Découverte du Big Wall dans le Yosémite
Le réveil nous a gratifié de petites surprises: nous sommes courbaturés de partout, nos mains sont douloureuses à souhait, détruites, tous nos muscles nous font souffrir… On ne s’était pas rendu compte que cette voie nous avait entamé autant. Le jour de repos prévu s’avère plus que nécessaire! Nous sommes rejoints par Dom et Victor du capExpe qui parcourent les spots de grimpe de la Californie (voir leurs comptes rendus ici et là). Ils passeront leur journée dans des voies de trad d’un niveau plus qu’impressionnants. Pendant ce temps, nous dévalisons un magasin de grimpe, complétant notre panoplie de matériel nécessaire pour l’ascension de big wall. Quelques courses plus tard, la question “on fait quoi demain ?” vient sur le tapis. Vu notre état de fatigue, je ne nous vois pas réattaquer un second big wall à 4h du mat’ (surtout que celui-ci est d’un niveau nettement supérieur au premier). Néanmoins, prendre une seconde journée de repos nous emmènerait à démarrer le Big Wall un samedi matin… qui plus est, il s’agit du WE de Memorial Day, un WE de trois jours qui a la réputation de voir le Yosémite saturé de touristes et de grimpeurs. Ce serait prendre le risque de se retrouver avec 3 autres cordées au pied de la voie et de ne pas pouvoir démarrer… Finalement, une solution intermédiaire est trouvée: on démarre le lendemain en milieu d’aprem pour déjà faire la marche d’approche et fixer les 2 premières longueurs de la voie ; on dort au pied de la voie et le samedi matin, on sera les premiers grimpeurs dans la voie… imparrable et cela nous laisse l’occasion de faire encore une bonne nuit!
C’est ainsi que le vendredi vers 15h nous attaquèrent la seconde marche d’approche… un bon 2h de marche pour atteindre le pied du mur de “Leaning Tower”, une tour déversante assez impressionante! Une traversée en escalade facile sur une corniche à une bonne centaine de mètres du sol conduit à une vire d’où démarre la voie. Premier constat: 2 cordées se trouvent des les premières longueurs de la voie! Damned, nous ne sommes pas les seuls à avoir eues cette idée! Finalement tout se passe bien vu qu’une cordée est là pour travailler certaines longueurs en libres (des longueurs qui passent normalement en artif mais qui ont été libérées et dont les cotations tournent dans le 8a). Cette cordée-là finit par redescendre pour nous laisser la place… et aussi nous donner quelques conseils: la longueur 3 est une longueur de C2, pas possible de placer des friends/nuts partout, il faut sans doute sortir les “hooks”… On sent la pression qui monte… nous n’avons jamais placé un “hook”… Bref, dans ces cas-là, la courte-paille décide qui s’y colle et encore une fois, je tire la plus petite et me colle donc la longueur 1 et la longueur 3… Bernard ayant la chance de se coller les longueurs paires!
La première longueur est une longueur extrêmement déversante mais complètement spittée qui passe en A0. Rien de très difficile techniquement donc! Une petite difficulté mentale vu que la voie démarre déjà à une centaine de mètres de haut, avec le dévers, on se retrouve directement en pleine ambiance, plein gaz! En bon grimpeurs sportifs que nous sommes, nous egloutissons cette longueur très rapidement! Et c’est depuis un relais suspendu que je vais assurer Bernard pour une seconde longueur complètement semblable! On avance vite mais très honnêtement, il n’y a rien de très très difficile.
Arrive alors la fameuse longueur 3… que je décide de grimpeur au soir plutôt que le lendemain matin (ce qui était initialement prévu). J’attaque donc cette longueur en dièdre en pleine confiance avec pour objectif: efficacité! Et ca marche, je place mes pièces plus loins que précédemment (il n’y a pas beaucoup d’endroits pour en placer), je suis en chaussons et fais de temps en temps un pas en libre… au final, je ne devrai même pas sortir le fameux “hook” et la longueur passera rapidement! Après, il sera temps de redescendre en rappel et de fixer les cordes statiques pour le lendemain. Une bonne journée! Nous décidons de dormir sur la vire au pied de la voie, cela nous permettra de nous faire réveiller si quelqu’un veut démarrer la voie et cela nous évitera une éventuelle visite d’ours… réputés dans la vallée! Et cela nous fera une nuit de plus dans les airs… La nuit se passe nettement moins bien que la première… la raison: un sol très irrégulier qui fait qu’il y a toujours un caillou qui viendra se coincer dans le dos, entre deux cotes ou dans un autre endroit inapproprié!
Le lendemain matin, petite surprise: la foule attendue au pied de la voie n’est pas au rendez-vous! Tant mieux, on peut prendre son temps pour sortir de son lit, prendre son ptit dej tranquille et attaquer les remontées sur corde calmement! La courte paille me désigne une fois de plus comme étant le premier à attaquer la remontée. Cette fois-ci, plus de gri-gris mais 2 ascendeurs… ca va un peu mieux mais la pratique n’est pas encore là et ce n’est pas encore resplandissant d’efficacité!
