Avant l’ouverture des refuges une découverte sous tente et avec Pulka au nord d’Abisko
Après une journée plus tranquille, nous repartons pour une grosse étape. Victor prend le premier tour de pulka, le but étant qu’il la garde jusqu’au sommet de la première côte repérée la veille.
Le début de l’étape se passe sans encombre, je me sens beaucoup mieux que la veille mais Twan ne semble pas tout à fait rétabli de son état grippal qu’il traîne depuis deux jours.
Arrivé au pied de la première grosse montée de la journée, je prends le sac de Victor que j’accroche par devant sur mon ventre pour l’alléger. C’est vraiment un calvaire de tirer cette pulka sur une telle côte, chaque conversion est une manœuvre.
Une fois en haut, on reprend un peu de forces en buvant du thé bien chaud sans trop trainer pour ne pas perdre de temps. Il nous reste encore beaucoup de chemin à faire. Je me sens bien et Victor vient de faire un gros relais, je décide donc de prendre mon tour de pulka. Je me dis que je vais la garder jusqu’en haut de la prochaine grosse montée sans trop savoir à quelle distance elle se trouve.
En avançant dans la vallée, le vent se lève et vient nous fouetter le visage. Des langues de neige courent à ras du sol, on se croirait dans un désert de sable blanc. Le vent de face durcis notre avancée et je commence à avoir de plus en plus froid.
Je n’arrive plus à garder mon rythme, je sens que ce vent glacial me draine mon énergie. Je n’ose pas m’arrêter mettre ma cagoule de peur de trop me refroidir. Je marche à l’avant du groupe sans trop faire attention aux autres, le sifflement du vent et mon visage emmitouflé dans ma capuche pour laisser le moins de peau possible exposée au vent me font rentrer dans une bulle.
Malgré l’immensité qui m’entoure, je me sens bloqué dans ce vent comme si j’en étais prisonnier.
Je continue de ralentir et me fais dépasser par le reste du groupe. Tout le monde est concentré et regarde devant soi, je me demande alors si ils ont aussi dur que moi. Ce faux plat montant me paraît interminable, l’horizon est lointaine et je n’aperçois toujours pas le pied de la prochaine côte. Je me concentre pour mettre un pied devant l’autre machinalement en faisant le vide dans ma tête. Les autres prennent de plus en plus d’avance sur moi.
Un moment, Twan s’arrête pour m’attendre et me propose de prendre la pulka. Alors que j’étais épuisé, je ne sais pas pourquoi, mais je lui dis que je peux encore la garder un peu. Je voulais vraiment arriver à la deuxième montée avec. Je passe toutes les minutes qui ont suivies ce moment à regretter de ne pas lui l’avoir laissée,
je n’avance vraiment plus.
Une fois enfin arrivé au pied de la bosse, c’est Victor qui m’attend et prend le relais. Cette fois-ci, je ne lui propose pas de prendre son sac à dos, je suis trop fatigué. Dom et Twan ont déjà débuté l’ascension, on se remet en route avec Victor. Je me sens faible mais j’essaye d’augmenter mon rythme pour me réchauffer, cette mini pause m’a bien refroidi.
Je distance rapidement Victor qui monte valeureusement cette pulka pour rejoindre les deux autres en haut de la côte. On fait de nouveau une petite pause pour s’attendre. Je me refroidis encore plus mais il faut bien attendre Vic.
Je commence à me dire que si le vent ne se calme pas, je ne vais jamais arriver au bout de cette étape, je me suis rarement senti aussi faible et inconfortable. Quelque part c’est un peu ce que j’étais venu chercher ici au grand nord, aller au bout de moi-même et sortir de ma zone de confort. J’en étais déjà sorti un peu mais pas pour si longtemps. Ici, on est qu’à mi-voyage et je sais qu’on dormira dans le froid encore quelques jours. C’est à la fois décourageant et motivant pour ne pas se laisser abandonner. Il reste tant de chemin que si je lâche maintenant, la suite n’en sera que plus dure. J’en suis conscient et il faut que je me ressaisisse pour trouver un second souffle. C’est ma première longue expé et pour le coup je sui s servi !
On regarde Victor plus bas qui galère avec la pulka. J’admire sa ténacité, il l’aura tirée sur les deux grosses montées de la journée sans se plaindre. Il arrive sur le haut du talus et se rapproche de nous . Il a l’air épuisé lui aussi, j’aimerais l’aider et reprendre le traineau mais je ne m’en sens pas capable. En toute logique, l’un de nous trois devrait prendre le relais, mais je vois que Twan n’est pas bien et Dom n’a pas l’air prêt à le reprendre. Victor arrive presque à notre hauteur quand nous nous remettons tous les trois en route, en silence, le laissant avec son fardeau.
Je ne suis pas à l’aise de laisser Victor continuer à tirer mais je ne suis plus très lucide et ma tête n’as plus le contrôle de mon corps qui est épuisé et veut juste se réchauffer. Sur le moment je n’y pense pas trop, mais après coup, j’aurai un peu de remords. J’aurai dû aider Victor, je m’en veut et ne suis vraiment pas fier de moi. On n’en reparlera pas jusqu’à la fin du voyage mais on a tous senti l’intensité du moment de notre côté sans échanger un mot.
Un peu plus tard, le vent s’apaise et la pause de midi dans une cabane nous aura tous requinqué. On reprend donc la route sous une météo plus clémente pour arriver à un refuge non gardé à la tombée de la nuit.
En arrivant, on voit des skis devant l’entrée. Zut, d’autres ont déjà investi les lieux et on est encore bon pour dormir sous la tente dehors. On rentre quand même pour voir si il reste un peu de place à l’intérieur et là on tombe sur un groupe de Belges. Mais pas n’importe lesquels, il s’agit d’un groupe de potes de Cap Expé avec qui Dom était aussi parti en Expé nordique il y a quelques années.
S’en suit une petite soirée à la chaleur du poêle à bois à se raconter nos aventures. C’est quand même fous d’être depuis des jours au beau milieu d’un désert blanc au-delà du cercle polaire par -20 degrés en ne croisant presque personne et de tomber sur des amis de Dom. C’est à ce moment-là que je prends vraiment conscience de la dimension de Cap Expé et de l’impulsion que Dom donne à ces groupes de jeunes pour se lancer dans leurs propres aventures par après. Je me dis aussi que ça annonce de belles futures aventures avec Twan et Victor.