Voilà 5 ans qu’un projet me trotte dans la tête. L’exploration d’une péninsule volcanique à l’extrême est de la Sibérie! A mi-chemin entre le Japon et l’Alaska, le Kamchatka n’est autre qu’une énorme chaîne de montagne riche de 300 volcans dont une trentaine sont encore en activité. On peut aussi relever une haute concentration en ours bruns, saumons et autres nuées de moustiques. C’est donc un vaste terrain de jeux aux innombrables merveilles qui s’offre à nous.
5 ans après l’émergence de cette idée et maintes évolutions, nous l’avons menée à bien!
Kamtchatka
Le Kamcha-quoi ?
« Tu pars en vacances en Sibérie pendant un mois ? Grimper sur des volcans en activité au milieu d’ours ?! Et t’es la SEULE FILLE ?!?! »
C’est parfois un mélange d’incompréhension et de perplexité que suscitait l’explication de notre future expé en contrées lointaines. Les mecs de la team (Castou, Pyoupyou, Karlotta et Thom) en rêvaient depuis des mois et des mois : partir au Kamchatka, pendant un mois, pour grimper en haut du Kamen et du Kluchevskoya, deux volcans perdus dans un décor qui fait rêver. Moi (Céc), je me suis incrustée sur le tard dans cette expé, pour compléter notre team finalement constituée de 5 personnes. Pour plusieurs d’entre nous, c’était la première « grosse expé vraiment loin vraiment longtemps » qu’on allait faire, l’excitation était maximale.
Le Kamchatka, « Land of Fire&Ice » (ça fait un peu épique hein), c’est une péninsule volcanique à l’Extrême-Orient de la Russie, comptant pas moins de 300 volcans, des geysers, pas d’accès terrestre au reste du continent, des températures qui droppent à -50° en hiver, disposant de l’une des plus grandes populations d’ours bruns au monde, et du saumon en veux-tu en voilà. Ancienne base militaire russe et abritant encore des gros sous-marins nucléaires, cette région n’est ouverte qu’au tourisme étranger depuis les années 90. Ça semblait suffisamment hostile, sauvage et isolé que pour attirer notre team.
C’est parti !
C’est donc au terme d’interminables discussions sur l’itinéraire, les objectifs, les transports, les permis, visa, matos (beaucoup beaucoup de discussions sur le matos, la passion de Castou et Pyoupyou), que nous nous envolons le 14 juillet 2019 pour débuter notre périple. Direction Petropavlovsk-Kamchatski, la capitale de cet endroit un peu perdu. À notre arrivée, manque de bol, il manque le sac de Pyoupyou et le mien. Ça risque de compliquer les choses. On oublie momentanément tout ça en testant la théorie du « litron de bière », selon laquelle peu importe le niveau de fatigue, il suffit de boire un litre de bière pour être à nouveau bouillant. Je ne vous dirai pas si ça fonctionne, je vous invite à la tester vous-même ! #labusdalcoolestdangereuxpourlasanté. Le lendemain (enfin quand on se réveille à 15h, il y a 10h de décalage horaire quand même), on part récupérer nos sacs qui sont miraculeusement arrivés. On règle une question de permis pour accéder à Klioutchy, la première étape de notre trip, et on fait les courses pour les trois prochaines semaines, ce qui est un sacré challenge. Au menu : plein de lentilles, de petites graines, des fruits secs et beaucoup de porridge (moi je mange ça dans la vraie vie aussi donc je suis ravie). Dernier stop, on doit acheter des bombes au poivre, pour se protéger des ours (bon il paraît aussi que si l’ours est suffisamment proche que pour pouvoir utiliser la bombe, tu es déjà dans la merde). Espérons ne pas en avoir besoin ! Au passage, on découvre Petropavlovsk, ville un peu terne, à l’architecture austère et bétonnée. Elle satisfait néanmoins tous les clichés que l’on peut avoir sur la Russie : le style militaire est encore très à la mode, et des petits hauts parleurs diffusent des messages pour les camarades de la ville. On se croirait quelques dizaines d’années en arrière, si ce n’est que tout le monde roule en énorme truck.
Après en avoir terminé avec ces aspects logistiques, on peut enfin démarrer. Prochaine étape : rejoindre Klioutchy, petit village qui sera le départ de notre aventure sur nos deux pieds. Environ 600km séparent Petropavlovsk de Klioutchy, que l’on va parcourir en bus. À l’arrêt de bus, on s’interroge : sommes-nous 5, sommes-nous 10 ? Personne ne le sait. Ce qu’on sait, c’est qu’on a vraiment beaucoup de sacs, tellement que le chauffeur nous fait payer un supplément pour nos bagages. Dire qu’on va porter tout ça sur nous pendant trois semaines ! AHAHAH.
10h plus tard, nous voilà à Klioutchy. On a pris notre logement dans la seule GuestHouse du bled, et la dame qui nous accueille n’est pas des plus sympathiques. Elle veut absolument vérifier que nos autorisations sont en ordre pour rentrer dans Klioutchy : il faut un permis parce qu’une base militaire s’y trouve. La communication est un peu difficile (apparemment je ne suis pas devenue bilingue français/russe pendant le trajet en avion, malgré l’achat d’un guide « le russe pour les nuls en voyage »), mais visiblement, il y a un problème. Du coup on a droit à une petite visite de la part de la police, qui nous apprend que nous aurions dû avoir une version signée d’un papier blablabla qu’on a pas. Merci les infos fiables à Petropavlovsk ! On est emmenés au commissariat à 19h30, pour répondre à plein de questions absurdes pendant des heures. On reçoit un joli papier en cyrillique disant qu’on a commis une violation du territoire russe, et une amende de 30 euros (le prix du permis qu’on avait déjà payé… soit). Les policiers sont assez sympas et ils ont des chouettes portraits de Poutine dans leurs bureaux. Heureusement parce qu’on y restera jusque 23h30. Nouvelle déconvenue : le seul policier qui parle un peu anglais nous apprend que le chemin que nous pensions emprunter pour commencer notre aventure traverse en réalité littéralement la base militaire, et qu’on ne pourra donc pas l’emprunter, même avec tous les permis du monde.
