Ski de rando nordique en solo

  • Jour -14 au départ :

A peine rentré de ma première expérience de ski de rando dans le Jura et c’est déjà la course ! Hormis mes billets d’avion et de train, tout le reste est encore à faire : matériel, nourriture et itinéraire… Par chance, CapExpé accepte de me louer le kit de Ski et une pelle, tandis que Geoffroy De Schutter accepte de me louer tente, sac de couchage, kit gants ainsi qu’un sac de qualité à travers son association Oukiok ! Ils me feront économiser des centaines d’euro d’investissement de matériel (plus de 2000euro au moins). Deux semaines intenses et peu agréables, c’est l’envers du décor. Car si l’expédition promet d’être incroyable, les préparatifs ne sont pas forcément folichons. La plupart des décisions à prendre sont de type financière et je perds un temps fou à me demander quels éléments valent la peine d’être achetés car ils resserviront, lesquels sont indispensables, lesquels peuvent être substitué par du bas de gamme… etc. Alors que le but est de partir m’immerger dans la nature loin de tout, je suis confronté à la réalité de la vie : on n’a rien sans rien, et sans argent on ne peut pas réaliser d’expéditions exigeantes. Il faut bien l’admettre, les voyages dans le froid nécessite du matériel couteux et les expéditions en autonomie d’autant plus. Le manque de temps dont je suis l’unique responsable exacerbe évidemment ce sentiment. Mais au bout du compte, usé et lassé de ce rapport à l’argent, c’est mission accomplie : le matériel est réuni.

Ps : (liste du matériel et investissements disponibles en bas de page)

 

  • Jour du départ et trajet :

Comme d’habitude : c’est le rush… Mais là c’est vraiment le méga Rush ! J’installe in extremis des cartes « open source » dans mon GPS, j’emballe de la nourriture sous vide et je fais mes sac (étape indispensable mais pénible à cause des limites de poids des compagnies aérienne). Je suis à ce point pressé que je ne suis pas certain d’avoir suffisamment de repas pour tout le séjour…. Pas grave, plus le temps de faire des courses: j’ajoute vite deux conserve de cassoulet (rescapée du jura) et fonce à l’aéroport.

J’enregistre à 17h50 alors que le vol décolle à 19h05… Ouf, c’est réussi ! Une foi à bord, la pression redescend un peu. Décidément ce n’est clairement pas mon meilleur départ. Je suis extenué et incertains d’être totalement prêt, mais assuré et content de partir découvrir la Laponie suédoise : ça me suffit !

Le trajet est long : 1 vol, 2 trains et 2 bus pour un total de 24 heures de trajets et transits. Le retour devrait être pire : 36 heures et un vol de plus qui résultent également de cette expé low-cost. La bonne nouvelle c’est que SAS me surclasse en business à l’aller, ce qui m’offre un répit de 2 heures. Repos, petite bière, les hôtesses sont au petits soin : SAS plus c’est la classe, le rêve Lapon !

Les correspondances s’enchainent sans problème et j’arrive enfin à destination lorsque le bus pour Kvikkjokk me recrache sur un parking à 18h dans le noir. Je pose ma tente, mange une énorme ration de choucroute offerte par un de mes colloc et dodo. Demain j’entamerai la Kungsleden !

 

  • Jour 1 :

Tcheu il fait froid ! Réveil tardif, j’essaye de récupérer un peu et confectionne les finitions matérielles inachevées par manque de temps. Tout à coup vers 11h j’entends des bruits de pas en approche de ma tente : « Hello ?! » pas de réponse… Je tape un petit coup sur la toile de la tente et entends les pas qui repartent ! Bon… sans doute un enfant Sami qui était intrigué, après tout je suis sur un parking à 300m de Kvikkjokk. Peu après j’entends les pas qui reviennent mais du côté de l’entrée de ma tente. Décidé de voir à qui j’ai à faire, j’ouvre ma tente et me retrouve nez à nez avec un renne ! Amusé je sors la Go-Pro et lance un « Coucou petite Perruche ! ». Visiblement c’était LA chose à pas faire : le renne s’énerve et essaye d’entrer dans ma tente, utilise ses bois, coup de sabots sur les parois, rien n’y fait je n’arrive pas à faire partir le renne. Seul solution : fermer la tente intérieure et attendre que le renne veuille bien partir ce qui finit par arriver au bout de 20 minutes. Ouf ! La tente n’a rien et heureusement cela sera ma seule mésaventure du voyage.

