Une cordée dans le vent patagon de Torres del Paine
Musiques à écouter en lisant ce récit:
- “Like a Hurricane ” interprété par Nils Lofgren
- “Koln Concert“, Keith Jarret
Cela fait 10 jours que je suis rentré de ces trois semaines patagones. Ce n’était pas une expé au sens classique du terme, c’était autre chose que je n’arrive pas encore à bien définir. Il nous faudra sans doute du temps pour digérer tout ceci. C’était simplement puissant.
D’abord il y a l’attente des deux protagonistes. Brieuc comme moi cela fait des années voire des décennies que nous fantasmons sur ce nom du peuple aux longs pieds et les paysages qu’il évoque. S’y retrouver ensemble, tout d’un coup, à la sortie d’un avion était simplement inouï. Les trois semaines qui s’ouvraient devant nous me donnait le tournis. Trois semaines pour approcher cette tour nord du parc Torres del Paine par la voie Monzino. Nous ne savions pas vraiment dans quoi nous nous engagions mais ce rêve nous liait et annonçait aussi un nouveau départ pour chacun de nous deux : le démarrage dans la vie active pour Brieuc et une toute nouvelle orientation pour moi après ce terrible accident et ces envies qui évoluent et qu’il faut bien veiller à ne pas confondre avec des habitudes.
Acte un
Brieuc sort de plusieurs mois de voyage, moi de longues semaines travail, le nez dans le guidon accablé par le manque de sommeil. Nous nous retrouvons vraiment à Buenos Aires, dans une ville où nous nous sentons bien et qui nous permet d’assembler le puzzle de notre projet commun. Nous discutons en déambulant dans cette ville et faisons quelques achats. Oui je l’avoue j’ai acheté un réchaud à gaz pour palier au mal entendu du réchaud MSR que je croyais que Brieuc avait dans ses bagages. Quand je vous disais que ce n’était pas une expé comme les autres…
Il s’ensuit un long voyage avec de grands et pesants sacs en avion, bus et marche avant d’arriver enfin. La Patagonie nous accueille avec ce soleil rasant et ce vent que nous apprendrons petit à petit à connaître. Pendant que nous prenons encore le temps de respirer le temps et le rythme des lieux, le sac de Brieuc, lui continue son chemin et visite New York, San Fransisco, Baltimore pour finalement aboutir, presque par miracle, au terminal des bus « Fernandez » de Puerto Natales.
Nous sommes prêts, bien décidés à ne pas nous laisser bouffer par notre objectif de sommet. C’est le chemin partagé que nous avons décidé ensemble de privilégier.
Acte deux
Nous prenons le bus encore pour traverser la pampa en direction de Calafate et puis El Chalten au pied de la chaîne du Fitz Roy et du Cerro Torre avec comme but de simplement roder notre cordée à l’escalade sur coinceurs et au vent. Nous avons été plus que servi et je garderai longtemps en mémoire ce magnifique « Diedre Grande» et puis ces 8 longueurs avec ces Condors voltigeant au dessus de nos têtes.
Au camping d’autres grimpeurs nous pousse à aller un pas plus loin vers une voie d’altitude à la point Guillaumet juste à côté du Fitz Roy. La marche d’approche nous fait rentrer dans le massif comme dans un écrin de diamants. Nos immenses sacs ne faisaient pas le poids face à la danse des nuages dans le ciel bleu des sommets de granite et de neige. Nos pieds eux découvraient la forêt native d’Argentine jusqu’à ce que la pente se redresse. Là les choses changent d’un coup et nous réveillent. Alors que dans les Alpes les chemins sont tortueux et épousent au mieux la pente, là nous sommes face à un vague sentier, créé par le passage de gros bras de l’alpinisme : tout droit et avec ou sans gros sacs.
Sans nous en rendre compte tout de suite, ce relèvement de pente nous fait basculer dans l’autre monde, celui de la haute montagne patagone. Le ciel se couvre, le vent redouble et nous fait carrément avancer comme des pingoins empereurs. Le Fitz nous accueille. En vitesse nous réussissons à monter la tente en la lestant de tous nos sacs et de cailloux. L’aventure commence. Brieuc vous l’a racontée dans une autre post de ce blog. Je serai donc bref. Nous voulions loger en altitude pour sauter les premiers sur le créneau météo annoncé comme dans les Alpes. Mais nous ne sommes justement pas dans les Alpes et loger sous tente en altitude dans la tempête Patagone même avec une North Face V25, c’est pas donné. Les cailloux sensés retenir la tente s’envolent à chaque bourasque de vent.
