Descente de l’Allier en packraft
Il était une fois une Allier en crue, sortie de ses berges et présentant de nombreux obstacles inhabituels comme des arbres au milieu de l’eau. Je tiens à préciser qu’il y a un débit de 180m³/sec (pour une normale vers 20-60m³ en fonction des sections), ce qui veut dire que tout va très très vite. Je tiens à préciser aussi que, si au soleil il fait chaud, dès que l’ombre pointe son nez le thermomètre chute et les poils se hérisse, réflexe archaïque qui aidait peut-être nos ancêtres braves et velus à se réchauffer, mais peu efficace pour nos petits corps grêles et glabres, à se protéger du froid ambiant.
Le décor étant fixé, voici l’aventure
Début de voyage habituel : départ prévu samedi à 8h tapante pour arriver tôt.
A 7h59 un message : “CoucouMisG1PeuDRetarJdémarSlmtMntDcJseréDs10-15minChéToi.bisou”.
8h20 : On se rend compte que j’ai oublié d’imprimé mes papiers d’assurance (on ne sait jamais) et qu’il faut ABSOLUMENT remplir un doodle.
9h30 : grand départ avec le coffre et la banquette arrière qui débordent. C’est parti au son de “Equador Escuchame” pour 8h de voiture, 1h de shopping (infructueux) et 5 arrêts pipi.
Arrivée près de l’Allier. Le GPS nous fait prendre la route touristique (comprendre petit chemin de campagne avec des vaches à droite, des champs à gauche et trop peu d’espace pour croiser autre chose qu’un cycliste.
Arrivée à Prades, notre “ville” de départ : Pas de gare, pas d’endroit où nous loger… Nous continuons jusque Langeac où le bar Irlandais (“Le Kilt”, en toute logique) en face de la gare nous dirige vers le camping du coin qui borde l’Allier.
La proprio du camping dort déjà. Nous trouvons une note avec le code d’accès au camping. On s’installe, on mange et on décide de pointer un nez au bal disco du coin situé à Reilhac : nous observons trois pelés et deux tondus en train de faire rôtir leur steak avec un doux murmure de boum boum dans le fond. Les 5 euros d’entrée finissent par nous décider : ce soir, nous dormirons du sommeil du brave et nous dormirons tôt.
Réveil dimanche à 9h, comme prévu. Nous déjeunons encerclées par les joggeurs, les marcheurs rapides, les chiens promenant leur maîtres et les cyclistes.
Après le petit déj, l’épreuve des sacs. Epreuve fastidieuse exigeant un tri draconien (et accessoirement près de 2h).
Pendant que l’une parque la voiture à la gare, l’autre gonfle les rafts sous l’œil curieux d’un chien et de son maître, admiratifs des sacs à gonfler : “super le système D” …
On charge les raft : sac étanche avec notre barda emballé et réemballé dans des sacs plastiques et notre sac à dos emballé dans un sac poubelle. On répartit : la bidouille de 5l pour toi, le pic nic pour moi et on accroche tout cela tant bien que mal sur l’avant des rafts.
Ça y est. Tout “tient”!!! Plus qu’à les mettre à l’eau. Mais c’est lourd ces trucs!!! Départ étonnamment facile sur notre “petite” rivière en pleine crue. On rame, on pagaie, on gère!!!!!!!!!!
