Loïc a fini ses études. Il a la bougeotte et Il rêve de filer vers le nord à la voile. Le rendez-vous est pris. On se retrouve dans 1-2 mois en arctique norvégien. Il fera le trip de Dunkerque à Tromso au nord de la Norvège en solitaire à bord d’Ikat un first class challenge (Figaro 1). De mon coté, je le rejoindrai en avion. L’objectif : ski de rando et pente raide, voile et cascade de glace si les conditions sont toujours bonnes. Le terrain de jeu : les alpes de Lyngens et les îles alentours.
Je planifiais depuis un petit temps un voyage en bateau rythmé par des moments en solitaire pour la navigation et de moments partagés pour profiter de la terre sous toutes ses formes. Je savais que j’allais en Norvège sans avoir été plus loin dans la planification. En effet, la navigation en solo dans des mers que je ne connaissais pas et la préparation du bateau étaient des challenges suffisants que pour ne pas savoir planifier quoi que ce soit de façon raisonnable.
C’est sans compter sur Simon. Au fil d’une discussion, on finit par se donner rendez-vous le plus tôt possible à Tromso. Objectif : ski et cascade de glace. L’occasion de revoir le commercial « sail and ski » qui nous a toujours allumé les mirettes.
Avec le recul, m’engager à le rejoindre mi-avril alors que je quittais Dunkerque pour de bon le 20 mars, après un gros coup de vent, était une bêtise. Mais une bonne ! Avec des conditions météo pas trop mauvaises (même si j’ai dû remonter la Norvège au près) et après quelques galères d’organisation entre moi qui commence une culture de boutons sur les fesses et une team de jeunes travailleurs dynamiques qui doivent jongler entre réservation de congés et de billets d’avion, j’arrive à Tromso le 17 avril quelques heures après leur atterrissage.
Max et Simon m’accueillent sur le ponton et s’excusent directement pour la quantité de matos qu’ils ont en se justifiant qu’ils ont fait du mieux qu’ils pouvaient. Je les écoute d’une seule oreille, et souris intérieurement, je m’en fous de charger Ikat comme une mule. Ce n’est pas un packraft et les performances je les oublierai sans soucis. Ils m’offrent la pizza et la bière la plus cher que j’ai pu voir. Vous ajoutez à ça un mois de nav où la bouffe passait au second plan, autant dire que je les ai savourées plutôt deux fois qu’une.
On met les voiles le lendemain vers Oldervik à la sortie du fjord de Tromso en face de la péninsule des Lyngens après quelques courses. On a raté les conditions de cascade de glace, la saison est finie. Mais il y a encore plein de neige ! La météo est annoncée pourrie et les locaux nous disent que les conditions de neige sont super risquées. On décide donc de rien planifier pour le lendemain. On comprendra plus tard que la météo n’est pas fiable à plus de deux heures et que la plupart des norvégiens sur place ne mettent pas spécialement les pieds dans les montagnes qu’ils leurs servent de plage et de jardin… On passe la journée à éplucher les topos, manger et pêcher avec succès des cabillauds sous les conseils de locaux venus pêcher dans le petit port et on attaque le lendemain une « rando paysage » avec une monté et une descente rectiligne mais des paysages incroyables qui dévoilent le potentiel de la région.
On remet les voiles le jour d’après, vers Arnoya, l’île au nord de la péninsule des Lyngens. On passe les 70 degrés nord pour s’amarrer sur un petit ponton en fond de fjord. Le hameau qui y est installé n’est plus qu’un regroupement de maisons de vacances à l’exception de 2 pêcheurs alcooliques qui y vivent encore à l’année. Il est 17h et on tente de monter sur le sommet voisin par une pente douce balisée pour les motoneiges. Il y a pas mal de coulées sur toutes les pentes un peu raides même boisées. Avant d’atteindre le sommet, on rentre dans le nuage et on prend vite la décision de zapper les quelques mètres de dénivelé qui nous séparent du sommet. On retrouve Max qui nous avait laissé un peu plus tôt pour préserver son genou au « pub illégal » (l’ancien pub du village converti en salle hors sac/lieu commun pour les villageois) entouré de français à boire des coups.
