pas en retard et que j’étais sûr d’être sur le bon chemin, pas trop de raisons de s’inquiéter. Je me disais « L’orage fait peur, mais je vais bientôt redescendre sur les lacs, tout ira bien.

J’avançais vite, mais je ne comprenais pas pourquoi c’était si long. Normalement j’étais censé voir le Lac mélo sur ma droite, même à travers l’orage. Mais là je ne voyais qu’un versant abrupt. J’ai commencé à légèrement dévier de ma trajectoire en me disant que j’avais dû louper le chemin qui descend au lac. Mais ne trouvant pas de chemin, je remontais à chaque fois sur la crête. Le terrain commençait à descendre très fortement, cela me paraissait étrange, je devais arriver au col de Bocca Soglia vers 2050 mètres mas j’avais l’impression de descendre beaucoup plus. L’orage se faisait de plus en plus fort et je commençais à avoir peur. A un moment, j’ai sauté au-dessus d’une bute et de l’autre côté, j’ai failli retomber sur le cadavre d’un bouquetin, là depuis sûrement deux/trois jours… En plus de cette vision horrible, le contexte a rendu cette « rencontre » plus effrayante, dans ma tête je me disais : « c’est surement la foudre », « elle va me tomber dessus aussi »…

Je suis enfin arrivé à un col mais là, je n’ai plus rien compris. Selon un panneau, je me trouvais à 1400 mètres d’altitude alors que j’étais censé arriver à un col à 2050 mètres. Sur ma carte je ne trouvais pas de col à cette altitude. J’essayais de capter du réseau mais dans les montagnes, en Corse, c’était peine perdue. J’ai donc pris la décision de descendre dans une vallée sur la droite, en espérant quitter l’orage. Après 200 mètres, dans le stress, je me suis mis sous ma couverture de survie. Mais je n’y suis pas resté longtemps. Après cinq minutes, je suis descendu encore plus bas. Après avoir traversé un torrent en furie, je suis tombé sur une vieille bergerie. J’ai décidé de m’y abriter pour me sécher et manger un bout.

Pendant ce temps j’ai essayé de retrouver du réseau; à nouveau, rien. Avec ma boussole, les courbes de niveau et la végétation, j’ai compris que je n’étais pas du tout au bon endroit et je ne comprenais toujours pas où j’étais. J’ai décidé de revenir sur mes pas et de retourner sur cette crête. J’allais trouver le fameux col de Bocca Soglia. Le problème est que j’étais descendu vraiment bas et j’ai dû remonter assez longtemps. De retour au col, à 1400 mètres, je suis aussi retourné dans l’orage. Quand j’ai vu tout ce que je devais remonter, j’ai compris que je n’en avais pas fini avant un bon bout de temps avec cet orage.

J’ai continué mon chemin… Et je suis passé dans un « mode » que je ne connaissais pas chez moi, le « mode survie ». Je ne voyais rien à dix mètres, trois pas me paraissaient parfois infiniment longs. Parfois je pleurais, je m’effondrais au sol, trempé jusqu’aux os. Je désespérais, je n’avais aucun moyen de contacter ma mère qui devait sûrement s’inquiéter, j’avais peur de ne pas arriver à temps au rendez-vous. J’avais peur de l’orage, de cette foudre qui tombait très proche de moi. Parfois je comptais le nombre de secondes entre l’éclair et le tonnerre : moins d’une seconde, cela voulait dire que la foudre était tombée à moins de 300 mètres de moi. Parfois, je pétais un câble en me disant « pourquoi je n’ai pas trouvé le bon chemin ? », « il y a trois heures j’étais sous le soleil au sommet du Monte Rotondo et maintenant ici ? », il me paraissait tellement loin ce sommet d’ailleurs. Je me relevais et je jetais des cailloux de rage le plus fort possible puis j’éclatais en sanglots, ensuite je me ressaisissais mais vingt secondes après je retombais. L’expression « pleurer sa mère », elle est vraie. Je ne voulais qu’une chose, c’était ma mère. J’ai 17 ans et c’est bizarre de dire ça, mais je pleurais ma mère. Dès qu’il y avait une brèche vers la gauche, je descendais à travers tout sans vraiment savoir ce que je faisais. Je me disais que j’allais sûrement retomber sur le lac. Un moment, je me souviens d’être tombé sur une dalle glissante et d’avoir chuté de six ou sept mètre sans avoir peur, sans me dire « mais putain, qu’est-ce que tu fous, resaisis toi ». J’étais en mode survie et j’avançais sans vraiment réfléchir. Je suis remonté pour une énième fois sur cette crête, me rendant compte que le lac n’était vraisemblablement pas là à gauche.