Après 30 min, je décide que mon pack raft se dégonfle vraiment fort (quel dégonflé) et ne voyant plus ma petite pointe émerger hors de l’eau je tente de rééquibrer mon chargement en ramenant ma bidouille vers l’arrière. Mauvais calcul, pas moyen de l’attacher plus en arrière et la fatalité pointe le bout de son nez sous la forme d’un joyeux rapide. Je vois notre bidouille de 5l d’eau pure s’enfoncer sous les eaux. Je salue cette disparition d’un cri désespoir et en informe ma co-aventureuse. Vu la couleur de la rivière en crue les remous teintés de gris et de brun-sale, il n’est pas question de cuire des pâtes là-dedans, même bouillie! 20min plus tard, alors qu’on rediscute de cette perte malheureuse, un cri hystérique surgit : “La bidouille, la bidouille, la bidouille!!!!!!!!!!”. “Ben oui je sais, on l’a perdue, déso quoi…” “Non, sous ton raft, sous ton raft”
Et oui monsieur, nous avons récupéré la bidouille. Quel exploit! Nous ne sommes pas peu fières de notre chance et de nos prouesses. Tout ceci nous donne confiance, on gère quoi!!! On est les reines de l’Allier.
Un morceau calme, très peu de courant et beaucoup de bruit. Nous ne nous inquiétons pas. Pourquoi, mais pourquoi me direz-vous? Pourquoi, pourquoi nous sommes nous dit cent fois, mille fois dans l’heure qui a suivi.
En une fois, je vois un précipice, un gouffre profond d’où je vois l’écume causée par la chute d’une trombe d’eau qui atterrit sur encore plus d’eau et passe sous cette eau et remonte sur cette eau en une interminable boucle… Je pagaie, je tourne de 90°, je pagaie encore… Le bord est trop loin… Une idée me traverse : quitte à se vautrer, autant affronter le danger de face… On sait jamais, cela peu passer… donc, je fais face à la cascade et je me laisse porter par le courant. La chute est longue (au moins 0.5 sec) et l’atterrissage… pas si brutal que cela finalement. tout va bien, je suis en bas, je suis entière… Zut, j’arrive pas à avancer malgré mes coups de pagaie… Je crie “stop stop, pas par ici!!!” et… c’est fini. Mon bateau décide de suivre l’eau qui passe sous l’eau plutôt que l’eau qui remonte et je dois bien suivre.
Punaise, c’est suuuuuuuuuper froid!!!
Heureusement, je n’avais pas de jupe (nous avions décidé que ce n’était pas une bonne idée de rester coincées sous nos bateaux chavirés et que nous préférions affronter le froid des vagues), j’avais mon gilet de sauvetage et mon casque. Je refais surface, je respire plus ou moins, il fait quand même très froid et… ben le courant nous emporte, moi et ma pagaie que je n’ai toujours pas lâchée.
Ma co-équipière me racontera après …
Version vu de derrière : Arrivées sur une grande étendue d’eau toute calme nous sommes assourdies par un fracas infernal sans pour autant parvenir à identifier sa provenance. Pika, quelques mètres devant commence à crier une série de choses intelligibles et je me rapproche prudemment pour tenter de comprendre. Soudain, elle se remet dans le courant et disparaît dans un grand Aaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaah! Toute inquiète, je pagaie en direction du dernier endroit où je l’aie vue en criant désespérement son nom :”Pika, Pikaaa”. Enfin, je vois sa pagaie et son casque, ouf, tout va bien! Euh, un instant, pagaie et casque, mais où est son raft? Et à ce moment, m’étant approchée assez près je le vois coincé dans un rouleau juste en bas de la pente que je surplombe et boum! je fonce délicatement dedans! Je n’ai pas longtemps à attendre pour être également envoyée sous l’eau et me retrouver tout comme elle avec juste la pagaie et le casque qui dépassent. Heureusement, la rivière étant en crue, il y a plein d’arbres au milieu de l’eau et on peut se jeter dessus avec délicatesse (comme le témoigneront nos genoux par la suite) pour tenter de résister au courant. Par contre un peu moins bonne surprise, les ronces aussi sont immergées… Nous voilà sans rafts mais avec pagaies et blessures de guerre!
On se retrouve à deux, accrochées à des branches des centaines de mètres plus bas, regardant impuissantes et déspérées défiler une pomme, un paquet de nouilles, un œuf dur, … Nous ne voyons plus notre bidouille miraculée. On se retrouve devant une rive en à pic, avec des arbres partout : au bord et dans l’eau.