Deux options s’offrent à nous : (1) prendre un autre chemin, qui n’en est pas vraiment un, et jouer à cache-cache avec les ours dans les hautes herbes ou (2) retourner en voiture à Kozyrevsk, petite bourgade à une heure de Klioutchy (ce qui nous fait revenir un peu sur nos pas). Nous choisissons néanmoins cette deuxième option. Problème : de Kozyrevsk, il faut parcourir environ 35/40km dans la forêt, sur du plat, avant d’arriver à Kopyto, point de départ des randonnées dans le parc du Kluchevskoya. Ça ne nous excite pas plus que ça de se promener dans les bois au milieu des ours avec nos sacs full du premier jour, donc on essaiera de trouver un 4×4 ou un camion pour les éviter. Après avoir erré comme des âmes en peine dans Kozyrevsk à la recherche d’un chauffeur abordable, on trouve enfin notre bonheur : un magnifique camion ambiance armée, avec six ENORMES roues et des sièges tout défoncés, ça met de l’ambiance ! (on aura été bien inspirés de prendre le camion et de ne pas se lancer à pied dans la forêt, vous découvrirez pourquoi plus loin dans la suite de ce récit ! Suspens – comme ça vous continuez à lire ma tartine).
Ces petits tracas du début d’aventure (la disparition de nos sacs et l’aller-retour option commissariat à Klioutchy) nous font perdre deux jours sur notre programme initial. On est donc hyper contents quand on monte dans notre camion : l’aventure peut enfin commencer !!
Les choses sérieuses commencent
Après deux-trois heures de montagnes russes (LOL) en camion (on comprend vite pourquoi un petit 4×4 n’était pas suffisant, il y a des énormes ornières), nous arrivons à Kopyto. On commence à distinguer une petite cabane et un groupe de touriste que le camion venait rechercher (d’où le prix avantageux), et là, BAM, un énoooorme ours est en train de courir vers la cabane et vers nous ! On fait des grands signes aux touristes pour indiquer sa présence au groupe. Il est maintenant vraiment à côté de la cabane. Sa taille est impressionnante ! Après l’avoir vu, les touristes sont maintenant légèrement paniqués et utilisent une espèce de fusée pour faire peur à l’ours, qui s’en fiche complètement. De notre côté on essaie de décharger nos sacs le plus rapidement possible dans la cabane sans rien oublier dans le camion. Le groupe monte dans le camion qui s’éloigne, et on se retrouve seuls, avec nos bearsprays en main et, bien sûr, les moustiques. Si nous avions déjà remarqué leur présence depuis notre arrivée à Klioutchy, c’est au-delà de tout ce que j’aurais pu imaginer : il y a littéralement un milliard de moustiques autour de nous, qui piquent chaque centimètre carré de peau laissé accessible. On en vient même à se mettre en plein dans la fumée du petit feu parce qu’elle éloigne les moustiques (qui aurait cru que cela aurait pu être considéré comme une option confortable ?) Il n’en faudra pas beaucoup pour que je ressemble à Elephantman dès le lendemain, puisque mon magnifique chapeau à filet n’est pas suffisamment épais que pour les empêcher de piquer au travers. Après un bon premier repas (tiens, vous aussi votre couscous goûte l’essence ?), on s’installe dans la cabane pour notre première nuit.
Le « portage »
On est le 20 juillet, la partie « portage » du voyage peut commencer ! Castou refuse d’accepter que nous sommes en train de randonner. Selon lui, nous faisons du « portage » : cela consiste à amener toutes nos affaires au camp de base avant de rayonner pour faire les sommets que nous avons en-tête. OK ! On découvre les premières magnifiques vues des volcans, le Tobalchik, puis le Kamen et le Kluchevskoya. Il fait beau, on est heureux, pas d’ours en vue, les moustiques se raréfient, tout va bien ! Le paysage ressemble au Rohan dans le seigneur des anneaux. On est quand même très chargés et on n’avance pas très rapidement. Un petit calcul rapide et j’en conclus que je porte 30kg sur mon dos, soit 50% de mon poids… Les mecs doivent avoisiner les 35kg chacun. Notre dernière pause de la journée dérape, et on ne redécollera plus avant le lendemain.
Le lendemain, on se lève sous une petite bruine, qui va ne faire que s’intensifier au fur et à mesure de la journée. Une bonne grosse drache à la belge – idéal pour fêter le 21 juillet. Plus la journée avance, moins on a de la visibilité. On se retrouve rapidement à longer le glacier pendant une bonne partie de la journée. Il est entièrement recouvert d’une suie toute noire, le paysage ressemble maintenant plus au Mordor qu’au Rohan. C’est bien, la quête avance. Ça monte, ça descend, ça traverse des petits ruisseaux, ça tombe (enfin je tombe), ça avance. La pluie tombe de plus en plus fort, et on décide finalement de poser nos tentes et de s’installer pour la nuit avant d’arriver sur le glacier (et d’être en hypothermie). Une fois rentrés dans nos tentes et avec des habits plus ou moins secs, on se rend compte qu’on est à court d’eau… et qu’on ne peut donc pas cuisiner. Tant pis, il pleut trop, on se contentera d’une barre de twix chacun avec Pyoupyou (worst idea ever – j’ai deux fois plus faim après avoir avalé ce minuscule repas). On s’endort avec le bruit des gouttes sur le toit de la tente et de nos ventres qui gargouillent.
Le lendemain, soulagement ! La pluie a cessé, le soleil se lève, on a une vue magnifique sur les volcans autour de nous. C’est dingue à quel point l’ambiance peut changer en fonction de la météo! On profite du soleil revenu pour étaler toutes nos affaires trempées un peu partout et les faire sécher. On s’envoie un gros bol de semoule/lentilles/porridge (oui, tout en même temps, on a faim) pour reprendre des forces. On comprend qu’une bouteille d’essence a en fait coulé dans le sac de Karlotta, et que c’est pour ça que nos repas sont assaisonnés de manière un peu inhabituelle… Pas de bol, il a au moins 10 jours de bouffe dans son sac !