Le temps du départ venu il est déjà 13H. Je fais mes premiers tests avec ma pulka et vers 15h15 je pose la tente après seulement 4 petits km. Par manque d’information je ne suis pas au courant que, même si le soleil se couche à 15h30, il fait jour jusque 16h30 au moins… Un homme avertit en vaut deux !

 

première journée, premiers pas...

première journée, premiers pas…

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  • Jour 2 :

Premiers lacs gelés, premiers émerveillement et première leçon aussi : tous ce qu’on n’attache pas et n’est pas correctement rangé risque fortement d’être perdu ! La neige agi comme du sable et ne pardonne pas. Heureusement je ne perdrai que mon thermomètre bon marché et une sardine lors de ce séjour. J’aurai beau creuser un trou 1m de large et 50cm de profondeur pour retrouver cette sardine, rien n’y fait : introuvable. Il faut être méticuleux ! J’aurai eu plus d’une frayeur et énormément de chance: lunettes, GPS, boussoles… Les vestes type Gore Tex sont traitresses elles aussi, une tirette ouverte sur leurs poches verticales ne pardonne pas.

Au final, je parcours approximativement 12 km dans des conditions moyennes : nuages, brume et froid. Je ne suis pas encore très rapide. Comme je suis encore peu sur de moi je préfère ne pas prendre trop de risques. Ça me va, je suis content !

Première traversée de lac

  • Jour 3 :

Aujourd’hui je me fixe un réel objectif sur la carte et me lève tôt. L’objectif est une « hutte » dont l’existence est plus qu’incertaine. La neige est dense car cela fait deux jours qu’il neige pendant la nuit et que personne n’est passé par là. Je suis donc un peu lent avec ma pulka de 50kg. Cela tombe bien je ne suis pas pressé ! Laissons pour 14 jours les quotidiens de hâtes et précipitations aux citadins. Le paysage alterne entre bois et lacs gelés. J’ai une préférence pour ces derniers, m’offrant une vue plus dégagée et vendant du rêve. Un rêve mêlé d’étendues montagneuses, d’infiniment blanc et de ciel bleu azur. J’atteins mon objectif géographique à la tombée de la nuit, mais il existe aucune hutte. Peu importe, je monte ma tente et me dit que si demain j’avance vraiment bien je dormirai peut-être dans un petit chalet.

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  • Jour 4 :

Fatigué de la veille, je suis un peu mollasson et prend mon temps. Le montage et démontage de la tente sont rarement mes moments préférés : le soir l’on est fatigué, le matin il faut sortir de son nid douillet. Il a à nouveau beaucoup neigé et je ressens, même sans thermomètre, que la température est fortement remontée. Une fois partis : je n’avance pas ! Pour une raison inconnue j’ai l’impression que ma pulka pèse 100kg et je la vois brasser quantité de neige à l’avant… Je la frotte en vitesse, repars, mais cela ne change rien et j’en déduis que c’est sans doute à cause de la température élevée et de la neige abondante. J’essaye différentes options dont décharger ma pulka et charger mon sac de 10kg, mais rien n’y fait : avancer de 100m me demande une énergie inouïe ! Total de la journée 4 malheureux Km…
Une Honte ! Car, en réalité, la neige et la température n’ont rien à voir : en laissant ma pulka renversée durant la nuit une petite quantité de glace s’y est formée sur laquelle la neige s’agglomère dès qu’on avance, l’empêchant de glisser et rendant toute progression épuisante. Je me rends compte de cela le lendemain matin lorsque je décide de lustrer ma pulka comme il se doit pour vérifier cette hypothèse. En effet… elle glisse comme au premier jour !! Le pire c’est qu’en réfléchissant je me rends compte que Geoffroy me l’avait dit…j’aurais peut-être mieux du écouter. Une chose est sure je ne risque pas de l’oublier : toujours laisser sa pulka avec le bac coté neige et la frotter tous les matins !

  • Jour 5 :

