Sur un coup de tête, le tour des glaciers de la Vanoise en solo et en autonomie pour 4 jours.

Tour des glaciers de la Vanoise en solo, 71 km, 2 jours et demi

Je suis parti sur un coup de tête direction la Vanoise. Pas le temps, pas le courage de proposer à des potes, ou négocier d’autres dates, besoin de quelques jours au grand air là tout de suite.

Une brève recherche sur internet, et je trouve le récit d’un type qui a fait le « tour des glaciers de la Vanoise en 4 jours ». 4 jours seul, en autonomie, ça m’emballe.

Après 8 heures de route j’entame sans transition ma montée vers la première étape : le refuge du col de la Vanoise, anciennement appelé « Felix Faure ». Départ du parking du bouquetin à Pralognan-La-Vanoise vers les Hameaux de Barioz puis les Bieux avant de constater qu’on peut aussi se garer bien plus haut au hameau des Fontanettes. « Si j’avais su… oh et puis au moins je suis parti de tout en bas ». Je me mets sur les rails du GR55 qui longe un télésiège direction le refuge des Barmettes, où je ne m’arrête pas. Je suis parti à 18h et le topo indique 4h de montée, donc il ne faut pas traîner si je veux arriver avant la nuit.

Enfin j’entre dans le vif du sujet : des alpages à couper le souffle, les premiers bouquetins et les premières marmottes apparaissent, ainsi que la Grande Casse en arrière plan (le plus haut sommet du parc de la Vanoise). J’atteins le Lac des Vaches après 1h45 de rythme soutenu (je suis vraiment content d’en baver). Un vestige de l’aire glaciaire traversé en plein centre par un joli chemin de pierres.

Peu avant le col, la montagne se met à trembler. Je me retourne : un nuage gigantesque, noir de noir, surgit de nulle part et avance à une vitesse incroyable dans ma direction. C’est vrai qu’aux infos ils parlaient d’alerte orange, je n’avais pas compris que c’était sur mon secteur ! Je ne suis pas loin du refuge, je presse le pas. Sur la route, je croise une famille avec deux enfants qui s’apprêtent à redescendre vers Parlognan. Pas de sac, pas de veste, ils sont là à gambader, photographier les marmottes, tranquille. J’hésite quand même à leur dire que c’est pas très raisonnable voir plutôt vachement risqué d’entamer la descente à cette heure-ci (20h30) avec un monstre pareil au dessus de leur tête…puis je me dis qu’ils comprendrons assez vite…

J’arrive au refuge avec une heure d’avance. Je demande où planter ma tente, on m’indique…une terrasse en bois : « oui c’est pas pratique mais bon vous savez, vous bidouillez un peu avec des cailloux, vous coincez les sardines entre les planches ». J’ai à peine le temps de dire « mais heuuu » que ça y est, c’est l’apocalypse : la petite dizaine de tentes qui étaient déjà montées se prennent de la grêle suivie de rafales de vent terribles. Je file demander s’il reste une place en dortoir, le refuge étant bondé. Heureusement je chope la dernière in extremis, « mais c’est le dortoir des alpinistes, ils se lèvent à 3h ». Youpie.

Ambiance ambiance au bivouac…

Le temps de poser mes affaires et redescendre pour manger, que les « bivouaqueurs » rentrent tout penauds avec leur tente détrempée dans les bras : 5 d’entre-elles ont été déchirées ou leur armature s’est brisée. C’est dire la force d’un orage de montagne. Pendant ce temps, le refuge s’éteint puis se rallume, vibre à chaque coup de tonnerre, et dès qu’une porte s’ouvre vers l’extérieur une mini tornade s’engouffre.

Les pauvres types trempés s’apprêtent à passer une (mauvaise) nuit par terre dans la mini salle des réchauds, mal mis entre les tables et les bancs. Mais ce n’est pas le pire : je surprends une discussion entre gardiens : en allant chercher le linge dans la « salle séchoir », l’un d’eux a trouvé la famille que j’avais croisée, (qui a fait demi-tour). Trempés frigorifiés, ils n’ont même pas pris la peine de se signaler au refuge, ils comptaient passer la nuit là, en stoemeling emballés à 4 dans une pauvre couette pas hyper sèche…

La soirée se passe bien, même super bien dès lors que je sors ma botte secrète : j’attends que tout les clients soient couchés pour proposer une tournée de rhum à l’équipe. Un bon moyen de se faire des amis quand on est tout seul (soolituuuude). Ils sont tellement ravis qu’ils sortent à leur tour le génépi et la chartreuse… Autant vous dire qu’on a pas joué au Scrabble.

La nuit est classique en dortoir : malgré mon état un peu imbibé, le ronfleur d’à côté et la sensation du matelas en plastique sur ma peau me rappellent à quel point il est impossible de bien dormir en refuge.

Lever 6h, enfin non 3h, enfin non, heu 4h, enfin bref… lever… Je suis impressionné par la vitesse à laquelle on est prêt quand on est seul. En quelques minutes je suis déjà sac au dos vers ma prochaine étape, mais avant ça il faut que je check un truc : sur le topo que j’ai chopé sur internet le type a fait 4 jours.

