Jehan et Rod remettent le couvert !

Préparatifs (Vendredi 7 avril) 

Tout commence vendredi matin. D’abord c’est la tournée des magasins pour acheter des croutons de soja, du chocolat et tout ce dont on a besoin. Ensuite il faut préparer les sacs, et cela en pesant méticuleusement les portions de bouffe journalière et en inspectant le matos. Rodolphe n’arrête pas de répéter “On va être très très lourd !”. On décide alors d’optimiser le poids. Tout ce qui est inutile doit partir ! Nous voilà occupé à retirer le GPS, sacrifier un peu de chocolat et à couper nos manches de brosse à dents et finalement à virer tout emballage plastique et étiquettes inutiles. Chaque gramme compte… Ca peut paraître inutile, mais psychologiquement on est moins lourd !

Puis chaussures de ski aux pieds et sacs à dos bouclés, c’est parti direction Brussels Airport, où après un bon Quick, on décolle pour Oslo. Arrivés en Norvège à 22h, on décide de squatter l’aéroport. En cherchant un endroit pour dormir, Jehan trouve un petit bureau d’une compagnie aérienne que la sécurité a oublié de fermer ; c’est parfait, on rentre furtivement et on s’installe sous les tables du bureau.

 

  • Temps-morts (Samedi 8 avril)

6h30 du matin, la lumière s’allume soudainement, nous sortant de notre doux sommeil. Nous ouvrons l’oeil étant tous les deux encore clairement dans “le gaze” ; où sommes-nous encore au juste ?? Rod tourne la tête et tombe “nez-à-pied” avec une belle chaussure noire en cuire. Petit coup d’oeil à côté de la table et il croise le regard d’un employé de l’aéroport qui semble être tout aussi effrayé de nous voir sous son bureau que nous le sommes à l’idée d’être virez à coup de pieds de notre squat. L’employé s’encoure sans mots dans le couloir, probablement affolé de ce qu’il vient de découvrir. Deux minutes plus tard la “responsable” du service nous explique poliment que nous ne sommes pas autorisés à dormir dans leurs locaux. Nous replions bagages en vitesse, s’en suive un bon fou rire pour nous deux ! Décidément cette journée commence bien !

Plus tard dans la matinée, Jehan se charge des derniers achats d’essence et de provisions à Oslo. Pendant ce temps-là Rod continue sa nuit auprès des bagages à la gare centrale d’Oslo. S’en suive une longue période de temps mort avant de prendre notre train en direction de Bergen, qui nous mènera en six heures vers le grand Nord. Comme l’aventurier Gérard Chailland le dis “ l’aventure consiste souvent de longues périodes de temps morts”.

Le trajet en train fut tout simplement magique. Nous traversons la campagne Norvégienne composée de vastes forêts semés de lacs plus grands les uns que les autres. Après quelques heures, le paysage devient de plus en plus blanc au fur et à mesure que nous nous enfonçons dans les montagnes. Passé 19h00 nous arrivons enfin au camp de base de Finse. Nous passerons la nuit sur le sol du salon du refuge de Finsehytta en compagnie d’une dizaine d’autres Norvégiens qui projettent eux aussi de s’élancer dans une expédition hivernale en ski dans la région.

 

  • Le départ  (Dimanche 9 avril)

Ça y est, le grand jour est arrivé ! Les skis sont chaussés et le refuge Finsehytta est laissé derrière nous. C’est parti pour la grande traversée du Hardangervidda !

On essaie de commencer avec un bon rythme, mais sans trop forcer. Effectivement comme prévu, on est vachement lourd. Le sac de Jehan est neuf et pas encore bien réglé, l’ajustement se fait un peu à l’essai/erreur, donc les épaules prennent un peu cher. Rod porte plus d’un tiers de son poids corporel sur son dos, soit 23 kg. Jehan munis de son sac à dos pèse probablement plus de 100 kg sur une balance. Nous partons avec vivres et équipement ayant une capacité d’autonomie totale de 7 jours.  On avance en suivant les piquetages, et la neige n’est pas aussi mauvaise que prévu. Ça fait un bien fou d’être de retour au grand air norvégien.