La luge remise en état, nouveau challenge : arriver au refuge libre d’Aktse. Rien d’incroyable en terme de distance (+/- 12 km), mais je dois commencer par traverser un lac de 3-4 km de large qui n’a pas encore été balisé… Le manque d’expérience, la température autour de -5°C seulement et le panneau « Vanger » (danger) ne me rassure pas du tout. J’hésite, je réfléchi et prend mon temps, mais je n’ai que deux choix : traverser le lac ou rentrer à la maison ! Va pour le lac alors. J’entame cette traversé dans de très mauvaise conditions, je suis stressé, il neige fort et je vois à peine la rive d’en face ! Par sécurité je sonde la glace à l’aide de mes bâtons à chacun de me pas. Par moment j’entends un « Schlouf » et remarque que je skie sur une couche d’eau supérieure à la couche de glace… Généralement je dévie de deux mètres et continue. Il me faut sans cesse regarder ma boussoles et mon GPS pour ne pas dévier tellement la visibilité est mauvaise et tellement la rive d’en face se ressemble. Au final tout se passe bien et au bout de 2h30 j’arrive enfin sur l’autre rive. A peine arrivé, deux motoneige traversent le lac sur mes tracent, formant une belle piste…Si j’avais su !
Le reste de la journée avance bien, les décors sont surprenant, le rêve ! Arrivé à Atske, j’ai même le plaisir de trouver à un réchaud, un lit et un petit chauffage. J’en profite pour soigner mes cloches que j’ai précédemment trop négligées et sont devenues plutôt sérieuses.

Aktse

  • Jour 6 :

Grosse matinée pour traverser un col : 400m de dénivelé sur 3-4 km seulement. Les peaux ne tiennent pas, je dois en partie déchausser et marcher, mais j’avance bien car j’ai bien dormi. En haut du col je me fais une promesse : si je repasse par ici, je tente la descente en luge !! Le temps est mauvais, je ne vois rien en haut du col. Heureusement la visibilité est suffisante que pour voir le balisage a 100m, et comme il n’y a pas d’arbre je découvre un univers inconnu. Un univers blanc, j’arrive à peine à distinguer le ciel de sol, cela a quelques choses de magique ! Je ne pensais pas que même du « blanc » produirait en moi un sentiment de satisfaction, de plénitude, de sérénité… J’avance comme dans un songe, mon songe, ou tout est calme et que rien ne perturbe. EN fin de journée j’arrive au refuge libre de Sitojaures. Le poil chauffe si bien et le lit est si douillet que j’en ai du mal à dormir !

Descente après la traversée du col dans les n

  • Jour 7 :

Ce soir ce sera la moitié du séjour, l’itinéraire de base est tombé à l’eau il y a belle lurette ! Je pense que Geoffroy n’a pas pris en compte le fait que je partais en solo et surtout que j’étais débutant, car sa boucle est très grande et il me semble en avoir fait la partie la plus facile. Ou peut-être est-ce moi qui ne suis pas à la hauteur, qui sait ? Quoi qu’il en soit, je trouve une boucle de substitution très alléchant, mais pour réussir il va falloir améliorer mon rythme si je ne veux pas rater mon avion de retour. Cette journée est donc décisive, mais à mon grand regret je subis un vent de face assez intense. Un garde du parc en motoneige me confirme que la boucle est magnifique mais m’avertit que le vent va s’intensifier jusque demain… Sa prévision s’avère juste et vers 14h30 je préfère m’arrêter dans un abri après seulement 12km plutôt que de faire quelques km de plus et risquer un montage de tente assez rude. Le vue y est magnifique, le vent balaye la montagne et le col que je viens de traverser. Le paysage a perdu ses arbres pour faire place à la montagne dénudée mais splendide.
Je n’ai pas assez avancé et pour réaliser la boucle prévue il faudrait vraiment faire des journées très intenses. Le problème c’est que je n’ai pas assez de nourriture et que les conditions climatiques sont peu favorables… Malgré le fait de manger de bons repas tous les jours, je n’ai pas suffisamment que pour faire des efforts plus intenses ! Je pourrais facilement skier 3 heures de plus par jours mais je n’ai pas les ressources énergétiques suffisantes et mes cloches aux pieds m’incitent à la précaution. D’un autre coté ma pulka s’allège un peu plus tous les jours et le retour pourrait s’avérer bien plus rapide… Tiraillé mais réaliste, je décide de faire demi-tour demain si le vent souffle toujours aussi fort. Je devrais alors trouver de nouvelles options pour remplir 2 journées de trop. Heureusement le paysage me remonte le moral !

IMG_2731IMG_2739IMG_2748IMG_2746IMG_2758Abris avant SaltoluoktaIMG_2770

 

 

  • Jour 8 :

Au réveil le vent souffle, fidèle à lui-même, mais de dos cette foi vu que je retourne vers Sitojaures. Une deuxième bonne nouvelle c’est que le paysage me semble nouveau même si je fais demi-tour.
« Hello ! », je sursaute et frise la crise cardiaque ! Un homme vient de me dépasser en courant. On bavarde une minute et il m’explique qu’ils sont 14 à participer à une course en raquette d’une petite semaine durant laquelle ils courent 30-40km par jours, le finish est à Jokkmokk dans 5 jours et 200km… Il repart tranquillement et disparait au loin. Des motoneiges défileront jusqu’à mon retour à Sitojaures mais aucun autre participant ne me dépassera pendant les 3h30 précédent mon arrivée, signifiant qu’il avait sacré avance sur le second participant ! Incroyable… La contrepartie de cette course signifie que la Kungsleden sera super damée jusqu’à Kvikkjokk, d’où je suis partis. Cela change la donne car je vais avancer beaucoup plus vite, mais il est trop tard pour effectuer ma boucle.

