En stop jusqu’au fin fond de l’Asie centrale !
Loin de la civilisation, je mène une vie fort simple ici, dans les montagnes du Kyrgyzstan.
Après trois semaines en Iran, des dizaines d’aventures culturelles, mille belles rencontres et quelques complications de visa, j’ai passé la frontière turkmène avec un plein d’impatience et de nostalgie… Il faut dire que le passage en lui-même fut folklorique. Ayant dépensé mes derniers malheureux rials, j’esquissai mon plus convaincant sourire d’innocent lorsque la douanière me réclama les 12 dollars de taxe d’entrée au pays. J’eus beau lui expliquer la situation financière délicate et lui promettre d’honorer ma dette à Ashgabat (dont la renommée me promettait une banque accueillant les cartes étrangères), mais rien ne semblait amadouer le regard de pitbull qu’elle me lançait. La scène qui suivit fut presque mélodramatique. Menacé de retourner en Iran, je fis l’expérience de la générosité d’un pays avant même d’y entrer, récoltant un par un les dollars que me tendaient les douze apôtres turkmens. Grâce au treizième, j’assurai l’arrivée devant la banquière en ville et son air malheureux devant ma mastercard qui en disait long sur mon avenir financier dans le pays. Après tout, je l’ai très bien vécu en Iran, les cinq jours offerts par mon visa turkmens ne devraient pas moins bien se passer sans le sou…
Je me suis senti indien dans la ville à Ashgabat, la cité de la démesure, de la folie d’un président pourri gâté, et des militaires à chaque coin de rue. Une fameuse dictature, dans laquelle j’avais du mal à me mettre à l’aise, clochard à sac à dos dans les boulevards qu’arpentent les sbires arrêtant les véhicules mal lavés – crime puni d’un retrait de permis -, et vidant les rues avant que le président n’y roule. Voilà un fameux contraste avec l’Iran, à 20 km de là. D’ailleurs ici, on porte le voile… et le décolleté.
Je suis heureux de ne pas avoir dû passer la nuit dans un des parcs de la ville, je crois pouvoir affirmer que je serais encore aujourd’hui dans les geôles du Turkmenbasi. J’ai été très vite baby-sitté par une merveilleuse famille, et j’ai quitté le pays cinq jours plus tard, après avoir traversé l’autre visage du Turkménistan, là où le président ne va pas, là où la richesse du pétrole n’est pas investie, là où l’on trouve encore des vestiges architecturaux d’avant 1991, là où les voitures sont sales et là où on ne doit pas fermer la fenêtre du salon pour laisser passer le président. Double face.
Je suis arrivé en Uzbekistan avec un début de fatigue. Fatigue accumulée de trois mois de voyage, fatigue de rencontrer tous les jours des nouveaux visages, fatigue de parler avec les mains et fatigue d’être en route. Mon intérêt pour ces vieilles villes du pays où toutes les routes de la soie se croisent, a effacé un moment cette fatigue et m’a permis de profiter en peu de temps de ces merveilles de l’architecture arabe et mongole. Après un bon mois d'”abstinence” financière, j’ai trouvé de quoi rassurer mon portefeuille par un passage au marché noir pour échanger mes dollars, accompagné du banquier (!) bien brave qui avait accueilli ma mastercard avec bonté. Soulagement bien maigre finalement, que vais-je faire de cet argent ?
Je dois bien avouer mon angoisse et ma fatigue revenue au passage de la douane… En Uzbekistan, chaque nuit doit être enregistrée dans un hôtel, hébergements que j’ai largement snobés au profit de bonnes vielles baraques en terre cuite et d’un bon verre, ou quatre, de vodka, chez l’habitant. Je redoutais le moment où l’on allait me demander mes papiers… Mais voilà, une bonne blague pour le douanier, une petite référence footballistique à la mention de ma nationalité, et le tour est joué, je quittai le pays avec les larmes aux yeux à la vue des montagnes du Tien Shan… Avec émotion je savais alors que je quittais le désert central asiatique en même temps que celui de mon coeur, trop éprouvé par la fatigue, et par ce sentiment d’illégalité dans les rues remplies de policiers qui regardent passer ce “mauvais” touriste avec les yeux du vautour… C’était pour moi la partie “défi” du voyage, celle qui expérimente la vraie solitude, celle qui nous charge d’angoisse, sans que personne ne puisse la partager. Je n’avais plus l’énergie pour être diponible et partager un bon moment avec ces merveilleuses personnes, je n’avais plus l’envie d’entrer dans leur vie, et je me sentais comme un véritable parasite… J’étais nul.
Et pourtant, au milieu de ce désert, toujours les visages me souriaient, toujours une main me tendait une tasse de thé, toujours un coeur ouvert m’a accueilli… Comme les gens sont beaux.
Mais voilà, la route continue, le vent souffle toujours et de plus belle, les montagnes m’ont redonné de la joie, le Kyrgyzstan est une terre rassurante et confortable, et j’avance heureux et en paix. Les yeux se brident un peu plus chaque jour, les sourires sont d’or (les fausses dents jouent un rôle certain), et les coeurs s’ouvrent encore et toujours. Ici, en asie centrale, on pratique l’islam très différemment, avec un peu moins de solennité peut-être (Il m’est arrivé de serrer la main d’une fille, grand événement, j’ai vu les parents préparer les papiers d’officialisation de mariage). Je n’entends plus beaucoup chanter le muezzin, je bois parfois un petit verre d’alcool, et mon signe de croix à la fin des prières fait bien rire les jeunes et les vieux, qui prennent tout ça avec beaucoup de légèreté…! Moins de chichis, plus de danses traditionnelles, moins de politesses, plus de bonnes “tapes” dans le dos. D’une autre manière qu’en Iran, qu’en Turquie ou que je ne sais où, mais toujours les gens me rappellent que nous sommes frères…
J’ai donc trouvé refuge, après une semaine de voyage au Kyrgyzstan, chez une jeune famille dont le père est guide pour touristes. La saison est à peine entamée, et les étrangers sont encore rares, ce qui me laisse tout le loisir de profiter du calme de la montagne et de la vie de cette belle famille. Pour parfaire le cliché kyrgyz, je dors dans une yourte et je regarde tous les jours les aigles passer, là-haut ! J’aide le père à la ferme au village, mais la plupart dutemps je suis au campement à cinq kilomètres de là, à couper du bois pour le poêle (il a neigé hier !), à chercher de l’eau à la rivière ou à pêcher avec Eldar, le plus jeune de la tribu. Peu de monde vient par ici, et seul le passage au bazar de la ville à 50 km me permet de vous envoyer cette lettre.
Bref, la vie est simple, et je suis comblé après tant de temps en mouvement ! Au fait, je me suis fait à l’idée que je n’arriverai pas en Inde mi-juin mais plutôt vers mi-septembre…
non, je blague, je reste au Kyrgyzstan pour encore deux semaines, j’ai encore bien des choses à découvrir, bien des ballades à cheval et peut-être l’un ou l’autre 7000 m à escalader, et je reviendrai ensuite ! Qu’est-ce que les gens vont penser après… “quand va-t-il travailler ce gamin ?”