Pralognan – Refuge du col de la Vanoise (4h selon lui)

Refuge du col de la Vanoise – Refuge de l’arpont (6h selon lui)

Refuge de l’arpont – réfuge de la dent parrachée (7h selon lui)

Refuge de la dent Parrachée – retour Pralognan (7h30 selon lui)

J’aimerais bien griller une étape pour gagner un jour dans le coin, et ainsi aller voir de vieux copains qui habitent près de Chamonix. Je demande aux gardiens ce qu’ils pensent de ceci : « refuge col de la Vanoise – refuge de la Dent Parrachée en une journée ? ». Selon mon topo ça fait la journée de 13h… ce qui me paraît quand même assez hard core. Ils me confirment que « certains l’ont déjà fait » mais que « c’est une bonne trotte, tu vas un peu souffrir » et puis PAF le coup de grâce : « ça dépend si t’as une bonne condition physique »… Mais… EVIDEMMENT que j’ai une bonne condition physique ! Il n’en fallait pas plus pour me chauffer. Je pars donc avec cet objectif en forçant le pas.

Quand on marche seul, surtout à l’aube, on a tendance à aller super vite. Je suis tellement chaud et enthousiaste que je prends les bouquetins en photo à la volée, sans m’arrêter. Le trajet passe par deux lacs de montagne, puis entame un virage à droite en passant par un genre de bunker, puis un pierrier où il est impossible de se perdre vu le nombre de cairns. S’en suit un looong et magnifique chemin qui passe par des vues à couper le souffle, des lacs irréels, des cascades et des torrents magnifiques.

Après 3h30, j’arrive au refuge de l’Arpont : « 3h de moins que ce que disait le type dans son topo ! Yaaaah ! ». « Yaaaah » c’est aussi le cri que je fais 10 seconde après quand j’enlève mes chaussures : j’ai trois mini cloches. Ce genre de petites cloches impossible à recouvrir d’un Compeed parce qu’elles se logent sur la plante des pieds, dans une crevasse, ou sur le bout du petit orteil. Le « tu vas un peu souffrir » des gardiens du col prend tout son sens.

Après un morceau de « tomme fermière des bauges® » et quelques rondelles de saucisson bien sec au chanterelles, je suis regonflé à bloc. Mais les panneaux indiquent 7h pour le refuge de la Dent Parrachée. Je me dis « oula… je craque un peu là », puis regarde l’heure : 11h du matin ! Moi qui avais l’impression d’entamer la soirée déjà ! J’ai tout mon temps en fait hahaha (rire nerveux) ! Je file donc…

L’itinéraire passe par « la Combe de l’Enfer » qui porte bien son nom, mais que j’aurais plutôt appelée « la Combe de Fais-Pas-Trop-Le-Malin » parce que je suis stoppé net dans mon élan: il commence à faire caniculaire, et ça grimpe sec, dans un petit vallon pas du tout aéré, une fournaise. Tiens à propos je me dis que c’était pas une bonne idée d’oublier volontairement la crème solaire sous prétexte que « c’est trop de poids ».

Je longe ensuite le long « chemin balcon » sur les flancs de la Dent Parrachée. Magnifique, mais sans carte, c’est une épreuve mentale : « oui mais si c’est ça la Dent Parrachée, alors le refuge doit être par là, ou par là… enfin pas loin quoi. Bon il est où ce refuge !? ». J’avoue que là j’en bave un peu. Mon corps me signale quelques fois qu’il serait temps de s’asseoir, et de boire 20 litres d’eau. Ce que je fais, mais le petit « moi-même diable » me souffle à l’oreille que « tous les gens que tu as dépassé sont en train de te rattraper ». Donc je l’écoute et les pauses ne durent jamais longtemps.

Je finis tout de même par en voir le bout, et arrive au fameux refuge de la Dent Parrachée avec… 2h d’avance sur ce que je m’étais fixé. Je commande « la plus grosse bière que vous ayez » à Franck le gardien, qui est connu dans le coin pour être un joyeux luron.

Dans ce refuge, il y a une ambiance géniale : pas trop de clients, du coup tout le monde discute, au soleil, sur la terrasse, avec une super vue… j’ai déjà l’impression de connaître tous ces gens depuis des années, c’est génial. Quand soudain : « à taaaable! ». Damn it ! Tout le monde rentre, et moi je reste dehors, seul ! Mais oui ! Parce que « tu es en autonomie, et puis t’as pas porté toute cette nourriture lyophilisée pour rien hein! » me murmure le « moi-même ange ». « Oui mais prend quand même encore une bière » ajoute le « moi-même diable ».