Steak de moitié de parcour

 

  • Jour 9 :

Pour occuper mes deux jours de trop, je prévois d’effectuer un aller-retour de Sitojaures à Rinim qui se situait sur ma boucle. Il s’agit d’un lac entouré de montagne, et me langui de ce spectacle. Mais au réveil c’est la tempête : neige, vent et on ne voit pas à 100m. Dans un souci d’apprentissage je décide de quand même skier, de voir comment je m’en sors, même si c’est pour faire demi-tour. Je ne me fais pas beaucoup d’illusion mais c’est l’opportunité de skier dans de mauvais conditions et hors des sentiers balisés. Sans surprise je rebrousse chemin et effectue seulement 3heured de ski et 4km au total. L’expérience fut réussie : impossible d’avance sur le lac en ligne droit plus de 50m sans regarde boussole/GPS, neige compliquée hors du lac, berge Nord plus dure à skier que la Sud… J’en profite pour me reposer l’après-midi au chalet de Sitojaures et entame le livre de Jean Béliveau : « L’homme qui marche », récit de ses 11 années de marches, sans interruptions, autour du monde. Ça motive !

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  • Jour 10 :

J’entame le vrai retour vers Aktse. Je suis impatient de retraverser le col et de pouvoir effectuer ma descente en « Pulka-Luge ». Il me faudra plusieurs essais, mais le résultat y est, j’arrive à tout ceinturer sur l’arrière de ma pulka, m’assied sur mon sac à dos installé sur l’avant et c’est parti ! C’est l’éclate malgré les difficultés et j’ai l’impression d’être dans un bobsleigh. C’est le genre de chose que je n’oserais jamais faire en expéditions mais comme c’est ma pulka et que je touche à la fin de l’expé…

Le soir venu, 5 charmantes allemandes débarquent dans la pièce en accès libre du refuge d’Akste qui mesure 6 m² max. Elles sont également débutantes et on partage des anecdotes. Leurs enthousiasme me donne du baume au cœur après ces journées de solitudes. J’ai même droit à une berceuse à la guitare…

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  • Jour 11 :

Tandis que les allemandes font la grasse matinée, j’en profite pour épuiser mon jour de trop et faire le tour du lac d’Aktse. Le décor est magnifique, et de surcroit j’ai enfin droit à une journée ensoleillée et un ciel bleu azur ! Je dors dans un abri en face d’Aktse et le soir venu j’ai même droit à des aurores boréales ! C’est un rêve qui se réalise, et je reste planté dehors, ébahi, pendant une demi-heure.

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  • Jour 12-14

Le retour est rapide, trop rapide ! La piste est hyper damée, la pulka nettement plus légère et j’avale facilement 18 km en une journée, sans forcer… Mon corps s’est adapté aussi, ainsi que mon assurance et compréhension de mon environnement. Il m’arrive de m’arrêter plus tôt que prévu car je ne gagne rien à avancer plus que prévu sous peine d’arriver trop tôt à Kvikkjokk. Fruit du hasard, alors que je prévoyais de n’avoir plus rien à manger le dernier jour je tombe sur un sac de nourriture contenant : 1 kg de boulettes types Ikea, 1 Kg de pomme de terre-oignon-lard, 1 fromage et du lard… Etonnement personne ne viendra le chercher, et le soir venu j’en déduis soit qu’il s’agit d’un abandon volontaire, soit d’un oubli. Quoi qu’il en soit il tombe à pic !

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C’est avec une once de tristesse et des sentiments mêlés que j’arrive au parking de Kvikkjokk… Fier d’avoir survécu en solitaire au Sarek, avide de plus de challenges et d’itinéraires mieux gérés, content de retrouver un confort futur (cela fera 18 jours sans me laver tout de même) et déçu de quitter la magie des lieux. Car outre l’apprentissage et autres objectifs de cette expérience, c’est sans aucun doute un sentiment de bien-être et de sérénité grandissante qui m’a submergé au fil des jours. Ici, la vie Lapone, bien que froide et rude, ressemble à un long fleuve tranquille…

Plus que 36h, deux bus, deux trains, deux avions et je serais à Bruxelles !