Après ce repas réconfortant et à nouveau secs, on continue notre progression pour arriver sur le glacier. Le paysage est lunaire, on zigzague entre des petits monticules de glace, ça monte bien, la visibilité n’est pas excellente. Après trois jours, j’arrive enfin à soulever mon sac toute seule pour le remettre sur mes épaules, un succès ! (j’avais besoin d’une petite assistance avant #pasdemuscles). On arrive finalement sur le dessus du glacier, et on atteint une immense mer de glace, avec le Krestovsky (4057m) et le Ushkovsky (3943m) à gauche, et le Kamen (4579m) et le Kluchevskoya Sopka (4750-4800m) à droite, le Tobalchik (3085m) derrière nous, le ciel s’est un peu dégagé et c’est magnifique.
On commence à distinguer la « hut » au loin, une petite cabane construite pour permettre aux vulcanologues de venir étudier les volcans. Il y en a en principe deux, celle que l’on aperçoit, et une plus haut, sur le col entre le Kamen et le Kluchevksoya. La petite cabane se rapproche et je demande aux autres s’ils ont une idée du temps qu’il nous faudra pour la rejoindre. Castou me répond de ne jamais faire de pronostiques en montagne. Il avait raison ! Nous étions arrivés très proches de la cabane, mais une profonde rivière au fond du glacier nous barre la route. Elle est tout juste trop large que pour sauter au-dessus, avec le poids de nos sacs. La rivière nous oblige à faire un énorme détour, nous éloignant toujours plus de la cabane. Mon sac me semble d’un coup encore plus lourd que les jours précédents. On est tard dans l’après-midi, la glace sous nos pieds fond, et on se retrouve vite à patauger dans 15cm de flotte et à s’enfoncer à chaque pas. Lorsque l’on peut à nouveau marcher en direction de la cabane, elle est de nouveau très loin, on s’enfonce parfois dans l’eau jusqu’au genou, c’est épuisant. Pour l’instant, le Kamchatka c’est plutôt « Land of Flotte&Fire » !
Lorsqu’on arrive enfin à la cabane, plusieurs heures après l’avoir aperçue pour la première fois, on découvre qu’elle est minuscule, beaucoup plus que ce qu’on imaginait de loin. Et surtout, elle est complètement détruite : le toit est défoncé, il y a des déchets partout autour, pas super cozy. Pas grave, on est tellement contents d’être arrivés qu’on s’en fiche. Cet endroit sera notre camp de base pour les prochains jours, alors on monte les tentes, on fait des petites barricades de pierres autour pour les protéger du vent. Au moment de préparer le repas, c’est le drame : impossible de faire démarrer le réchaud… Thom, Karlotta et Pyoupyou passent deux heures à tout essayer, mais rien ne fonctionne. On va donc se coucher pour le deuxième jour d’affilée le ventre vide (après un petit paquet de fruits secs quand même cette fois), ça devient challenge de trimballer autant de brols sans rien manger !
Le lendemain, on décide de se prendre une journée de pause pour se reposer des jours précédents. On devra faire une journée de repos forcé le lendemain également, pour cause de petite tempête de neige. Deux journées à papoter dans la tente, dormir, chiller. Heureusement, le réchaud fonctionne à nouveau ! On mange « beaucoup » pour récupérer, et on fait un peu de repérage pour les ascensions à venir.
Il est temps de sortir les crabes et les pioches !
Avec tout ça, on est déjà le 25 juillet, et on peut se lancer pour notre première ascension ! On s’attaque au volcan Ushkovsky en face de nous. Réveil à 2h, full vent. Réveil à 4h, full vent. À 6h, le temps est bon et le ciel est bleu, on se décide ! Dernier petit check matos et sécurité, et on se met en route. On traverse la petite mer de glace assez rapidement, on met nos crampons et on s’encorde ! On commence à grimper d’abord gentiment, mais ça se corse rapidement. On se retrouve vite à 4 pattes face à la pente qui est, hé bien, bien pentue ! Piolet, crampons crampons, piolet, crampons crampons, PAC PAC PAC, on tape dans la glace et on progresse assez lentement. C’est un mélange glace/neige, et la glace n’est pas toujours super niveau qualité : parfois on tape dedans et une fine couche tombe, sans que le piolet s’enfonce. Castou mène la cordée, et en ayant le nez dans la neige, perso je n’ai aucune idée de où on en est dans la pente, ni depuis combien de temps on monte. On finit par arriver sur le replat, on se claque un petit snickers pour fêter ça. Le sommet doit être à environ 1 ou 2km sur notre gauche. On se remet en marche, et quand on se retourne, MAGIE ! Des petits « chapeaux » de nuages se sont formés au-dessus des deux volcans en face, la vue est incroyable.
Des nuages commencent à nous entourer. Aller au sommet consiste en fait à marcher sur du plat pendant encore un moment, on se dit qu’on a fait la partie chouette et que vu le temps, il est sans doute plus sage de redescendre. Rebelote, on se met face à la pente pour redescendre, ça n’avance pas, c’est quand même un peu casse-gueule avec la glace qui se fait la malle à chaque fois qu’on tape dedans. C’est Thom, dernier de cordée, qui nous guide maintenant, ce n’est pas particulièrement simple parce qu’on ne retrouve pas nos traces de l’aller. La fin de la descente est beaucoup plus marrante, on peut se remettre de face et faire des grands pas dans la neige transformée. On arrivera finalement sans encombre en bas, on fête ça avec un petit selfie ! La journée d’échauffement aura quand même été plus musclée que prévu !
