Traversée du 2eme plus grand glacier d’Europe. Le vatnajokull est un glacier situé dans le Sud de l’Islande.

Voyage au cœur d’un glacier

Préambule :

Voyage de 14 jours (9 au 23 février) dont 12 sur le Vatnajökull, un glacier de la taille de la Corse. L’objectif est de partir de l’est du glacier (proche de Joklasel) pour atteindre le centre-ouest et son refuge de glaciologue. Nous revenons ensuite par le même chemin (un petit peu différent pour voir d’autres paysages), le tout en 12 jours pour plus ou moins 150 km. A préciser que l’on fait tout ça en ski de rando avec une pulka pour le portage de notre matériel.

La liste de l’équipement (individuel) :

-> 1 tente (2 personnes)
-> 1 sac de couchage (-15 confort)
-> 1 réchaud à essence
-> 1 matelas gonflable (pas hésiter à prendre un épais, le mien était trop fin…)
-> paire de bottes de ski
-> des peaux pour les skis
-> 1 pantalon gore-tex
-> 2 polaires courtes manches
-> 2 t-shirts techniques
-> 2 sous pantalons
-> 2 paires de chaussettes
-> 1 paire de sur-moufle (pour les tempêtes)
-> 3 slips
-> 1 pelle à neige
->

Point météo :

A cette période de l’année, le temps est un peu (même très) capricieux. Partir en février sur le Vatna, c’est s’attendre à avoir peu de luminosité tant les nuages peuvent envelopper les environs. Les températures peuvent être clémentes mais il faut aussi compter sur un vent fort qui peut refroidir très vite.

PS : je précise ici qu’il s’agit d’un récit personnel, je raconte un peu le voyage comment je l’ai perçu et de mon point de vue.

JOUR 1 :

Bjarney nous a déposé à 3 km de Joklasel, un restaurant surplombant la route F985. C’est l’un des nombreux points d’entrée du glacier. Le but était de nous déposer au pied du restaurant, mais sa grosse jeep (plutôt un monster-truck) patinait sur la route verglacé. On est donc parti 3 km avant notre point de départ, l’occasion de se mettre en jambe. Tout a bien fonctionné, les skis, les peaux, la pulka et les vêtements. Le temps a bien aidé aussi, on a eu droit tout au long de la journée à un beau soleil, chaud qui nous a poussé à enlever même nos polaires, on skiait en t-shirt par moment. On a eu droit à une vue magnifique, de la neige à perte de vue, des montagnes à droit et à gauche, bref un paysage à la fois merveilleux et intimidant.

On a « glissé » jusque 17h, soit 5h en tout puisqu’on a démarré à midi. Ce fut une courte journée, mais avec le beau temps on a pu avancé d’un bon pas. Mis à part quelques petites douleurs au genou et au bassin (faut bien se mettre en jambe), le corps a bien tenu l’effort.

En montant le campement au milieu d’un plateau entouré de montagnes et de petites collines, Dan a fait un mur pour protéger les tentes du vent ; Gael et moi on a monté les tentes. Pour une première on s’est bien débrouiller (faut dire que les conditions météo étaient nickels). En me posant dans ma tente, j’ai ressenti une étrange sensation : d’une part le manque de ma famille (ma femme et ma fille) qui s’est tout d’un coup abattu sur moi ; d’autre part la peur du milieu. Bon si le premier est une sensation presque universel (on ressent tous un jour le manque d’un proche), le second était plus nouveau pour moi. Concrètement, le fait qu’il n’y ait pas de vie à des kilomètres à la ronde m’a fait me sentir un peu mal. Tout ce blanc, toute cette immensité et nous trois, si petits… ça fait bizarre. Après un moment, cette sensation s’est apaisée et j’ai pu m’endormir plus serein, après un bon repas avec mes compagnons.

JOUR 2 :

Journée mitigée. Que dire de la nuit ! Sur les 12h passées dans mon lit, j’ai du en dormir 6. Le vent a décidé de nous souhaiter la bienvenue pendant la nuit, je n’ai pas l’habitude de l’entendre comme ça, la tente en tremblait c’était impressionnant. On a aussi mis du temps à décoller le matin : 2h pour manger, chauffe l’eau que nous boirons pendant la journée, se préparer et ranger le campement. On est parti à 10h, un peu tard. Globalement, le reste de la matinée a été bonne, on a pas trop mal avancé, même si on a très tôt attaqué une longue pente après la fin du plateau sur lequel on campait. En revanche, le vent s’est à nouveau levé durant l’après-midi, bien méchamment. Cela nous a un peu ralenti, d’autant plus qu’une de mes peaux s’est décollée et qu’il était impossible pour moi de la remettre avec ce temps. On a donc du poser le campement à 15h40, trop tôt…

Le temps a été magnifique, un beau ciel bleu avec une superbe vue sur le glacier et ses massifs montagneux. Seul bémol depuis notre départ, nous journées de glisse trop courtes (deux fois 5 heures) ne nous ont pas fait avancer autant qu’on avait prévu afin d’atteindre en 6 jours le refuge. Si nous voulons encore y arriver, il va faire des journées plus longues.