De retour après avoir repéré le départ de la voie, la force du vent s’est encore durci et nous n’avons simplement pas osé passer une deuxième nuit sous la tente. Le Fitz et la tempête patagone nous rejetaient. Se retrouver ensuite dans le gazon primaire protégé du vent et de la neige avec un barbu aussi hirsute qu’hilare en train de manger sa soupe avec une cuillère en plastique, c’était juste trop bon.
En rentrant nous avons croisé des copains alpinistes qui montaient. Nous avons échangés nos informations. Deux jours plus tard, nous les avons retrouvés au camping et c’était comme si nous les connaissions depuis toujours. Eux non plus n’ont pas pu aller plus loin que la Piedra Negra mais sont revenus avec les mêmes sourires dans les yeux.
Acte trois
Il est temps de mettre le cap sur le parc national Torres del Paine. Nous voilà emportés par le flot des « Lonely Planeters ». « Le trek W du Torres del Paine» occupe une place de choix sur la carte de ces cohortes des jeunes de 24 ans qui, ayant terminés leurs études, se lancent dans le pélérinage initiatique du globe trotter. Tout le jeu est de faire semblant de fuir le confort de notre modernité pour mieux y rentrer en se fondant dans la foule des semblables, les poches remplies de fruits secs achetés au célèbre « dried fruit guy » de Puerto Natales, celui-là même qui attire les jeunes cool au son de la guitrare de Led Zeppelin, Deep Purle, Doors et autres Jimmy Hendrix
En achetant nos billets de bus, j’ai été touché par la panique de ces deux étudiantes californiennes aux traits si familiers qui posaient mille questions pour savoir si dans le camping en montagne elles devraient mettre deux, trois ou quatre couches de sous vêtements …
A l’entrée du parc nous n’avons pas réussi à passer inaperçu. Les Rangers ne savaient absolument pas que faire de notre permis de grimpeur et après multes discussions internes s’en sont donc remis à leur chef qui finalement est arrivé deux heures plus tard. La patience est la caractéristique principale des grimpeurs patagons, autant que vous le sachiez une fois pour toute. Ceci dit, en deux heures, notre cordée a réussi à se faire remarquer. D’une part le double mètre de Brieuc impressionnaient les Chiliens, et d’autres part notre différence de couleur de barbe et de longueurs de cheveux faisaient jaser autant que la hauteur et le poids de nos sacs. C’est ainsi que « Los Dos Belgos » sont entrés dans la légende de l’été 2012 patagon. A chaque camp nous étions annoncés et attendus comme les pros de l’été. De comique cela en est vite devenu un peu gênant.
Cela commence à l’hotel dans le parc où débarquent les retraités américains avec leurs mille valises. C’est aussi là que nous puiserons les renseignements météos qui alimenterons notre attente à venir. Ensuite commence la lente ascension vers les campings de trekkeurs. Ceux-ci, au bout de leur vie, nous les dépassons avec nos gros sacs, la tête haute et sous les chuchotements admiratifs. Cela dure jusqu’au deuxième camp et puis tout s’arrête. Personne n’ose monter plus haut dans cette superbe vallée Ascencio. Commence alors le domaine des « escaladores ».
Au « camp des japonnais », il n’y a que quelques tentes toutes affublés du double arceau avec protection de pied pour les protéger des cailloux volantes bien connus des tempêtes patagones. Pas de doute nous sommes dans le fief des gros bras, ceux qui montent tout droit dans la pente. Très fièrement nous montons notre tente, une V25 ayant déjà survécu à la tempête tout de même… Tel Godot, nous resterons 8 nuits à attendre ce légendaire créneau méteo que certains attendent là depuis 10 jours déjà.
Savez vous ce que font des alpinistes en attendant un créneau météo (à part écouter du Neil Young dans la tente)? Et bien c’est simple : ils montent et descendent dans la tempête du matériels pour préparer l’assaut final. Notre première montée dans la vallée Silencio fut épique. Le vent nous empêchait carrément de tenir debout avec nos sacs chargés. Arrivé au 3/4 du grand pierrier avant la grande traversée pour arriver au couloir menant au col Bitch, nous avons abandonné nos sacs.