Camp de base II
Après cette première ascension, il est temps de quitter notre premier camp de base et rejoindre le col se trouvant entre le Kamen et le Kluchevskaya à 3300m d’altitude. Depuis hier, nous ne sommes plus seuls (au grand dam de Karlotta) : deux russes ont planté leur tente à côté de nous, et partent également pour faire l’ascension du Kluchevskoya. On se moque un peu d’eux parce qu’ils se promènent avec leur petit tapis de fesses accroché à leur derrière non-stop (on découvrira ensuite que c’est la mode dans le parc – avons-nous trop vite snobé cet accessoire ?). Cela dit, ils nous offrent un paquet de petits biscuits, plus que bienvenu quand on se rationne. On a calculé tout pile nos quantités et on a vraiment pas pris grand-chose d’inutile, mais on leur offre deux snickers pour leur dire merci. On leur explique que c’est notre carburant favori et qu’on mange ça pour aller aussi vite que Kilian Jornet (avec un degré de succès relatif). Ils sont ravis ! Toujours est-il qu’il est temps de replier bagages et de s’arracher de là. S’en suit une ascension faite de montées, descentes, dans la suie, ci et là des petites crevasses qui nous rappellent que nous sommes quand même sur un glacier. On avance pas si mal dans ce terrain pas facile, on a perdu de vue les deux russes depuis longtemps. Après avoir marché pendant des heures sur ce qui ressemble à d’anciennes coulées de lave, on rejoint le glacier. Nous arrivons alors à côté de la deuxième petite cabane, encore debout celle-là. Cinq personnes sont déjà à l’intérieur, et comme elle est en fait construite sur le glacier, il fait tout froid et tout humide à l’intérieur, zéro plaisir. Après une petite papote avec un guide russe, on va trouver un endroit pour monter nos tentes pour les prochains jours. Activité barricade de pierres et au dodo tôt, demain on va grimper sur la montagne !
Le Kluchevskoya
Aujourd’hui, on est le 27 juillet, c’est l’anniversaire de Thom, et quoi de mieux pour fêter ça que de faire une petite ascension ?! Le réveil sonne à 4h, et grâce à notre réchaud capricieux, on ne quittera nos tentes que 1h40 plus tard. Pour l’efficacité, on repassera…
Le Kluchevskoya, culminant à environ 4800m d’altitude (les mesures exactes divergent), est un volcan en activité et le sommet de la Sibérie. Puisque le volcan est actif, cela « chauffe » le sol, ce qui fait que la neige ou la glace ne tiennent pas dessus. Il contraste avec le Kamen, en face, éteint depuis longtemps, tout glacé. La nuit, le sol gèle sur le Kluchevskoya, et se réchauffe la journée lorsque les températures remontent. C’est ce qui rend cette ascension un peu dangereuse : ce « dégel » fait que des pierres, plus ou moins grosses, se détachent, et tombent. Pas de difficulté technique donc pour cette ascension, mais il faudra faire attention aux cailloux.
On démarre avec un bon rythme et on rattrape vite les deux russes partis 30min avant nous, et l’autre groupe parti 1h30 plus tôt. On avale les 500m premiers de dénivelé en un peu plus d’une heure. Le terrain devient plus difficile, mais nous continuons à avancer. Il n’y a pas vraiment de chemin, donc pas vraiment de trace à suivre, on monte tout droit un peu comme des bourrins. On suit un itinéraire MapsMe pour essayer de nous repérer, qui nous indique qu’on devrait rejoindre une crête plus à droite. On passe à un endroit où on a vraiment le sentiment de rentrer à l’intérieur d’une petite crevasse, on en sort en s’aidant des mains et des pieds, en grimpette jusqu’en haut. Après ce passage rigolo, on se retrouve à un endroit où on voudrait encore traverser à droite, mais le tout est rempli de cailloux relativement gros et qui glissent quand on marche dessus. On s’élance, je fais ma première chute de la journée à cet endroit. Sauf que c’est tellement pentu que dans je tombe, je sens que j’ai énormément de mal à m’arrêter, j’essaie de planter mes bâtons dans tous les sens pour me rattraper à quelque chose, mais je dévale un peu la pente. Je finis par réussir à m’arrêter. Le terrain est vraiment instable par endroit, c’est un peu la loterie sur certains cailloux.
Alors que nous sommes en train de traverser l’un de ces passages, on profite de la première grosse chute de pierres de la journée : tous à plat ventre, la tête dans les mains et le casque vers le haut, en espérant que ça nous passe au-dessus. Je relève la tête, Castou a la joue en sang, argh, il crie qu’on doit bouger de là ASAP. J’arrive à rejoindre Karlotta et Thom, mais Pyoupyou et Castou n’arrivent pas à nous rejoindre et continuent tout droit. Je ne suis pas du tout à l’aise à l’idée de diviser le groupe, mais on a pas le choix. On rejoint une arrête sur laquelle il y aura moyen de grimper plus facilement, en utilisant nos mains. Les deux russes, qui nous ont rattrapés, empruntent aussi ce « chemin ». Pyoupyou et Castou nous rejoignent (Pyoupyou nous annonce en rigolant qu’il a laissé sa zone de confort quelques mètres plus bas) et on peut continuer à progresser sur un genre d’arrêtes rocheuses, nettement plus stables. On est a priori déjà à 4200m d’altitude. Il nous reste encore un long chemin, et la progression n’est pas rendue facile par le terrain. J’enclenche le mode « pilote automatique », j’éteins mon cerveau et j’avance.
Les 300 derniers mètres de dénivelé seront les plus durs pour moi : rien ne tient, chaque pied glisse, aucun caillou pour se retenir. Un pas en avant, trois pas en arrière. C’est épuisant, je suis au bout de ma vie à cause de l’altitude, c’est la première fois que je me sens vraiment vidée de mon énergie à cause de ça. Karlotta n’est pas en meilleure forme que moi. La technique que nous adoptons consiste plus ou moins à courir à quatre pattes entre des petits « tas » de cailloux (avec l’espoir qu’ils ne s’effondrent pas sous nos pas lors de notre passage), ce qui est particulièrement épuisant. Castou mène notre cortège plus très valeureux. C’est interminable. Après un certain temps, je vois Castou encore beaucoup plus haut, qui est monté et puis redescendu un peu et s’est assis. J’en conclus qu’il a dû atteindre le sommet et qu’il n’est plus si loin. Petit regain d’énergie, final push et ENFIN, on est au sommet ! On monte encore de quelques mètres pour aller voir l’intérieur du cratère : c’est super impressionnant : il y a beaucoup de fumée donc on ne voit pas très bien, mais on distingue les pentes de l’énorme cratère descendre vers l’intérieur du volcan. On est arrivés en haut de la Montagne du Destin, bravo nous ! Plus qu’à jeter l’anneau avant que Gollum se ramène.
On a d’ailleurs de la chance, car parfois les vapeurs de souffre sont tellement fortes qu’elles empêchent d’accéder au sommet. On fait une petite pause bien méritée, histoire de profiter de l’odeur d’œuf pourri, le temps que Karlotta et Thom nous rejoignent. On décide de ne pas traîner trop longtemps, il fait un peu frisquet.