JOUR 3 :

Sans doute la journée la plus difficile depuis le début de notre périple. Le matin avait pourtant bien commencé, on a pu se lever plus tôt (7h) et donc démarrer vers 9h. Seulement, j’ai eu assez rapidement un soucis technique qui nous a ralentis durant toute la journée : une de mes fixations de ski s’est bloqué et empêchait mon pied gauche de se lever, j’ai donc du glisser sur une jambe en ramenant l’autre à chaque pas, compliqué d’avancer vite dans ces conditions. Parallèlement à cela, on a rencontré des soucis de trajectoire. On a pensé qu’on pourrait se repérer facilement en fonction du paysage pour notre itinéraire, mais force est de constater que sans utiliser la boussole on arrive pas à grand chose. On a ainsi avancé en angle droit plutôt qu’en diagonale sur notre carte, ce qui n’était pas prévu au programme.

Le soir venu, au moment des relevés cartographiques, on a constaté que les chances d’atteindre le refuge d’ici 3 jours seraient loin d’être une partie de plaisir. Mais la roue peut encore tournée, désormais on prendrait soin de ne plus se repérer à l’œil, et on a pu enlevé le ressort qui bloquait ma fixation, j’avancerai donc au même rythme que les autres.

A part ces petits soucis, le temps a été excellent. Un grand ciel bleu, aucun vent durant toute la journée, contrairement au deuxième jour.

JOUR 4 :

Levés 7h, partis à 9h20, nous étions dans notre rythme de croisière, prêt pour une bonne journée de « glisse ». On ne s’en rend pas compte encore, mais cette journée est d’une importance cruciale pour la bonne réussite de nos objectifs. Si nous avançons encore comme les jours précédents, nous pouvons dire adieu à la possibilité d’atteindre le refuge dans les temps. D’emblée, on attaque une belle pente, avec les montagnes à notre gauche, bien proches. On avance d’un bon rythme, mais cette matinée est pour moi difficile sur le plan physique, je commence à sentir la douleur au niveau des pieds et des chevilles à cause des bottes de skis alpin. C’est un matériel qu’on m’a prêté, je n’ai donc pas l’habitude de l’utiliser, et mes jambes ont gonflé, surtout ma cheville droite.

Après un anti-inflammatoire, effet placebo ou pas, mais j’ai mordu sur ma chique et on a pu un peu accélérer l’allure. Faut dire aussi qu’après le repas du midi au canard fumé, ça donne des forces. Couplé à ce regain d’énergie, la pente s’est aplanie vers midi et on a pu avancer sur un immense haut plateau (en fait le centre du glacier) avec un temps magnifique, pas de vent, grand soleil : le rêve. Le moral était au beau fixe, on savait qu’on avançait vraiment bien et avec un bon cap !

En posant le camp à 16h30, le vent est évidemment revenu nous jouer des tours. Les relevés cartographiques du soir nous ont révélé d’excellentes nouvelles : on a parcouru 18 km, il nous reste donc 30 km à parcourir en deux jours afin d’atteindre le refuge.

JOUR 5 :

Ça y est ! Le temps a stoppé sa clémence surprenante pour nous rendre la vie plus difficile. Que dire, si ce n’est que le changement est brutal ! La visibilité a fait de la chute libre, un amas de nuages gris nous entourant et limitant la vue à une demi-douzaine de mètres devant toi. Que dire de la neige qui tombe sans discontinuer, et de ce vent mesquin qui souffle pour agglutiner la neige sur et dans ta pulka, sur toi, ton masque,… Pour ne rien arranger, le vent soufflant tellement, un arceau de la tente de Gael s’est cassé en démontant la tente. Cette matinée cauchemardesque nous a fait hésiter : que faire ? Revenir en arrière pour assurer un retour moins stressant, ou quand même continuer en sachant qu’on avait encore deux jours à tenir pour atteindre la moitié de notre périple ? La deuxième option a finalement été retenue, on continue.