Après quelques heures, on commence une sacrée montée, elle est très verglacée et inclinée perpendiculairement à nos skis, on arrête pas de glisser, bref quel énorme bade, c’est long, on a mal aux dos, on n’a pas l’impression d’avancer et on commence vraiment à saturer.

Finalement alors qu’on croyait être encore loin d’arriver, Rod aperçoit des cabanes, derrière une colline. Super bonne surprise qui nous remotive. Quinze minutes plus tard, nous voilà arrivé au refuge de Kjeldebu, après avoir passé 7h sur les skis et avoir parcouru environ 27 km. Beaucoup plus que prévu pour une première journée sensée être un peu calme. Après avoir dit bonjour aux quelques norvégiens, on s’installe, on se prend une soupe et on bouquine. Le soir rencontre avec un groupe de cinq finlandais, dont un pro des expéditions arctiques qui nous donne pleins de conseils en tout genre. De son côté, Rod fait causette avec deux Néerlandais qui ont réussi à faire la traversée du Hardanger en quatre jours, ils sont en bien piteux états… Finalement c’est épuisé et courbaturé qu’on s’endort près du feu du poële “Jotule” de la cabane.

 

  • Dans le blizzard  (Lundi 10 avril)

Nous nous levons de bonne heure et profitons de nos derniers moments de chaleurs dans la cabane de Kjeldebu. La météo ce matin-là, est tout simplement pourrie … Grand vents et neige toute la journée. Les conditions sont plutôt mauvaises pour un deuxième jour de ski, étant encore tout deux très chargés. Nos cinq compagnons Finlandais, rencontrés la veille, décident de ne pas partir car ils estiment que les conditions sont trop mauvaises.

Nous discutons avec le Ranger du DNT qui nous donne de bons conseils pour parcourir le trajet que nous désirons accomplir jusque Hadlaskard. Nous savons que cette étape est trop longue, nous devrons donc dormir sous tente cette nuit. Le ranger nous crie à pleins poumons “ Take care” avant que nous ne disparaissions dans le blizzard. En effet par certains endroits nous ne voyons pas à plus d’une quinzaine de mètres. Le vent souffle fort et le soleil peine à percer les nuages. Après nous être brièvement perdus de vue, ce qui générera une certaine agitation, nous nous mettons d’accord de bien rester en vue l’un de l’autre durant notre progression dans ce satané blizzard !

Nous nous relayons pour ouvrir la marche. Emmitouflés dans nos chapkas avec nos trois paires de gants et protégés par nos masques nous passons à travers ce fléau que mère-nature nous impose. Nous réalisons rapidement à quel point nous sommes vulnérables face aux éléments de la nature avec lesquels nous avons à faire. Cependant nous gardons un bon cap et continuons à avancer à un rythme raisonnable. Nous ne sommes en effet pas vraiment surpris par cette tempête car nous en avons déjà vues d’autres durant des expéditions précédentes. Tout se passe dans la tête et nous nous entraidons constamment par des regards complices, encouragements et fous rires quand nous nous cassons la gueule sur le verglas.

Skier sur un sol verglacé avec un vent à 40km/h dans le dos, s’avère être très agréable, car on avance tout seul sans devoir produire le moindre effort. Par contre ce jours-là, pas de chance, nous avons ce foutus vent dans la figure de plein Sud ou bien latéralement de plein Ouest. Amundsen avait raison quand il disait que le pire ennemi lors d’expéditions hivernales, n’était  pas le froid mais bien le vent !

Nous dépassons Dyranut en cours de journée, et approchons du plateau du Hardangervidda. C’est avec un couple de deux Norvégiens munis de pulkas que nous entamons l’ascension du plateau. Les échanges avec eux sont brefs et consistent principalement de regards amicaux. De toute façon avec un tel vent on ne pouvait pas leur raconter grand-chose … Ils nous font comprendre que, comme nous, ils planifient de planter leur tente sur le plateau du Hardanger. Nous mettons nos peaux de phoques et commençons l’ascension du plateau.

Une fois en haut nous avons perdus nos deux Norvégiens de vue. Peut-être ont-ils renoncés et décidés de faire demi-tour pour monter leur tente dans la vallée? Il faut dire qu’à ce moment-là, nous nous en “prenons plein la gueule”. Le vent souffle plus que jamais, il fait froid et nous avons faim. Malgré le brouillard nous devinons que le paysage est très plat et le sol est entièrement verglacé, “quelle poisse pour monter une tente !”. Un carré de neige poudreuse se présente à nous, nous décidons d’y mettre la tente.