Il est déjà 13h, on a mis vraiment longtemps à arriver au sommet. Nos deux copains russes sont avec nous depuis un certain temps, et plus de trace du groupe de 5 croisé le matin. On commence la descente, on est protégés du vent, et on évolue dans un genre de boue dans laquelle on s’enfonce juste ce qu’il faut pour faire des grands pas et descendre rapidos. On a une vue imprenable sur le Kamen. Le répit sur ce terrain facile est de courte durée, et on se retrouve assez vite sur quelque chose de comparable au reste de la montée, c’est-à-dire super casse-gueule. Bref, je tombe, je tombe et je retombe. Mes jambes sont-elles en train de me faire défaut ? On décide que ces petites chutes sont le signe qu’une petite pause fera sans doute du bien à tout le monde. On a mangé deux snickers depuis ce matin, et vu l’effort, pas étonnant qu’on ait besoin de casser la croûte. La croûte du jour est du poisson séché acheté spécialement pour fêter les ascensions, et étonnamment, ça passe super bien ! Les russes dégustent leurs snickers et semblent convaincus.
Il y a des passages qui sont un peu plus difficiles, mais globalement la descente est quand même nettement plus simple que la montée. On avance de passages en pierres qui glissent, à des passages en rochers qu’on peut désescalader assez facilement (enfin, c’est raide hein). On est plus ou moins sur le chemin selon le GPS de Castou. Des pierres continuent à tomber régulièrement autour de nous, il y a parfois littéralement des obus qui tombent à une vitesse folle en faisant un bruit de voiture de course #doppler. Si un caillou de cette taille nous tombe sur la tête à cette vitesse, on meurt ! Au moment où on commence à arriver plus proche de la vallée, s’en suit le dernier passage exposé dans les cailloux. On est planqués sous un gros rocher avec Castou, mais il n’y a pas suffisamment de place pour se cacher à 5 en dessous, et ça tombe de partout. Castou me dit qu’à son signal, on part en courant s’abriter sous un autre rocher quelques dizaines de mètres plus bas pour laisser la place aux trois autres. GO ! On court à toute vitesse, sauf qu’on court sur des gros cailloux tout ronds, comme si on était sur des billes dans un dessin animé. Un énorme caillou passe à toute vitesse tout juste entre Castou et moi. Je tombe, je me relève, je cours, je retombe, je me relève, et ainsi de suite. Les chutes de pierres se calment un peu et on ralentit le rythme pour moins se casser la gueule. On se retourne, et là on voit Karlotta débouler comme une fusée lancée à toute vitesse, comme si sa vie en dépendait ! « Y’a plus rien qui tombe Karl, no stress ! ». Il était visiblement décidé à ne plus se prendre le moindre caillou sur le casque, qui a déjà été bien baptisé pendant cette ascension!
On arrive enfin à un endroit un peu plus plat, et on est à l’abri des chutes de pierre. C’est rassurant, mais nous ne sommes pas encore au bout de nos peines. On est encore en plein dans des cailloux instables, je me casse non-stop la figure, même si ça n’a plus vraiment de conséquences maintenant, j’en ai ras-le-bol et j’ai envie qu’on arrive en bas ! Je râle mais il faut bien continuer à descendre. C’est à 19h environ que nous rejoindrons enfin nos tentes, sains et saufs ! Il nous aura fallu environ 13h pour faire cette ascension plutôt éprouvante, j’espère que tu as bien profité de ta journée anniversaire Thom ! On termine cette journée avec une bonne soupe et un magnifique coucher de soleil, on aura vraiment eu de la chance avec le temps !
Il ne nous faudra pas longtemps pour nous endormir ce soir-là. On décide de prendre d’office un jour de repos le lendemain, parce que les trois précédentes journées ont laissé des traces. Ça tombe finalement assez bien parce que la météo n’est plus très bonne, on n’aurait pas pu faire grand-chose à ce moment. Les russes avec qui nous avons partagé notre ascension nous ont encore laissé un paquet de petits biscuits (merci les copains <3), on chill dans la tente, on se dégourdi un peu les jambes, et, soyons honnêtes, on parle beaucoup, beaucoup de bouffe. Ça fait environ 10 jours qu’on est dans la brousse, et on rêve déjà de ce qu’on va manger à notre retour. Le temps est maussade, comme nous l’avait annoncé Max, notre Monsieur Météo (thanks again), via le téléphone sat.
Le lendemain, la météo est toute aussi pourrie, repos forcé donc. Castou et Thom vont faire un essai sur le Kamen le 30 a priori, si les bonnes conditions météo sont confirmées. Le Kamen, apparemment, c’est quand même une ascension nettement plus difficile/technique. Karlotta ne le sent pas, comme c’est sa première expé d’alpinisme. Pyoupyou ne le sent pas non plus, il est en fait blessé au genou depuis plusieurs mois à cause d’une chute en ski de rando (il avait presque failli ne pas partir avec nous… incroyable qu’il ait pu venir et faire tout ça d’ailleurs). Pour moi, c’est le dilemme : j’ai vraiment très envie d’aller avec eux, j’étais venue ici pour me dépasser physiquement et mentalement. D’un autre côté, la dernière ascension ne m’a pas mise en confiance, et je sais que je vais ralentir Thom et Castou, et j’ai peur de ne pas être capable de réagir suffisamment vite/bien en cas de problème, et de mettre les autres en danger. Il faut dire que Castou ne se sentait pas particulièrement sûr d’être prêt à nous guider dedans, le guide croisé quelques jours plus tôt nous avait dit qu’un japonais y avait perdu la vie il y a quelques mois… Bref, après repérage et malgré un bon pressentiment, je décide que c’est plus raisonnable de ne pas y aller, même si ces deux jours de pause m’ont remis sur patte. Décision difficile et qui va énormément me frustrer par la suite, mais bon, c’est comme ça !