Après avoir remonté les 2 premières longueurs, je m’occupe de faire monter le sac… vu le dévers, le sac pend au milieu du vide et monte au rythme de mes va et viens sur le relais (comme indiqué plus haut, il remonte par un effet de contrepoids). Ambiance géniale! Bernard remonte en même temps! On remontera la longueur 3 de la même facon (les rôles étant inversés). Puis, ce sera à Bernard d’attaquer la longueur 4 de la voie. Une longueur d’artif qu’il passera sans soucis! On sent l’expérience qui rentre, l’efficacité est déjà nettement plus présente! On arrive alors à la “Ahwahnee Ledge” qui est censé nous accueillir le soir…
Vu l’heure encore relativement matinale, on se pose la question de savoir si il n’est pas possible de sortir le soir-même de la voie! Cependant, la cordée qui nous précède (et qui a donc passé la nuit sur la ledge) n’est qu’une demi longueur devant nous et n’avance pas du tout! Nous décidons donc de profiter tranquillement de la vie et de la jouer “cool”. On s’installe donc sur la ledge, on profite de la vue, on dine copieusement, on fait une petite sieste et quand la cordée de devant semble suffisamment loin (2 longueurs devant), nous réattaquons la grimpe!
La longueur suivante consiste en une longue traversée sur la droite. Elle commence par un pendule qui permet de rejoindre une fine fissure pas évidente à grimper. Ensuite, on se retrouve à nouveau plein gaz pour continuer la traversée qui se termine par une quinzaine de mètres de remontée! Splendide longueur que j’ai la chance de grimper! Bernard me rejoint tant bien que mal… pestant contre les longueurs en traversée qui sont si difficiles à nettoyer…. volant de pendules en pendules…
La longueur suivante est très courte et consiste en une quinzaine de mètres de grimpe en libre suivi d’une échelle de spits… Bref, rien de fantastique et c’est à nouveau moi qui lead la longueur très rapidement pour… rejoindre la cordée de devant qui n’a pas encore quitté le relais suivant! Définitivement, on n’aurait pas eu le temps de sortir le soir-même! La cordée en question a pour objectif de sortir mais on se demande même si ils y arriveront!
La longueur suivante sera pour Bernard: un gros 50 mètres d’artif dans une fissure légèrement déversante! Splendide et pas évident du tout!! Nous décidons alors de nous arrêter là pour aujourd’hui et de redescendre en rappel à la vire en fixant les cordes statiques pour le lendemain…. 100 mètres de rappel dans un mur légèrement déversant! Encore une fois… ambiance!
La vire sur laquelle nous allons passer la nuit est nettement plus étroite que les précédentes. De forme triangulaire, elle fait un peu moins d’un mètre de large au maximum sur environ 5-6 mètres de long et peut accueillir selon le guide 4 personnes (on doit se dormir dessus à 4…). Etonnamment, nous ne sommes que 2… mais que fait la foule dans ce WE censé être surpeuplé ? On ne s’en plaindra pas… Cette fois, nous avons joué la légéreté dans le sac… donc pas d’apéritif et pas de bière pour admirer le coucher de soleil… je le regrette un peu finalement ;-)! Ceci ne retirera en rien la beauté du coucher de soleil qui s’offre à nos yeux… Nous restons un long moment à discuter assis sur notre vire à quelques centaines de mètres au-dessus du sol… nous sortons le livre “How to Big Wall ?” pour revoir encore une fois les techniques de remontées sur corde. Le fait de se retrouver en plein Big Wall à lire le livre “How to Big Wall” me fait rire… imaginez un footballeur qui au moment de tirer un penalty s’arrête et commence à feuilleter un livre “Comment marquer un penalty ?” (en passant, certains footballeurs en auraient sans doute besoin…).