Je me retrouve donc seul, assis à côté de ma tente, qui elle-même est à côté du refuge, à manger une goulasch dégueulasse de chez Décathlon pendant que cette odeur de diots de Savoie me monte au nez…

La goulasch expédiée, je vais faire part de mon désarroi aux gardiens en passant ma tête par la porte de la cuisine : « bah-si-j’avais-su-j’aurais-jamais-fait-ça-sous-tente-et-en-autonomie-c’est-naze-on-est-tout-seul-et-triste-en-plus-ça-sent-les-diots-et-puis-j’avais-quand-même-pas-porté-ça-pour-rien-et-blablabla ». La fille de l’équipe à qui je me confie me tend un « ti punch » comme pour me faire taire.

À nouveau, la soirée est dingue. Même pas besoin de sortir ma flasque de rhum pour « acheter des amis », ils viennent à moiii ! (J’ai vaincu la solituuude). On papote, on rigole, on joue à des jeux improbables, on se fait engueuler par ceux qui se réveillent à 1h, etc. Puis je m’éclipse pour tout de même proposer un coup de gnôle à l’équipe du refuge restée dans l’arrière cuisine. Même topo : ravis, ils sortent l’arsenal. Franck, le chef, m’offre même une BD qui illustre ses plus belles anecdotes (voir ci-dessous). Cette fois, je m’écroule dans ma tente, et passe une super nuit, malgré ce félon de cailloux qui me transperce l’omoplate.

Je me réveille super tard c’est-à-dire 8h. Tout le monde est parti ou en partance. À nouveau, il me faut 2 minutes pour être fin prêt (c’est « l’effet tout seul »). Le « moi-même diable » me souffle au creux de l’oreille « ça serait classe de tous les rattraper et les dépasser », l’autre enchaîne avec « la compétition est malsaine, profite plutôt des beaux paysages ». J’écoute le diable évidemment. Direction le col d’Aussois.

Quand on est seul, c’est indéniable, on va deux fois plus vite qu’à son habitude. Je suis donc au col assez vite avant tout le monde, puis sur la Pointe de l’Observatoire (3000m) à contempler la plus belle vue depuis le début du trek : on y voit le Mont Blanc, la barre des Ecrins, la Tarantaise, la magnifique Dent Parrachée, etc. Je me prends en photo avec le minuteur : 10 secondes pour courir vite vite jusqu’à ce petit promontoire et puis avoir l’air naturel « hein quoi ? Comment ça une photo ? Ah bon ? ». Je vous laisse juger.

Le topo initial prévoit un retour vers Parlognan de 7h30… eh bien pour une fois il a raison ! Moi qui n’aime pas les descentes, celle-là est jolie, mais interminable. On commence par un pierrier, puis un alpage, puis une piste, puis… des millions de kilomètres sur le macadam ! Dans le topo du type, il conseille de faire du stop, mais j’ai ma fierté. Je finis donc la boucle à pied, en 2 jour et demi au lieu des 4 jours prévus initialement. J’ai donc tout mon temps pour aller voir les potes à Annecy !

Je retiens de ce trip tout seul que :

– Partir en autonomie dans le parc national de la Vanoise n’a aucun sens : il y a 50 refuges ! Planter sa tente à 5 mètres, y manger de la bouffe lyophilisée tout seul c’est pas funky. Je préfère largement payer la nuitée et les repas.

– 2 jours et demi pour faire ce tour, c’est suffisant mais en mode speed. Je crois que le mieux c’est 5 jours pour le plus grand tour. Ça fait des étapes plus constantes de 6-7h me semble-t-il. À checker sur une carte que je n’ai pas.

– La goulash lyo de chez Décathlon c’est pas bon

– Changer de chaussettes à la mi-journée c’est la clef du « grand successs »

– « Payer » sa tournée aux refuges ça ouvre les portes de l’arrière cuisine, et ça c’est aussi « grand successs ».

 

BONBONUS :

l’anecdote de Franck, le gardien du refuge de la Dent Parrachée

Un jour je reçois un mail d’une demoiselle de Bruxelles qui voulait faire l’ascension du plus haut sommet à proximité du refuge de la Dent Parrachée, c’est à dire… la Dent Parrachée. Environ 3 700 m. Elle m’envoie un mail. Et tu sais ce qu’elle écrit dessus ? Je cite :

“comme vous l’avez compris dans mes différents MAILS j’envisage de faire l’ascension du plus haut sommet à proximité de votre refuge, la Dent Parrachée, environ 3 700 m. Jusqu’à 3 000 m ça ira. Au delà, je ne sais pas. Croyez-vous nécessaire que j’emprunte une bouteille d’oxygène ou un masque de plongée afin de garantir le sommet ?”

Moi comme je ne sais pas dire non, je lui dis : “Madame vous savez dans la vie, il vaut mieux mettre toutes les chances de son côté”. 

J’ai raconté cette histoire à tous les guides qui venaient au refuge. Elle venait le 4 juillet? Le 4 juillet le refuge était full. Ils voulaient tous voir la bonne amie avec sa bouteille d’oxygène. 

Heureusement son guide lui a dit que ce n’était pas forcément nécessaire. Et… qu’on se le dise, elle a réussi l’ascension du plus haut sommet à proximité du refuge de la Dent Parrachée, même sans oxygène…