Heureusement qu’on avait deux boussoles pour garder un bon cap, sinon tu peux tourner en rond pendant des heures tant tu ne peux distinguer le ciel du sol. C’est bien simple, tu as l’impression d’avancer dans une limbe brumeuse, où la vie n’existe juste pas. Heureusement qu’il y a mes compagnons pour porter des couleurs vives, parce que sinon il n’y a que du gris ou du blanc. Le campement fut dressée à 17h, le bilan cartographique nous a révélé que malgré notre bonne marche, on avait parcouru que 12 km, ce qui nous laisse 18 km à faire le lendemain pour atteindre le refuge. La motivation est toujours là, on compte bien y arriver.

JOUR 6 :

Le réveil à 6h30 fut difficile, j’ai probablement passé la nuit la plus humide de ma vie. Toutes les affaires ont accumulé la neige des derniers jours : ma pulka est pleine de neige à l’intérieur ; mon matelas et mon sac de couchage sont mouillés ; la tente n’a pas l’air de tenir le choc et ruisselle de gouttes qui tombent sur moi. Le point positif, c’est que tu es pressé de quitter cette piscine ambulante pour te mettre en mouvement et te réchauffer. On décolle donc à 9h, déterminer à atteindre ce refuge au bout de la journée.

Désormais, il ne faut rien attendre du temps, il reste fidèle à sa posture de la veille : nuages, vents, neiges et peu ou pas de visibilité sur notre route. Malgré cette obstacle de taille, on avance bien durant la matinée, personnellement, passé 10h30, c’est toujours plus pénible pour moi car le manque d’énergie se fait sentir. Le repas du midi est souvent salvateur et me permet de bien gérer l’après-midi, du moins jusque 15h, après il faut se forcer à pousser un pied devant l’autre jusqu’au rush final de fin de journée. Bref, vers 13 heures, il ne nous reste 8km à faire, c’est faisable.

Je me souviens que Gael, qui gère le GPS, nous a fait une drôle de blague. Vers midi, il a annoncé qu’on avait encore 12 km à parcourir, pas très encourageant. Une heure plus tard ils nous annoncent avec un sourire en coin qu’on en a plus que 8. Dan et moi on est super content, mais on se demande comment on a pu faire 4 km en 1 heure ?! Là, Gael nous dit qu’il a fait exprès de rajouter des kilomètres à midi, on en avait que 10 en fait. Je ne sais pas si cela nous a motivé à aller plus vite ou non…

Bref, malgré la neige qui s’amoncelle, on ne lâche rien et à 15/16h, on a plus que 2-3 km à parcourir : belle performance dans ces conditions. Mais voilà, alors que la fatigue commence à bien se faire sentir, on dévie un peu du cap ouest, on descend pour remonter, les 2-3 km ne diminuent que trop lentement… Va-t-on finir par atteindre ce fichu rocher oui ou non ?!

Passé 17h, nous sommes des automates qui marchons avec je ne sais quelle énergie. Je pense que Gael et moi pouvons remercier la force de Dan, avec sa pulka deux fois plus lourde que la mienne, il a réussi à nous frayer un chemin dans cette neige dans les derniers kilomètres, prenant la tête du groupe presque à lui tout seul sur la fin. Je l’en remercie encore. Finalement, alors que le soir tombe, que la luminosité déjà proche de zéro atteint finalement le noir complet, le GPS de Gael nous amène à destination : 3 bunker recouverts de neige, flanqués en haut d’une petite colline : Grimsvötn, on a réussi !

Le refuge est à la hauteur des efforts qu’on a déployé : chauffage, gaz, radio, lits confortables, bref, un bonheur que je n’aurais pas cru ressentir autant pour un confort que je connais quotidiennement chez moi mais ici, qui a une saveur vraiment particulière.

JOUR 7 :

Sans aucun doute la journée la plus tranquille et la plus confortable du séjour. Pas grand chose à dire si ce n’est qu’on a vraiment pu recharger les batteries durant cette journée : séchage des affaires, bons repas bien caloriques, petits whisky et jeux de cartes avec Dan et Gael. On en a profité pour discuter plus longuement, plus calmement, notre cohésion de groupe est très bonne et c’est je pense, ce qui fait la force de notre groupe pour ce voyage. Je me suis rendu compte de la vitalité d’avoir une bonne entente dans le groupe dans ce type d’aventure, il faut être soudé et solidaire les uns les autres pour se tirer vers le haut et non vers le bas, notre trio fonctionne bien à ce niveau-là.