Le Kamen
Castou et Thom se lèvent à 5h pour partir faire l’ascension, et démarreront seulement à 7h, ralentis comme d’habitude par les problèmes de réchaud. Deux heures plus tard, on peut encore les apercevoir sur la pente, deux petits points noirs qui ont l’air d’avoir une bonne progression. Il fait beau, peu de vent, les condis ont l’air parfaites. Je ne peux pas vous en dire plus sur l’ascension, à part qu’à 11h40 on la entendus crier depuis le sommet (vraiment !!) et on en a conclu qu’ils étaient arrivés au sommet (comme ça ressemblait à un cri de joie, ouf). Difficile à croire qu’on les entendait presque 1400m plus bas, mais ils nous confirmeront plus tard que c’était bien eux. Ils rentreront tout sourire à 17h, ravis d’avoir rempli l’objectif du voyage !
What next ?
L’objectif étant rempli, il est temps de quitter le col. On décide de redescendre et de contourner le glacier, pour essayer de faire l’ascension du volcan Bezymianny (2882m), qui se trouve un peu plus loin. Réveil à 5h30, pour partir tôt tant que le glacier est bien gelé. Il a fait très froid cette nuit, tout est givré, Pyoupyou n’était pas bien dans son petit sac de couchage. Moi j’ai emprunté le confort -15° de Castou, je suis dans mon jacuzzi, et j’aurai du mal à en sortir ce matin-là vu la température. Petit-déj, et on remballe tout ! Il fait bien dégagé et super beau. On avance beaucoup mieux au retour qu’à l’aller, nos choix de chemins sont meilleurs. On a une meilleure perspective sur le Kamen, et on peut plus facilement estimer l’effort de Thom et Castou de la veille. Deux heures après avoir démarré, on est déjà revenu à la petite cabane de notre camp de base. On récupère les provisions qu’on y avait laissées (autant se délester au max quand on peut, nos sacs pèsent encore).
On redémarre, et le paysage que nous avions quitté quelques jours plus tôt a déjà bien changé, la glace fond rapidement. On prend un chemin beaucoup plus direct pour redescendre sur le glacier, et on arrive à traverser la rivière à un endroit où elle est beaucoup plus étroite.
On arrive assez vite à la fin du glacier, et on repart sur le chemin qu’on avait emprunté sous la drache quelques jours plus tôt. On croisera en tout 13 personnes qui montent au col entre le Kamen et le Kluchevskoya, journée d’affluence et on est bien contents de redescendre maintenant ! On avance assez vite sur un chemin constitué de grosses pierres, on saute de l’une à l’autre. Ce qui devait arriver arriva, mon équilibre et mon agilité ne se sont pas améliorés, et BAM, je tombe la tête la première sur un caillou. J’ai perdu l’équilibre mais au lieu de me rattraper, mon sac m’a littéralement propulsée vers l’avant… Un snickers et un joli sparadra sur le nez plus tard, on redémarre. On marche encore environ 1h-1h30, on spotte un petit lac et un endroit qui sera parfait pour poser notre tente. On a marché probablement environ 25km, et on se dit qu’une petite cure de cryothérapie est toute indiquée. Ni une ni deux, on fait un petit plouf dans le lac (et je peux admirer mes beaux bleus sur mes fesses, cuisses, genoux, partout). Après 13 jours sans douche, ce petit rafraîchissement fait plaisir !
On est fort redescendu en altitude, ce qui implique des températures plus clémentes la nuit pour ceux qui ont des petits sacs de couchage, mais également le retour des insectes. Lors de la préparation du voyage, j’avais lu que les moustiques étaient particulièrement présents pendant le mois de juillet. On est le 1er août, et il y a encore des moustiques partout, je peux vous le dire ! L’activité du jour consiste à rejoindre un campsite à environ 11km de notre position. On part sur une petite journée. Il reste deux kilomètres pour sortir du glacier, qui seront quand même laborieux parce que ça monte et ça descend tout le temps. Au moment où on arrive au bout du glacier, Thom se croit au ski et descend la dernière pente en gravier en hurlant « PENTE RAIIIDE » !! L’obstacle suivant est une rivière, Castou et Thom partent en éclaireur chacun d’un côté pour trouver un endroit pour la traverser. Traverser à pieds nus dedans semble trop risqué, ça semble profond avec du courant, et on entend des pierres être transportées par l’eau, on dirait que des coups de tonnerre viennent de la rivière. Castou revient victorieux, l’effondrement d’un surplomb un peu plus loin couvre le torrent et nous permettra de passer. La montée est abrupte dans du sable, on ne s’éternise pas avant que tout s’effondre ! On mange notre petit paquet de fruits secs du midi, mais ça ne me rassasie pas, j’ai vraiment faim TOUT LE TEMPS maintenant.
Les paysages varient fort sur la journée, c’est plutôt sympa. Ça descend en pente légère sur un terrain tout chill, on marche en papotant. Le ciel est menaçant. On distingue au loin un paysage qui nous fait penser aux iles Féroé, des petites collines aux allures de fjords plongées dans une légère brume. En se rapprochant, on distingue le campsite, et on devine de nombreuses tentes aux couleurs flashy un peu plus loin. Fini d’être perdus seuls au milieu de la montagne. On décide du coup de s’arrêter avant, et de planter notre tente à l’écart des randonneurs. On croise deux gros groupes de touristes d’une dizaine de personnes, c’est une vraie autoroute !
Le lendemain, la météo reste très nuageuse et un peu pluvieuse, et les conditions ne nous permettent pas de tenter le sommet du Bezymianny. On en profite pour faire une grasse mat, on sera réveillés par un groupe de russes imitant le chant du coq en passant à côté de nos tentes. Impossible de faire des journées de bébé tranquillement ici ! Le programme du jour consiste à manger une quantité astronomique de porridge, et ensuite de faire une balade pour aller voir le fameux « cratère de Jupiter », un vieux cratère d’un volcan ayant explosé il y a bien longtemps. On grimpe en haut de ce cratère, ce qui nous offre une superbe vue sur la vallée, parsemée de pierres, sans doute déposées là par diverses éruptions. On continue notre petit bonhomme de chemin en longeant une falaise, ça monte gentiment. Le paysage est vraiment bizarre : c’est un mélange de plaines, et d’un coup de hautes collines qui montent direct en falaises, puis de nouveau tout plat, l’architecte a fait n’importe quoi. On aura quand même fait 16km au bout de cette petite journée, c’est dingue comme ça ne semble rien lorsque l’on ne porte pas notre maison sur le dos !