Le montage de tente s’effectue sans encombre, malgré une ou deux frayeurs de voir notre habitacle North Face s’envoler. Nous nous réjouissons de nous emmitoufler dans nos sacs de couchages rembourrés de plumes d’oies. Notre binôme a officiellement passé le test du montage de tente en tempête. Nous ne sommes cependant pas à court de surprises, quand nous réalisons que la pompe de notre réchaud est foutue… Rod jure et grogne ! Erreur de débutant, on aurait dû vérifier ce truc avant !

Nous faisons le point; nous ne pouvons plus faire fondre de la neige pour avoir de l’eau… Il nous reste quatre litres d’eau dans nos gourdes qu’il faudra rationner jusqu’au lendemain soir. Cela devrait bien faire l’affaire ! Au menu du soir, Uncle Benz que nous prenons “aldente”. Au final nous rigolons bien de notre situation. Jehan déguste une barre de Côte d’Or avant de s’endormir bercé par le grondement du vent qui fait vibrer notre tente de toute part.

 

  • Déshydratés  (Mardi 11 avril)

Mardi matin on se réveille sous la tente, le vent a soufflé toute la nuit, mais il s’est enfin calmé. Il a finalement fait beaucoup plus froid que prévu, environ -20°C et l’eau dans nos gourdes a gelé. En sortant on découvre un paysage très plat qui s’étend à perte de vue et qui était invisible la veille. Il n’y a pas une trace dans la neige, c’est magique !

Ensuite on démonte la tente et on démarre, le terrain est extrêmement plat et on traverse pas mal de lacs. Vu notre manque d’eau, on sent qu’on est tous les deux très déshydratés, on est bien fatigués, mais vu qu’on n’a plus de réchaud, on doit absolument atteindre la prochaine cabane. Sur notre chemin nous tombons sur les traces d’un campement. Les types sont visiblement partis très récemment, deux traces de pulkas accompagnées des traces d’un chien. Nous les suivrons jusqu’à la cabane…

Finalement on termine la journée par une descente de près d’une heure complètement verglacée, on est obligé de continuer à pied pour être sûr de ne pas se casser une jambe. On arrive alors dans un tout petit refuge, Hadlasgard, vachement sympa. A l’approche de la porte d’entrée nous entendons les aboiements d’un chien, cela nous fait sourire. Nous allons enfin découvrir les visages des deux types dont nous suivons les traces depuis ce midi.

Nous sommes chaleureusement accueillis par deux Norvégiens et leur chien, qui effectuent une traversée Est-West du Plateau du Hardanger. S’en suit une succession de surprises. Tout d’abord, nous tombons sur le couple de Norvégiens de la veille, qui arrivent exténués à la cabane. Ils nous expliquent qu’ils avaient montés leur tente à moins de deux kilomètres avant notre campement. Nous sommes en quelque sorte rassurés de les revoir car ils avaient vraiment disparu la veille.

Puis plus tard dans la soirée, ce sont nos cinq Finlandais qui déboulent dans la cabane ! Les cocos avaient effectué une trentaine de kilomètres sur la journée pour rejoindre Hadlasgard. Nous sommes évidemment ravis de les revoir également, d’autant plus qu’ils réparent notre réchaud en moins de deux minutes, on est sauvés ! Les derniers à rejoindre la cabane de Hadlasgard, sont un couple âgé de norvégiens qui veulent aussi faire la traversée jusque Haukeliseter. Nous passons une soirée très conviviale et multiculturelle dans la cabane, en compagnie de tous ces amis d’expés.

 

  • Le point du non-retour ! (Mercredi 12 avril)

Le lendemain matin nous faisons nos adieux à nos amis Finlandais et Norvégiens qui continuerons  tous leurs expéditions vers l’Ouest en direction du célèbre “Trolltunga”. Notre objectif de la journée est Litlos. Nous ouvrons la voix suivis a quelques heures près, du couple de vieux Norvégiens pour qui nous tracerons la voix jusqu’à Litlos.