Nous nous jetons courageusement à l’eau pour récupérer (avec 120m³ de débit!!!) nos pack rafts et un des sacs qui avait lâché. Réflexion faite, 3 sur 4 sacs qui tiennent malgré le naufrage, ils n’étaient pas si mal attachés que ça.
On voit passer un serpent… ouf c’est “rassurant”, il y a d’autres êtres vivants sur cette berge. Quelques touristes s’arrêtent sur le pont qui nous surplombe et, nous voyant sur pied, décident que tout va bien. Pas la peine de s’inquiéter.
Après une heure de tremblote, de semi strip-tease et d’enfilage de nos super t-shirts en néoprène (trempés) nous reprenons du poil de la bête. On refait les sacs, on regonfle les rafts, on rattache tout et on repart. A 100m de là : la prochaine étape, celle qui est indiquée dans le guide comme arrivant peu après la barrière à saumon. Barrière à descendre à pied ou en glissière. (Pour être repassées après, nous étions au bord de la glissière, voir sur le bord quand on s’est vautrées et même si on l’avait prise, il y avait tellement de courant qu’on aurait été tout autant dans le pétrin).
On (re-) sort des rafts, on lit les panneaux indicateurs, on part en reconnaissance pédestre du prochain bruit de rapide et on se remet en route. Pas de chance, je n’arrive pas à me décider si je passe à gauche ou à droite de l’arbre au milieu de la rivière et la rivière décide pour moi : ce sera dessous. Nooooooooon, dans un dernier sursaut j’attrape une branche, je trouve un appui pour mes pieds, j’attrape mon raft, je tire, je pousse, j’essaie de le vider de son eau (oui, il a décidé de changer de rôle : de bateau il est devenu une baignoire). Pour finir je le fais passer à côté de l’arbre, je saute dedans et repars… accoster 50m plus bas. On avance, on avance. On vide le raft, on regonfle, on rattache (rien de perdu cette fois-ci)…
C’est reparti. A part des arrêts (très ! , trop ? ) fréquents de reconnaissance, avec nos pagaies pour faire vibrer le sol et effrayer les serpents, il ne se passe plus grand chose de notable. A part quelques fou-rires (sans doute un peu nerveux) en repensant à l’échelle à saumons.
Nous arrivons à Chilhac, petite ville haute perchée sur ses orgues. Nous sommes tremblotantes, courbaturées, plus ou moins frigorifiées. Nous rencontrons notre future logeuse et sauveuse dans le musée du mammouth. Nous lui expliquons la situation (sans mélodrame) : équipement mouillé, plus de nourriture, froid. Elle nous envoie à l’épicerie du coin, commerce qui, comme la plupart on le saura, ne prend que les espèces, espèce en voie de disparition et très peu représentée dans notre porte-feuille. Nous expliquons notre situation (sans mélodrame) et on nous fait crédit.
On retourne chez notre logeuse qui nous loue un gite… à crédit. Après nous avoir descendues en voiture, avoir appelé son pote qui a une 4×4 pour l’aider à tout transporter, nous avoir remontées en voiture, nous avoir proposé d’étendre nos affaires trempées sur la corde à linge de son jardin, nous avoir conduit à notre gîte et nous avoir donné les clefs, elle allume les 4 chauffages du gîte et nous laisse transformer son beau gite en hammam. Nous tendons nos affaires humides sur chaque surface, chaque crochet, chaque barre, chaque meuble que nous pouvons trouver. ensuite, nous nous ruons sur nos maigres provisions et sous la douche chaude. Un peu rassérénées, les lits faits et accueillants, nous passons en vitesse boire un thé au bar en face pour voler du PQ dans leurs toilettes puis nous nous réfugions sous les couvertures pour une nuit de sommeil bien méritée!
Et tout ça, juste le premier jour de descente…