En stop jusqu’au fin fond de l’Asie centrale !
De fraîches nouvelles, enfin, après tant d’aventures, de rencontres et de découvertes qui me séparent aujourd’hui du Kurdistan turc ! C’est en Turquie que mon itinéraire en Asie centrale s’est précisé, lui qui me voyait prendre la routedu Kazakhstan, évitant à tout prix les contrées trop régulièrement mentionnées aux côtés de Daech… Quelle naïveté, cet itinéraire qui verouillait les portes de la salle au trésor dans le palais des merveilles. L’Iran est un trésor.
Je ne sais lequel de mes onze petits doigts m’a glissé à l’oreille d’aller voir la Perse, toujours est-il qu’il fut, ce jour-là, bien inspiré. Je lui en ai d’abord voulu… Les démarches consulaires pour obtenir un visa iranien ne se font pas en un jour. Peu de temps après ma dernière lettre, je suis arrivé à Erzurum, m’imaginant déjà brandir fièrement le document dans les rues de la ville, puis repartir le lendemain, frais comme un gardon vers le pays du tapis. Dix jours après, je n’étais pas encore fier… Mais ces dix jours étaient peut-être parmi les plus essentiels du voyage.
L’occasion était rêvée pour partir explorer les monastères orthodoxes dans les montagnes géorgiennes. Après trois semaines en Turquie, j’ai changé de monde pour quelques jours, une bonne retraite spirituelle dans le pays où l’on boit le vin cul sec. Ça change du thé des ottomans, mais bon sang, il faut de l’endurance. La Géorgie, c’est la richesse des paysages montagneux parsemés des traces d’une culture ancestrale, parfois accompagnée d’une “petite” touche soviétique qui réside aussi dans les mémoires. Un jour ou l’autre, je repasserai par là…
Je ne suis pas revenu à Erzurum par la même route, me laissant plutôt guider à travers les montagnes abruptes du nord turc, mais j’y suis revenu pour passer encore quelques jours avec mes maintenant vieux amis kurdes, le temps aussi pour le consulat de me délivrer un visa digne de ce nom. Je passais alors le plus clair de mon temps à rêvasser dans les mosquées de la ville, entre deux séances de thé dans les maisons qui m’accueillaient. C’est ainsi que j’en suis arrivé à faire la troisième profession de foi de ma vie…
J’étais assis dans le fond de la mosquée, écoutant la prière de midi. Alors qu’elle se termine et que le lieu se vide, l’imam vient vers moi. Nous discutons, lui en turc, moi en anglais, tous les deux avec les mains, et nous en arrivons à la question de ma confirmation.
“Allah est le seul Dieu, tu le sais ?”
“Je l’ai entendu dire, en effet…”
“Alors pourquoi crois-tu en autre chose ? Pourquoi es-tu chrétien ?” Il avait été très aimable jusque là, pourtant…
“C’est pas simple…”
“En vérité, ça l’est. Répète après moi :…”
Je ne voulais pas le vexer, j’ai répété ses mots, en arabe, des mots qui sonnaient vraiment sacrés. Ayant terminé, il me sourit.
“Voilà, maintenant tu es musulman.” Quelques mots, énoncés avec le coeur, suffisent pour devenir musulman : Allah est Un, Mohammed est son prophète. Il était fier de me l’annoncer. J’ai décidé que cette belle tromperie avait été pour moi une magnifique occasion de me rappeler qu’après tout, nous sommes tous frères. Ce saint homme venait de m’ouvrir les portes de sa maison, je suis aujourd’hui de sa famille… Si ces mots étaient pour lui nécessaires, je ne les avais pas attendu pour le considérer comme mon frère. Mais nous voilà sur la même longueur d’onde. Me voilà… chrétien par mes origines, catholique par mon éducation, musulman par mes mots. Et je crois deviner que cette troisième profession de foi n’est pas ma dernière…
Mais j’en oublie de parler de l’Iran, et voilà bientôt deux semaines que j’y suis. C’est une merveille. J’y suis arrivé tout en douceur, avec une super famille de marseillais en camping car. Je ne savais pas à quoi m’attendre, que penser dupays diabolisé par tous les media et toutes les associations des droits de l’homme… Je ne me suis jamais senti aussi bien à l’étranger. Revenons les pieds sur terre, le nucléaire reste quand même une histoire politique manipulée par dix barbus, et on nous laisse croire que c’est ça l’Iran…
J’ai dû adapter quelque peu ma technique de stop, car le concept n’est décidément pas universel. Tout le monde s’arrête, mais tout le monde s’attend à recevoir un billet en retour. Je précise donc au début que je n’ai pas un sou (ce qui était assez vrai puisque mes enfantillages m’ont entraîné en Iran sans l’information fondamentale qu’aucune carte de banque internationale ne fonctionne dans ce pays), et je ressorts de la voiture avec une liasse de billet… mmmh, ils ne comprennent vraiment pas le concept.
J’ai néanmoins un sérieux problème : c’est une conspiration, on ne me laisse pas avancer. Je suis sans cesse freiné… tous les 20 km environs, on m’invite pour passer la nuit. “Mais… il est 10h !” “Bon allez, je prendrai un thé chez toi avec plaisir, mais après, je repars ! ” Tu parles, je me laisse toujours tenter par un repas, un barbecue, une petite chicha ou un mini foot. Alors maintenant que j’y suis, autant y passer la nuit.
Je découvre une culture pleine de surprises, et remplie d’inconnues. Une société qui ne peut pas porter de shorts, une société qui porte le voile obligatoire, qui interdit le concept de “girlfriend”, tout type d’alcool et facebook, une société qui offre aux femmes des compartiments séparés dans les bus et métros, et qui ne délivre un passeport qu’aux hommes qui terminent leur service militaire… j’observe et j’apprends, je m’étonne et m’émerveille, parce que, quoi qu’on en dise, cette société pleine d’interdits rayonne d’une gentillesse et d’un sens de l’accueil hors du commun.
Je n’ai pas trop traîné à Téhéran, la ville aux 14 millions dit-on, je suis descendu sur Esfahan, et j’y ai passé 3 jours. Les villes iraniennes sont magnifiques, soignées et pleines de fleurs, de parcs et de fontaines. Je m’assieds, et j’attends quelques minutes… que quelqu’un vienne vers moi. Il faut dire qu’avec mon sac, je ne passe pas inaperçu, et très rapidement, je me retrouve entouré de monde. Parfois, la rencontre est brève, parfois elle se prolonge par un repas, une balade, une visite…
Mais voilà, mon visa arrive à expiration, et je suis donc en route vers le Turkménistan, prenant mon temps par les routes de désert. J’ai passé la journée d’aujourd’hui dans le désert avec deux géologues, prise d’echantillons dans une carrière de talc, et un peu de fun à courir derrière les chameaux en liberté… Je suis heureux, et je vous dis bonne nuit.