Cette journée est superbe, nous glissons comme des plumes à toute vitesse au pied du fameux sommet Harteigen. Notre binôme avance comme “Un”, ayant le même rythme et les mêmes besoins en snacks et en pauses. Nous profitons de cette belle journée pour prendre des photos et des prises de vue du vaste paysage qui se présente à nous. Durant notre progression Rod regarde Jehan et s’exclame “ Vieux à partir de maintenant on ne fera plus demi-tour car nous sommes au milieu de nulle-part!”.

Nous sommes en effet au coeur du Hardangervidda. Les routes les plus proches sont à trois jours de ski vers le Sud, trois jours de ski vers l’Ouest, trois jours de skis vers le Nord et quatre jours de ski vers l’Est. Nous sommes vraiment heureux d’être paumés là, sur nos petits skis de randos. Pendant toute la journée nous n’aurons simplement vus personne. Comme Quentin Guyot le dirait, “quelle enjaille!”.

Le soir, nous décidons de prendre un repas à Litlos. Nous sympathisons rapidement avec un couple de Néerlandais avec qui, nous discutons jusque tard dans la soirée autour d’un café bien chaud.

On dépasse Hellevasbu, le pari est gagné ! (Jeudi 13 avril)

On quitte Litlos vers 9h30, et en partant on croise le couple de vieux norvégiens qu’on avait rencontré à Hadlasgard. Au planning de la journée : trois grosses montées et autant de descentes, ainsi que quelques lacs à traverser. La météo est très variable et passe d’un grand ciel bleu à la grosse tempête entre les différentes vallées, mais on avance très rapidement. Finalement on atteint le refuge  d’Hellevasbu en début d’après-midi et on décide donc de continuer.

Après encore quelques heures de ski on trouve un plateau très calme et on décide d’y monter la tente. Il fait froid et il n’y a pas de vent, les conditions sont idéales. Dans la tente avec notre réchaud fonctionnel, on passe notre soirée à se goinfrer : des soupes, un couscous, encore des soupes, du thé, des waza, etc. on n’arrête pas ! Une fois de plus on rigole bien sous cette tente. Finalement avant de se coucher, Jehan a très envie d’aller photographier les étoiles, mais malheureusement le ciel ne se dégage pas, dommage, on va dormir.

 

  • Arrivée à Haukeliseter (Vendredi 14 avril)

Le matin nous repartons tôt pour la dernière étape de notre périple. La journée s’annonce splendide. Grand ciel bleu et température bien fraiche. Nous sommes maintenant plus légers et skier est devenu un automatisme. Cela nous permet de profiter pleinement du paysage qui s’offre à nos yeux.

Sur le chemin, nous arrivons à l’endroit précis où notre expédition avait renoncé à effectuer la traversée l’année précédente. Nous nous étonnons de voir sur la carte que cette décision fut prise à seulement huit kilomètres de Haukeliseter. C’est plus tard que nous réalisons que la montée sur le plateau avec un vent à contre sens avait tout simplement dû être affreuse. On avait dû se prendre une bonne raclée psychologique… Car dans le sens contraire nous profitons d’une descente constante sur plusieurs heures. L’aire est claire et nous voyons au loin à des dizaines de kilomètres. Quelle belle cerise sur le gâteau pour conclure notre aventure. Nous arrivons à Haukeliseter avant 16h00.

Voilà nous l’avons fait c’est terminé ! Petite accolade suivie d’un selfie pour immortaliser l’évènement. Nous nous regardons, et oui nos corps ont des séquelles de ces 140 km parcourus en six jours. Nos visages sont brulés par le soleil, nos lèvres gercés et des cernes bordent le bas de nos yeux. Nos pieds sont ouverts à vif par plusieurs endroits et nous souffrons clairement de mal de dos. Cependant nous avons des étoiles dans les yeux. Nous sommes heureux d’être là ! Heureux de voir ces montagnes imposantes qui nous entourent et qui sont maintenant derrière nous au Nord. Nous nous asseyons un moment pour profiter un dernier moment de ce cadre unique.

Avant de devoir rebrousser chemin en bus vers Oslo où un avion nous ramènera le lendemain à Bruxelles.