Bref, on passe un temps considérable à lire, à discuter, à admirer… à observer les phares des nombreuses voitures qui vont et viennent dans la vallée! Je me revois arrivant le vendredi soir précédent et m’arrêtant à un point de vue pour observer (avec un brin de jalousie) les falaises et les lumières des grimpeurs qui bivouacèrent dessus. Cette fois, ca y est, c’est moi qui y suis! Mon esprit scientifique et obsédé de la question “pourquoi” ne peut s’empêcher de se demander ce qui poussent les gens à faire ce genre de chose, ce qui nous/me pousse à faire ce genre de choses… Je n’ai pas de réponse satisfaisante mais je sais que je suis à ma place sur cette vire et que je ne l’échangerais pas, même pour tout l’or du monde! Le soleil couché, nous faisons cuire nos désormais traditionnels raviolis… avant de plonger dans nos lits sous un ciel encore magnifiquement étoilé et au-dessus d’une vallée parcourue par un grand nombre de voitures ! Ce soir-là, nous resterons encordés… juste au cas où… Ce fut une des meilleures nuits du séjour… un bon 10h de sommeil d’une traite avant de se réveiller face au vide et au paysage merveilleux! Que demander de plus ? Nous nous réveillons mais nous ne sommes pas pressés… la voie est presque terminée… Bernard prend son livre et commence à lire... je m’assieds au bord du vide et reste à contempler le paysage… et à méditer un petit peu! Tout est loin d’être rose dans ma vie pour le moment, ce petit moment de méditation me permet de faire un peu le point… avec beaucoup de questions qui se posent… je me fais un peu ratrapper par les soucis de ma vie et par les sentiments qui y sont associés! Ni Bernard ni moi-même n’osons vraiment briser le silence… on est bien là!
Finalement, il faut bien se décider à bouger et après “une grasse mat'”, on engloutit le ptit déj, on remplit le sac et on quitte notre hôtel de luxe… pour une remontée sur corde d’une centaine de mètres! Bernard attaque la première partie et s’occupe du sac sur cette partie! Viens ensuite mon tour de remonter… je sens que le mental n’y est pas du tout… je me suis complètement fait rattraper par mes sentiments de la vie quotidienne ce matin, je ne suis absolument plus dans le Big Wall, je suis ailleurs… quelque part en Belgique sans doute! Chaque mouvement est difficile… et j’ai l’impression de faire n’importe quoi! Je remonte la deuxième partie de remontée sur corde en tête en luttant tant bien que mal contre les émotions! Aie aie… pas bon ca! Je remonte le sac et Bernard me rejoint. Je le préviens que ca ne va pas du tout, que je suis complètement à côté de mes pompes… il sait pourquoi, ne posera pas plus de questions et se contentera de me rassurer: on va sortir tranquillement de la voie et on redescend tranquillement…
Les 2 longueurs qui viennent sont les plus difficiles de la voie selon le topo! Deux longueurs de C2. C’est à Bernard que revient l’honneur d’attaquer la journée! Une longueur qui franchit un toit (plein gaz encore une fois) en suivant une fissure évidente… mais pas évidente à grimper! Complètement pendu dans le vide, il s’en sort super bien! Puis c’est à mon tour de nettoyer cette longueur… et à mon tour de pester contre les longueurs aussi déversantes et aussi difficiles à nettoyer (mais un donné pour un rendu… Bernard ayant dû nettoyer la traversée la veille ;-)). De pendules en pendules, je finis par rejoindre le relais.
La longueur suivante est censée être pour moi… j’hésite sérieusement à la laisser à Bernard, le mental n’y est pas du tout… après quelques minutes d’hésitation, je me reprends un peu: je ne vais pas me laisser aller! J’y vais, ca sera ptet difficile mentalement et je vais ptet en chier mais je ne me laisserai pas aller! Je récupère le matos… je prends une minute pour faire le vide en moi… et … c’est parti, j’attaque la longueur! Et là, le miracle se produit: au fur et à mesure des mètres grimpés, mon esprit se concentre uniquement sur ma grimpe, le reste n’existe plus… à ce moment, ma vie se réduit à moi et à cette escalade, aux quelques mètres à gravir, à la façon dont je vais négocier cela… La tristesse, les sentiments, la colère laisse la place à un sourire et à une détermination qui revient au galop! Je sais maintenant que cette longueur, je vais la bouffer! Je grimpe plutôt bien, rapidement, précis dans ce que je fais… j’y suis à 100%! Un premier petit toit est contourné, je me surprends même à placer mon premier “hook” pour apprendre… la longueur est pas mal, se terminant par une traversée sous un gros toit! Me voilà au relais! C’est passé trop vite, je veux encore grimper… Les sentiments du matin ont fait place à autre chose… le miracle de l’escalade a opéré!
Une dernière longueur de grimpe très facile nous attend avant de pouvoir s’élever au sommet de Leaning Tower! Notre second Big Wall est vaincu!! Une séance photo et un diner plus tard, nous entamons la descente. Quelques rappels sur l’autre face de la tour (avec une vue magnifique sur El Cap) nous amènent à un couloir que nous redescendrons par un nombre interminable de rappels avec le sac sur le dos… dur dur… Puis nous nous retrouvons au pied de la voie! Une courte paille rapidement jouée me désigne (encore !!!) comme étant celui qui prendra le haulbag pour la descente à pied, Bernard prenant un petit sac rempli de toutes la quincaillerie (qui pèse son poids). Puis c’est parti pour la descente! Bernard dérappera sur quelques gravillons et perdra l’équilibre… il s’ouvrira une partie de la main. Rien de grave mais cela nous rappellera que la voie ne sera terminée qu’une fois à la voiture!