Cette fois-là, en arrivant sur la crête, je suis tombé sur deux randonneurs sous leurs ponchos de pluie. Ils étaient aussi trempés que mois mais ils avaient l’air de savoir où ils allaient. J’ai crié, l’homme s’est retourné et il m’a regardé vraiment surpris de me voir sortir de nulle part. Je n’ose pas imaginer la tête que j’avais. Je me souviens de lui avoir demandé « You speek english ? », « I’ve lost myself in this storm, I don’t know where I’am standing. Do you know where we are ? I have to go to the “Lake Melo”, in the Restonica valley». Le gars m’a répondu que j’étais à deux jours de marche de la Restonica et que je ferais mieux d’aller jusqu’au refuge de Petra Piana où j’étais passé au matin. Je ne comprenais pas, j’étais parti le matin même de la Vallée de la Restonica. Comment je pouvais me trouver à deux jours de marche de celle-ci ? Je me suis dit que, de toute façon, le gars avait raison, il fallait que je retourne au refuge.

Cette rencontre avec les deux randonneurs m’a servi en quelque sorte à sortir de mon mode survie, de commencer à revoir le jour. J’ai continué mon chemin, cette fois en restant sur la crête. Mais l’orage était toujours aussi fort et je voyais la foudre tomber sur la crête voisine. A un moment, l’éclair était tellement fort et tellement près de moi que je me suis dit qu’il était sur moi. Je me suis mis à courir de plus en plus vite, voulant sortir au plus vite de ce cauchemar (on m’a d’ailleurs expliqué qu’il ne fallait surtout pas courir dans un orage, car on augmente la différence de potentiel entre nos pieds et cela attire plus la foudre). Finalement, le refuge… Je voulais y arriver tellement vite que je me souviens avoir coupé à travers tout, escaladant des buissons, en tombant tous les cinq pas. Je suis arrivé au refuge vers 16 :30. Tous les gens assis sous l’abri devant le refuge se sont arrêtés de parler quand ils m’ont vu. Je me demande quelle tête j’avais… Après cinq heures et demies dans la tempête, plus ou moins 45km depuis le matin, et 3 000 mètres de dénivelée positive, je m’arrêtais au refuge.

Le brouillard s’est levé et j’ai vu l’autre chemin… celui que j’aurais dû prendre. En regardant sur ma carte, je me suis rendu compte que j’avais pris une variante du GR20, en passant au refuge le matin et en m’engageant sur ces fameuse crêtes. Je venais d’enchainer l’équivalent de trois grandes étapes du GR20.

Tout ce que je venais de vivre au niveau émotionnel, je l’ai rangé de côté en quelques secondes, car tout allait mieux. Sigmund Freud aurait appelé ça “le refoulement”. J’ai refoulé sur le moment tout ce que je venais de vivre.

Le gardien a été super sympa avec moi. Il m’a prêté des vêtements secs puis il m’a dit qu’il me gardait là pour la nuit, qu’il ne voulait pas me laisser repartir dans la tempête. Je n’arrivais toujours pas à joindre ma mère pour la prévenir. On a finalement pu joindre les pompiers de la ville (Corte) pour que si jamais ma mère les appelle, qu’ils la rassurent, et qu’ils ne déclenchent pas de secours. Et j’ai finalement réussi à la joindre et lui dire que j’étais en sécurité,  que je redescendrai le lendemain, cette fois par le bon chemin.

C’est une semaine après avec un ami, Bruno, que je me suis rendu compte de ce que j’avais vécu. Nous étions sur le glacier d’Argentière, en train de redescendre en vallée, à cause d’un orage. En me retrouvant à nouveau dans un orage en montagne tout ce que j’avais refoulé en Corse en arrivant au refuge m’est revenu. Je n’ai rien dit à Bruno… Les deux semaines qui ont suivi, j’ai passé la moitié de mes nuits à penser à « Mon orage ».

Je pense que si je ne m’étais pas perdu et que je m’étais ‘’seulement’’ trouvé dans cet orage, en sachant où j’étais, je n’aurais pas perdu mes moyens à ce point. Le fait d’avoir un rendez-vous avec ma mère et de ne pas pouvoir la prévenir m’a aussi rajouté beaucoup de stress. C’est tous ces faits qui m’ont plongé dans ce mode survie : l’orage, la peur de la foudre, le stress que ma mère s’inquiète, le fait de ne pas du tout savoir où j’étais et la fatigue.

Ce qui m’est arrivé m’a servi à grandir et à éviter de commettre certaines erreurs à l’avenir. Premièrement, j’avais regardé la météo la veille mais pas le matin même, les prévisions peuvent changer. Ensuite, je pense que j’ai été beaucoup trop sûr de moi. Cela peut nous être fatal en montagne dans certaines situations. Je me suis dit que je connaissais la montagne et que j’allais seulement faire une petite randonnée. Je connais peut être les Alpes, et surtout aux alentours de Chamonix. Mais je ne connaissais pas les montagnes corses. Ce ne sont pas du tout les mêmes montagnes, la météo y est très différente étant donné le fait que la Corse est une île. De plus, dans les Alpes, la limite où les arbres poussent est souvent vers 1800m alors qu’en Corse cette limite se trouve plus vers 1200m.

J’ai ce caractère assez fonceur qui me met parfois dans des situations délicates. Cette fois-ci, je pense que la situation n’était pas entièrement de ma faute, mais si j’avais pris le temps de plus me renseigner et faire attention à la météo peut-être que rien ne me serait arrivé…

Florian