JOUR 8 :

Pour repartir vers Joklasel, on a eu droit à ces bons vieux nuages, ce vent et cette neige qui colle. Le temps est maussade depuis maintenant 4 jours. Pas le choix, il faut avancer car nous devons parcourir 65 km en 5 jours. En partant, on a choisi de piquer plein est et de dévaler la pente de Grimsvötn (soit 200 mètres de dénivelés en très peu de temps, une vraie descente à ski). On n’y voyait rien mais c’était très chouette de vraiment glisser pour une fois, malgré les peaux qui nous ralentissaient on a bien dévalé la pente, chacun tombant au moins une fois. C’était aussi tout un art de descendre avec la pulka, la position idéale pour qu’elle ne gêne pas n’a jamais été trouvé…

Arrivés en bas de la colline, on a vu les premières crevasses du glacier : un grand trou de plusieurs mètres, ça nous a bien calmé je pense, même si personne n’en a rien dit. Avec le peu de visibilité, l’un de nous pouvait tomber dedans pour le même prix.

Le reste de la journée a été plat, plat à tous les niveaux : le temps, le dénivelé. Bien que l’entente est très bonne dans notre groupe, on a peu parlé, quelques échanges de blagues, des petites chansons et puis une concentration sans doute due à la dureté de quitter le confort du refuge pour cet environnement que Dan et moi avons baptisé l’enfer blanc, Gael aime parler de white out !

JOUR 9-10-11-12 :

Le récit s’arrête ici, je n’ai plus continuer à tenir mon cahier pour les quatre derniers jours. Globalement, avec mes souvenirs, je peux dire que les jours suivants ont été assez clément au niveau du temps. Le beau temps est revenu le lendemain, pile au moment ou l’on rangeait notre campement. Revoir la couleur du ciel, du soleil et une visibilité m’a rendu joyeux et euphorique comme jamais je ne l’aurais cru. Assurément, ce voyage permet d’apprécier les choses du quotidien qu’on a totalement oublié. Quelle joie de voir toutes ces couleurs !

Le deuxième jour a été plus compliqué au début, le matin étant de nouveau en mode «white out » et l’on devait de nouveau accomplir une petite montée après deux journée de plat complet. Mais presque miraculeusement, le beau temps est revenu à midi avec une belle descente ou l’on a avancé très très vite. On était bien dans les temps.

Les deux derniers jours ont été à l’opposé les uns des autres : si l’avant-dernier fut un beau temps, seulement fort venteux, le dernier s’est caractérisé par une vraie tempête. A croire que le glacier voulait nous remercier avec un humour bien bizarre. Le vent nous a épuisé jusqu’au bout, et franchement, en cet instant, j’étais pas très à l’aise.

Finalement, on a réussi à atteindre le restaurant le mardi soir, épuisé et mouillé, un petit peu comme lorsqu’on est arrivé au refuge au milieu du séjour. Mais cette fois-ci, le vent était tellement déchaîné qu’il soulevait nos pulkas, me faisant même tombé net sur le sol glacé. Face à l’absence de notre conducteur car le temps était trop mauvais, au fait que la tente de Gael ne tiendrait pas avec un tel blizzard, on a pris la décision d’appeler les secours. Décision confortable je pense, car on pouvait dormir à trois dans ma tente, contre la paroi du restaurant, mais on était tellement fatigué, mouillé et refroidi qu’on a pas voulu se torturer une nuit de plus. Le glacier nous avait vaincu, j’ai appris ma leçon à propos des forces de la nature, ne jamais les prendre à la légère !

Au final, j’ai gardé un souvenir particulier de cette aventure, bien plus marquant que je ne l’aurais cru. Marquant à bien des niveaux ! Des bons comme des mauvais. Personnellement, je ne pense pas que je referai un voyage pareil, attaquer un glacier en février en Islande n’était pas la meilleure idée de ma vie. J’ai souvent pensé à rebrousser chemin, principalement parce que j’avais sous-estimé la difficulté d’être isolé de toute vie et civilisation. Si je peux donner un ou deux conseils à la va-vite avec ma petite expérience, c’est de surtout très bien préparé son matériel ! Ne pas prendre des bottes de ski qu’on a jamais essayé, ne pas partir avec un bâton de ski qui ne tient pas, ne pas avoir des gore-tex qui prennent l’eau au bout de 5 jours, etc… Vérifiez tout afin de ne pas vous rendre la tâche plus compliquée qu’elle l’est sur place. Votre mental va déjà être mis à rude épreuve, facilitez-vous la vie au niveau technique et matériel pour ne pas craquer.

Mais j’ai beaucoup appris là-bas, j’ai grandi et j’ai appris à mieux connaître mes limites, ce que j’aime et ce que je n’aime pas. J’ai appris à relativiser certaines choses, malgré tout, les paysages ont été éblouissants, et je sais ce que ça fait comme sensation d’être seul dans environnement ou toute trace de vie a disparu.