Un coup de vent est annoncé pour la nuit et la journée du lendemain et une série de bateaux charters sont venus s’abriter dans le fjord. Sur la carte celui-ci parait bien protecteur. Il est en faite juste bien foutu pour que le vent accélère en fond de vallée et rende le tout assez chaotique. On restera la soirée et la journée du lendemain au chaud et au sec. J’apprendrais plus tard d’un suisse qui mouillait (qui était à l’ancre) que le vent était monté jusqu’à 50 noeuds en rafales. La météo en annonçait au max 25…
Après ce repos forcé, qui me fait du bien mais qui fait défiler les jours pour Max qui n’a pu prendre qu’une semaine de congés, les fichiers météo s’améliorent et on met les voiles vers Vannvåg, l’île juste à l’ouest. La sortie du lendemain sera la première occasion de skier un petit couloir dans un cadre qui rappelle les Alpes autour de 3000 alors que le sommet de notre sortie était à 888 m… une sortie qui sent déjà la fin et le goût de trop peu pour Max qui prend l’avion le surlendemain ce qui nous laisse une journée pour rallier Tromso .
Après le départ de Max et un petit ravitaillement, on met les voiles pour la péninsule des Lyngens. On les avait évités suite au conseil d’un français croisé à Tromso qui prétendait que la péninsule était trop touristique et qu’il y avait beaucoup de monde sur les itinéraires. Comme le topo qu’on avait ne parlait que de cette région, on a décidé de faire abstraction de ses conseils et ça s’est avéré être une bonne idée. La côte est de la partie nord de la péninsule n’est pas très protégée à l’exception d’un fjord au milieu qui accueille un petit port spécialisé dans la crevette. Le port est au centre d’une langue de terre plate qui forme le fjord. Les premiers sommets paraissent proches mais pourtant la marche d’approche n’est pas négligeable. Simon avait repéré un sommet le Jaegervasstinden (1543). Le début de l’itinéraire est à deux heures de marche donc les deux tiers sur la route. À notre arrivée, on décide d’aller marcher pour se faire une idée de la route et avoir une vue sur l’objectif. Le départ est fixé à 8h en espérant que quelqu’un nous prenne en stop… échec. On commence l’ascension dans des sous-bois pour terminer au pied du massif. La suite est plutôt rapide. La neige de printemps est béton à l’ombre et des vielles traces nous permettent d’avoir un bon rythme. On arrive au pied de la section finale plus raide au soleil avec une neige bien ramollie et lourde. On dépose les skis/splitboard avant le couloir qui mène au sommet pour terminer à pied. Des grosses coulées du sommet dégueulent dans le couloir qu’on longe sur le côté jusqu’au replat qui mène au sommet. On décide de pas trop traîner. Il est autour de 16-17 h et ça chauffe de plus en plus. La vue au sommet est magnifique, on ne se croirait pas à 1500m. On voit à perte de vue des montagnes et des fjords et même Ikat ! (du moins, on le devine…). Une fois de retour aux skis, on savoure la descente dans une neige pas trop mauvaise jusqu’au moment où il est possible de profiter au mieux de la pente pour devoir marcher le moins possible… Là, je prends mon mal en patience en voyant Simon galérer dans les plats avec son snow… Une fois en bas, marche, marche et un lift pour les derniers kilomètres. Il doit être 22h quand on est enfin prêt à défoncer le paquet de chips minutieusement sélectionné par Simon et attaquer la préparation de notre premier repas depuis le porridge du matin. Le soleil n’est toujours pas couché et il ne fera jamais vraiment nuit.