Au retour, on discute du programme : notre chance avec le temps est finie, et il semble qu’il fera bien DèGUEU (n’est-ce pas Karlotta) jusqu’à la fin de notre trip. La grimpette sur le Bezymianny semble compromise. On doit de toute façon être de retour au plus tard le 6 août à Kozyrevsk, pour reprendre le bus qui nous ramènera à Petropavlovsk et avoir notre avion à temps. On se dit qu’on peut rentrer tranquillement vers Kopyto en faisant deux petites journées, et en faisant une pause au milieu pour aller voir une cascade. Le dernier jour sera consacré au retour de Kopyto à Kozyrevsk, en camion ou à pied. Vendu !
Notre réchaud ne semble néanmoins pas d’accord avec ce programme. Trouvant qu’il a beaucoup travaillé pendant cette expé et qu’on l’a maltraité (alors qu’on en a pris le plus grand soin et nettoyé pratiquement tous les jours), il arrête de fonctionner pour notre petit dej le 3 août. On arrive encore à manger chaud à ce moment, mais ce sera probablement la dernière fois. On a assez de porridge pour survivre jusqu’à la fin du trip, on le mangera froid. Sur ces bonnes paroles, on se met en route pour aller à l’étape suivante : la cascade. Après 30min de marche, la pluie nous rejoint : elle ne tarde pas à tomber en véritables trombes d’eau. Remember du deuxième jour passé ici, on est trempés jusqu’aux os en moins de deux. Après environ 3h de marche, on arrive au lieu de bifurcation : est-ce qu’on rejoint la cascade, ou est-ce qu’on rentre direct à Kopyto ? Sachant qu’on ne pourra même pas se réchauffer avec un repas chaud puisque notre réchaud est foutu, et qu’une énorme drache est aussi prévue pour demain… on prend rapidement la décision de rentrer directement à Kopyto, tant pis, les conditions ne sont plus très marrantes, et je dois avouer qu’étant en fin de trip, nos objectifs derrière nous, je commence à rêver d’une douche, d’un lit, et surtout de manger ! Ce n’est pas cette malheureuse poignée de cacahouètes qui me permet de me requinquer. On se remet en route, sachant qu’il nous reste beaucoup de chemin à parcourir pour rejoindre Kopyto. Le terrain est un peu pénible, on évolue dans des hautes herbes, on s’enfonce et ça rajoute une couche d’eau glacée dans nos pompes, comme si on était pas déjà assez frigorifiés comme ça. On ne parle pas, on avance en pilote automatique, on grelotte. Le moment fort de la journée est certainement lorsque Karlotta voit un rocher bouger : il n’a pas une hallucination, c’est en fait un ours énorme qui se balade tout chill sous la pluie. On a tellement le nez par terre pour ne pas se prendre la pluie et le vent dans la tronche qu’on a failli passer à quelques mètres de lui sans le voir ! Petite piqûre de rappel de leur présence, après avoir passé longtemps sur le glacier, nous avions un peu baissé notre garde.
On a un petit regain d’énergie lorsque l’on reconnaît le petit chemin que nous avions emprunté le premier jour, et qui nous mènera à la cabane. Ces derniers mètres me semblent interminables, on est pas loin de l’hypothermie. Cette journée du chien connaît finalement une fin heureuse : lorsque l’on arrive à la cabane, un feu a été allumé par des gens qui s’y trouvent déjà, la pluie arrête de tomber, on se change immédiatement et on fait sécher toutes nos affaires, on se réchauffe enfin, le rêve ! La cerise sur le gâteau : on retrouve notre deuxième réchaud qu’on avait planqué sous la cabane. Alors oui, nous avions deux réchauds au départ, pourquoi avons-nous laissé le deuxième sous la cabane pendant trois semaines ? Glad you ask. Lorsqu’on a préparé notre premier repas (le tout premier), le joint de la bouteille de gaz reliée au réchaud s’est pété. Est-ce qu’on a pensé à juste échanger le joint avec l’autre bonbonne que nous avions ? Pas du tout. Est-ce qu’on a du coup passé deux semaines et demi à se faire chier avec un réchaud qui fonctionnait une fois sur deux et qui nous a obligé à sauter plus de repas que ce que nous aurions voulu ? Absolument ! Cela dit, cela reste une bonne surprise parce que cela signifie qu’on pourra manger un truc chaud ce soir et demain matin, ce qui est une bonne nouvelle.
On fait la chouette rencontre d’un guide de montagne russe, venant de Saint-Pétersbourg, venu deux mois au Kamchatka. Il commence son voyage tout seul pour faire à peu près le même programme que nous, avant d’encadrer des clients. Il parle parfaitement anglais et français, il a en fait étudié deux ans à Lyon (il a à peu près notre âge). On papote de politique russe, de tourisme, il nous donne plein de bons plans bouffe pour notre retour (à ce stade du trip, je rêve littéralement de nourriture la nuit, j’ai la DALLE). L’arrêt de la pluie sonne par contre le retour de nos copains les moustiques, ils ne m’avaient pas manqué ceux-là. On mange quand même tout ce qui reste dans nos sacs, autant être les plus légers possibles pour notre retour du lendemain. Nicolaï (le guide) a dû se dire qu’on était des gros bouffis, dès qu’on a fini de manger, on relance autre chose ! Soupe, porridge, lentilles, tout y passe. On papotera avec lui jusque 21h environ, l’heure de se coucher.
Le retour à la civilisation
Réveil à 5h le lendemain, une longue marche nous attend : un peu plus de 35km nous séparent de Kozyrevsk, le petit village que nous avions quitté il y a déjà plus de deux semaines. Vu la distance (même si c’est du plat/descente) et vu nos sacs, autant partir assez tôt pour essayer de trouver une auberge dans le patelin en question à notre arrivée. Les moustiques sont revenus en force, mais ce n’est encore rien comparé à ce que nous allons découvrir dans la forêt. On est entièrement équipés (gants, chapeaux à filet, vestes et pantalons, alors que finalement il fait soleil), et on a rapidement 150 moustiques qui nous tournent autour constamment et qui cherchent frénétiquement à piquer tout ce qu’ils peuvent. C’est le CAUCHEMAR. Je le vis assez mal : déjà, j’aime pas les insectes (pourquoi est-ce je vais passer mes vacances sur des glaciers vous croyez ?!), je fais des méga réactions allergiques aux piqûres, mais là il y en a vraiment des tonnes. Il y en a toujours bien un qui arrive à se faufiler à l’intérieur du chapeau-filet, et je me trimballe avec ma collection de moustiques morts écrasés par mes soins. Ça n’impressionne pas leurs congénères qui nous suivent comme des petits nuages. Ça me rend DINGUE. Je vous passe les détails de ma seule pause pipi de la journée (ben oui, j’ai pas pris mon pisse-debout, fallait limiter le poids des sacs). Du coup j’ose rien boire, et marcher 35 bornes sans boire, ben c’est pas chouette. OUIN OUIN (oui j’aurai beaucoup tchoulé ce jour-là, sorry guys).