De retour dans la tente j’étais au bout de ma vie et Brieuc anxieux assaillait de question Pedro, l’espagnol qui était là depuis 2 mois pour faire en solitaire la traversée des trois tours. « Comment et où devons nous traverser ? Et puis pour arriver au col ?…. » Pedro répondait le plus gentillement du monde avec une petit air amusé. Nous étions exactement comme ces deux étudiantes californienne de l’agence ou ces retraités américains qui demandaient à l’hôtel si il pouvaient boire l’eau du robinet. Nous sommes tous en pélérinage …
A force d’allers-retours, de montées-descentes, nos mollets, épaules et poumons s’endurcissaient. L’espoir de sommet renaissait. Lorsque, lors d’une de nos périgrinations, nous avons ramené la bonne nouvelle d’un créneau météo annoncé pour « dans deux jours », nos amis grimpeurs chiliens qui l’attendaient depuis 2 semaines se sont lachés: « Si c’est comme cela nous on descend vite fêter cela en ville et manger un gros steack. » Ce fut épique : une descente de 3 heures en courant pour ne pas rater le bus de 4 heures pour Puerto Natales et le repas Patagruélique et puis le retour. On a vraiment ri.
Acte 4
Lorsque le réveil a sonné à trois heures du mat, j’étais déjà réveillé, anxieux à écouter la pluie qui martelait la tente. On avait annoncé un peu de pluie vers minuit mais là c’était plus fort et plus tard que prévu mais qu’importe, cela va se lever…
Nous avons un peu attendu et puis nous sommes tout de même partis, bien décidés à profiter de l’accalmie annoncée pour attaquer le gros morceau des deux premières longueurs après le col. Le vent était toujours fort et très vite nous nous sommes retrouvés trempés jusqu’aux os. « On continue on verra bien. De toute façon il faut aller au pire récupérer le matos car nous n’aurons pas d’autres chance. »
Le jour se lève et la pluie ni le vent ne semble diminuer. Nous avançons de plus en plus trempés et figorifiés. Arrivés aux sacs, au pied de la parois, il n’y a rien d’autre à faire que de redescendre. Je me demande toujours pourquoi Brieuc courait. La pluie semblait pourtant enfin diminuer d’ardeur mais avant que la roche ne sèche … et puis nous étions vraiment trempés.
A la descente nous tombons un peu par hasard sur la mythique grotte Bonington où dormaient comme des bien heureux nos collègues chiliens. Nous avons pris soin de ne pas les réveliller et de retour à la tente, épuisés, nous les avons imités.
Acte 5
Une heure plus tard je suis réveillé par le silence. Il est 12h et c’est le grand bleu sans vent. Il est trop tard pour nous. Nos copains eux, partiront dans l’après midi pour tenter la voie Bonington de nuit.
Nous nous levons et partons à la découverte des sources en remontant la vallée tout d’un coup silencieuse. Tous les deux nous entrons alors dans un état d’euphorie enfantine où chaque brin d’herbe, chaque caillou devient source d’émerveillement. Libéré de la pression de la course vers cet objectif fou, nous nous laissons aller à une communion totale avec le lieu. Pas de doute, nous sommes les premiers à découvrir cette vallée. Nous nous enfonçons tout droit, tantôt à genoux, tantôt en rampant. Curieusement les arbres tordus et chevelus ne semblent pas s’étonner de notre passage. J’arrive à un point de vue sur la cascade et une mélopée s’échappe de mes lèvres. Brieuc, un peu plus bas, croit entendre des sirènes. Je ne sais toujours pas si je dois prendre ceci comme un compliment ou pas mais nous décidons tout de même d’aller nous baigner dans la source froide. Nous sommes les pierres qui roulent et chantent.
Conclusion
Objectivement la météo ne nous a pas permis d’atteindre notre objectif mais c’est finalement plus que secondaire.
Nous nous sommes heurtés aux éléments pendant 3 semaines (Nous avons eux deux après midis avec suffisamment peu de vent) pour finalement entrer en résonance avec eux dans ce lieu rempli de vie et de force.
Le choix de cet objectif était important. Il nous a guidé tout au long de ce périple mais aujourd’hui j’ose dire que je n’étais pas prêt à assumer une telle aventure et que nous aurions de toute façon fait demi tour pour plein de raisons pour lesquelles je n’ai de compte à rendre à personne.
Cet objectif non atteint m’a par contre libéré et ouvert de nouvelles perspectives. Malgré et peut-être à cause de toute mes expériences alpines et ces nombreux sommets gravis au cours des années, je sais aujourd’hui que je ne suis pas ou plus un alpiniste et que cela n’a aucune d’importance. Il y a de la place pour plein d’envies et sans renier celles du passé, il ne faut pas non plus nécessairement toujours s’y accrocher. Lacher prise, quitter ses certitudes, ses habitudes et son réseau n’est pas facile mais souvent essentiel pour avancer et parfois aussi simplement tout retrouver. Peut-être est-ce là le sens du pélérinage du globe trotter – lonely planeter – alpiniste?
Le plus important de toutes façons c’est toujours le retour et ce que l’on en fait.
A nous de jouer donc…
Merci Brieuc et bonne route à toi aussi.
Dom