On met les voiles le lendemain vers l’entrée du fjord qui coupe la péninsule des Lyngens en deux. Après avoir hésité entre un ponton privé de gros bateau de pêche et un ponton qui était en fait plus un mouillage, on s’amarre sur ce ponton qui arrive au quart du mât et qui est grillagé. Un employé de la boite de pêche nous autorise à rester là. Nous voilà prêt pour notre second projet. Il est annoncé du même niveau. Comme les conditions sont plutôt favorables en face nord, on trouve un large couloir prometteur au regard des conditions neige annoncées, avec la possibilité de faire un sommet en longent la crête au sommet du couloir. Le topo indique « crampons might be useful », ce qui nous rassure en nous disant qu’on aurait peut-être pas besoin des crampons et que du coup ça ne devrait pas être trop engagé. Comme pour la sortie précédente, on prend tout, crampons, cordes… Après avoir regardé la météo qui annonce grand bleu, on part dans le brouillard. Ça va se lever ! La marche d’approche est encore longue, mais on l’avale sans soucis et avec suffisamment de chance que pour tomber sur des itinéraires dégagés et assez directs. On attaque la monté sans voir de signe d’amélioration niveau du brouillard. La neige est pas trop mauvaise et on est plutôt en forme. On espère passer au dessus du nuage et que tout se lève en montant. Assez vite, une fois rentrés dans le nuage, on chausse les crampons et on met les skis sur le dos. La neige travaille et regèle laisse des passages assez délicats pour faire mordre les peaux et les carres. Une fois les crampons chaussés, la montée est longue, mais peu difficile. Les crampons s’enfoncent bien dans cette neige qui ressemble à du gros sucre. On oublie vite que les carres ne mordaient pas dedans et on s’enfonce dans le brouillard. L’itinéraire de montée est plus raide qu’annoncé et en se fiant à notre position gps, on est effectivement monté sur le côté le plus raide du couloir. Une fois en haut dans le brouillard, il est encore assez tôt et on se lance sur l’arrête. Temporiser ne peut pas faire de mal à la neige. Plus le jour avance, plus elle devrait transformer. Au milieu de l’arrête, on se rend à l’évidence, le brouillard va pas se lever et la descente risque d’être musclée, on zappe le sommet. Gardons un max de jus et de plaisir pour la descente.
Une fois les skis au pied, le constat est direct, c’est gelé… « crampons might be usefull” on décide de pas s’affoler et d’y aller tranquillement piolet en main en dérapage pour assurer. Simon passe devant, il est un peu plus confiant que moi, sur le moment ça me rassurait. Puis sur un virage, il glisse. Concentré sur ma trace, j’entends sa carre racler. Le temps de tourner le regard vers lui et je le vois disparaître à pleine vitesse sur les fesses… Je passe du mode « sortie technique sous contrôle avec un pot » au mode « survie ». C’est la première fois que ca m’arrive. Les autres moments difficiles auxquels j’ai été confronté étaient toujours en partie sous contrôle ou ne concernait que moi. Sur la suite, je perds complètement la notion du temps. Je me souviens surtout de l’énorme combat qui se passait dans ma tête entre le besoin primaire de ne penser qu’à moi et ma sécurité et la nécessité de secourir un ami qui pour moi était sûrement en milkshake plus bas. Mon premier réflexe a quand même été de repérer la ligne de pente dans laquelle il a disparu, puis j’ai dérapé jusqu’à son piolet, puis plus bas en m’assurant d’avoir toujours un piolet en accroche. Secondes ? Minutes ? Aucune idée… Je me sens super lent. Je suis tiraillé par ce sentiment de pas être assez rapide pour l’aider et celui de tout faire pour pas faire pareil. Pas chouette. Tout se calme quand j’ai enfin une réponse de Simon qui me dit que tout va bien et que je peux prendre mon temps. J’ai l’impression de perdre 10kg et de savoir respirer à nouveau. Je me déroute sur un endroit un peu plus plat pour déchausser, remettre mes crampons et rejoindre Simon. Il me faut bien une minute pour réaliser qu’il va effectivement bien. Les pupilles sont super dilatées. Il doit être shooté à l’adrénaline. Je reste un peu sceptique sur son état, mais les quelques minutes qui suivent où l’on rassemble ses affaires et mes bâtons que j’avais laissé tomber dans la descente, remettront tout en état. On rechausse et on profite de la descente et du retour. Le retour sera super efficace et silencieux… On rumine les événements…
Il reste trois jours avant le retour de Simon. Deux jours de nav et une rando… à pied… avant qu’il décolle vers la Belgique. Je resterai encore 3 semaines dans le coin avant de commencer tranquillement mon retour vers le sud. Ces deux semaines de skis qui étaient la motivation d’un mois de course à la voile en solitaire m’ont pas déçue… J’en ai encore des étoiles au fond des yeux… et pourtant il y a encore énormément à faire dans la région et ailleurs ! A quand le prochain combo ?