En plus, on est au milieu d’une forêt, donc il faut qu’on reste bien ensemble et qu’on fasse un peu de bruit pour ne pas se retrouver nez-à-nez avec un ours (Nicolaï nous a raconté en avoir vu 4 lors de son passage le premier jour). On voir des traces de pattes dans la boue, elles sont énormes. Vu la quantité de moustiques, on ne fait que très peu de pauses, et avec tout ça, on avance quand même bien. C’est déjà ça. Enfin, je commence à ne plus avancer parce que j’ai des giga cloches dans mes chaussures de trail, mais je refuse de mettre un compeed et de me faire agresser par les suceurs de sang (mais quelle chieuse celle-là). Castou finira par prendre tous les trucs lourds de mon sac pour que je recommence à avancer (hihi merci !). Je retrouve un peu le sourire, et je recommence à parler, en fait ça fait passer le temps plus vite (ouf !).
Partis vers 7h du matin, nous atteignons le village déjà vers 14h30 (WAAAW on a marché super vite !), dire qu’on avait prévu un démarrage matinal pour être sûrs d’arriver avant 18h. VICTOIRE ! BRAVO NOUS ! ON REVIENT A LA CIVILISATION ET PERSONNE N’EST MORT !! (vous l’aurez compris j’étais la stressée du groupe).
Le temps de trouver une petite auberge, je m’éteins. En vrai j’adore ce moment où on est au bout du rouleau physiquement et mentalement, et qu’on retrouve un peu de confort. Si on revient de notre trip et qu’on a même pas une petite courbature, j’en profite moins (#unpeumaso). Là pour le coup, je suis ravie : cette journée était quand même éprouvante physiquement mine de rien, et psychologiquement les moustiques ont eu raison de moi (c’est débile hein mais c’est comme ça). La seule auberge du village est full (zut), du coup nous sommes redirigés vers un plan B (en gros on nous met dans une maison de gens qui ne sont pas là). La maison est parfaite, la déco est kitsch à souhait, il y a des horribles tapis partout sur lesquels je ne marcherais certainement pas pieds nus en temps normal, et visiblement c’est une maison pour gens de petite taille parce que nos pieds dépassent largement des lits. On s’en fout, on est rentrés, on peut prendre une douche (un moment de grâce) et surtout : MANGER !
Ça fait trois semaines qu’on mange seulement deux repas par jour, du porridge le matin et des lentilles le soir, ainsi qu’une poignée de fruits secs le midi. On mangeait en plus des snickers (Castou a acheté pas moins de 150 snickers avant de partir). Autant dire qu’on a faim, et qu’on rêve de bouffe. Les plus vaillants d’entre nous qui ont encore de l’énergie partent donc en quête de provisions. Ils reviennent avec un véritable festin, qu’on dévore en 2-2 : plein de chips, du caviar de saumon (c’est local et de saison), de la vodka (faut bien gouter quand même). Pour le soir, on achète un genre de raviolis à la viande avec de la sauce tomate typique de là-bas (Nicolaï nous a dit que c’était vraiment de la bouffe d’étudiants mais il n’y avait pas grand-chose d’excitant au « supermarché » donc autant tester). C’est un choc gastronomique, nos corps ne sont plus habitués à manger si gras ! on s’endort comme des bébés à 21h30.
Puisque nous avons dû rentrer un jour plus tôt pour cause de réchaud cassé, nous profitons d’une journée complémentaire à Kozyrevsk pour que Thom puisse essayer sa canne à pêche. Thom a porté cette canne à pêche (en plus de deux trois autres accessoires inutiles) pendant les 17 jours into the wild : plus de 500gr, trois hameçons différents (il avait même une « pince » à hameçon). Nombre de rivières croisées dans lesquelles nous avions une chance de pêcher un saumon : 0. Heureusement qu’on a pas compté là-dessus pour nous sustenter ! Du coup, maintenant que nous sommes rentrés à la civilisation, il est temps de faire un test. Un gros fail : on a « pêché » pendant une heure environ, on a perdu tous nos hameçons, et tout ça pendant qu’un groupe de russes à côté de nous pêchait des tonnes de trucs. Enfin il faisait beau et on avait des bières donc ça a sauvé l’activité !
Il est déjà temps de rentrer à Petropavlovsk. On aura le temps de se rattraper largement sur la bouffe, notamment en mangeant deux gros KingCrabs dans un restaurant cher pour touristes (mais c’était quand même vraiment bon), et de goûter plusieurs vodkas locales (sorry on est pas fans finalement).
Ce voyage était certainement une expérience inoubliable, hors du temps, dans des paysages à nous fracturer les rétines. Merci la montagne et les copains pour toutes ces émotions !
PS : Quand on arrive dans un endroit encore assez isolé et relativement peu connu comme le Kamchatka (en tout cas chez nous – à part si on a déjà joué à Risk), on s’inquiète évidemment de l’arrivée de tourisme massif, qui viendrait perturber cette nature encore intacte. On y participe et on en est évidemment conscients. La plupart des endroits valant la peine d’être vus n’étant pas accessible ni par route ni par chemin, le tourisme en hélicoptère, pour une clientèle aisée, s’est fortement répandu et le tourisme augmente de manière exponentielle chaque année, particulièrement parmi la population russe. Disons que nous essaierons évidemment de limiter au maximum notre impact pendant notre voyage (en commençant par utiliser le mécanisme de compensation carbone mis en place par CapExpé).