Quatre jours perdus dans la verticalité d’une face magique

Partie précédente du récit

 

Le lendemain matin, on se réveillera avant le réveil (sans blague…) après une nuit… agitée! Pour aujourd’hui, seulement 7 petites longueurs nous séparent du sommet. On prend donc notre temps au matin, on trainera “au lit”, puis ce sera de nouveau le cirque pour se faire à manger dans ce si petit endroit! On demande aux Américains si ils veulent passer devant (ils sont au-dessus de nous) mais ils préfèrent nous laisser ouvrir! On profiter d’une vire “quelque peu isolée” 5-6 mètres plus bas pour profiter d’aller aux toilettes (nous sommes maintenant synchronisés comme des demoiselles en temps de règles). Et puis, quand le sac est packé, c’est à mon tour de démarrer la journée par quelques mètres de libre suivi d’une fissure très fine en artif où je devrai sortir les nuts. Le haulage du sac qui s’est maintenant fortement allégé est vraiment plus facile!

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IMGP2722Bernard se chargera des 2 longueurs suivantes, presqu’intégralement en artif. Deux très longues longueurs déversantes. Nous perdrons un friends dans la seconde de celle-ci: il s’est trop enfoncé dans une fissure et nous n’avons réussi à le ressortir! Les 2 longueurs suivantes sont pour moi! Une première mi artif/mi libre relativement aisée. Puis une longue longueur que je passerai aux 3/4 en artif pour rejoindre un relais en plein soleil à 2 longueurs du sommet! On approche! Je remonte le sac à une vitesse impressionnante par rapport au premier jour! Le sommet est maintenant tout proche! Je commence à chantonner: “il ne peut plus rien nous arriver d’affreux maintenant !”. On avance bien, les Américains suivent assez loin.

 

 

 

 

 

 

 

 

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C’est Bernard qui aura l’honneur IMGP2742de terminer les 2 dernières longueurs. Une première très courte en fissure. Et ensuite, la longueur sommitale, très longue, déversante à souhait et constituée d’une échelle de spits! Je ne parle pas du gaz ici… on est pendus sur cette corde au milieu du vide avec 1000 mètres de vide derrière nous! Ambiance assurée! Nous aurons quelques soucis à “conclure” ne sachant pas trop de où hauler le sac, comment le trainer jusqu’au pin qui matérialise la fin de la voie! Bref, cette dernière longueur aura été beaucoup plus longue et délicate que prévue mais finalement, vers 4h de l’aprem, nous avons tous les 2 rejoint le pin sommital! Cette fois-ci (contrairement à Half Dome), personne pour accueillir notre exploit, rien qu’un arbre mythique pour nous signaler que c’est terminé! Ca y est nous sommes au SOMMET !

 

Il n’y a plus rien au-dessus, on retrouve le monde horizontal… et cela fait bizarre! On explose de joie d’être arrivé là et on se congratule (à juste titre), c’est un rêve que nous venons d’accomplir! Un drôle de sentiment de légère tristesse vient aussi accompagner ce moment: c’est déjà fini! C’est passé trop vite et c’était presque trop facile! En effet, outre le premier jour où nous avons vraiment eu un gros coup de mou sur le temps de midi, tout s’est bien enchainé et tout s’est franchement très très bien passé! Nous ferons quelques photos sommitales, nous engloutirons notre lunch et puis nous attendrons que la cordée américaine qui nous a accompagnés ces 4 jours nous rejoigne. C’est près de 2 heures plus tard qu’ils atteindront à leur tour le sommet! Nous passerons la soirée ensemble au sommet de El Cap’. Il a bien fallu terminer notre nourriture (et nous avions encore pour au moins 2 jours de bouffe), notre désormais célèbre bouteille de whisky… et nous avons passé notre soirée à entre autre échanger notre vécu sur nos ascensions respectives. Le retour à l’horizontalité a une chose vraiment délectable: on ne doit plus tout le temps faire attention de ne pas perdre un objet quelconque dans le vide!

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Nous irons dormir en nous étalant le plus possible ;-)! Et nous passerons une excellente nuit! Le lendemain matin, nous nous réveillerons tranquillement, nous prendrons un ptit déj sans nous presser et nous profiterons quelques instants de cette magnifique vue du sommet de El Cap et du soleil qui brille! Ensuite, nous packerons une dernière fois le haulbag et nous attaquerons la descente en compagnie de nos 2 amis américains. La descente se passe beaucoup beaucoup mieux que celle de Half Dome (une des raisons étant certainement que nous avons dormi au sommet). Le haulbag est encore fort lourd mais c’est raisonnable. Après 1 grosse heure de marche, nous trouvons la ligne de rappel au bout de El Cap’! S’en suit encore une grosse heure de descente en 3e classe pour rejoindre la route! Cette fois, on y est! Chose étrange, sur la route, aucune voiture ne roule… le shutdown est maintenant effectif et tout le monde est prié de sortir du parc! Nous rejoignons nos voitures au pied de El Cap’! Là de fait, c’est le branle-bas de combat: tout le monde est censé quitter le parc pour 3PM. Nous commencerons donc à trier notre matériel, je cours chercher une corde que nous avons laissé au pied de la voie et puis, nous prendrons tout de même le temps de siroter une ou deux bières belges dans la pelouse au pied de El Cap’. On peut admirer ce monstre de granit avec une certaine sérénité à laquelle s’ajoute une fierté: “C’est grand, c’est beau… et en plus, on l’a fait!”. Les américains nous rejoignent peu de temps après!

Pressé par le boulot, je quitterai peu de temps après. Bernard pensait rester un jour de plus dans la vallée mais le shutdown (ainsi qu’un brin de fatigue) l’obligera à abréger ses plans. Sur le chemin du retour, je suis impressionné par l’efficacité des rangers à vider le parc… Je ne comprends pas grand chose à ce “shutdown” politique mais je trouve cela aberrant de voir qu’on interdit à des gens d’accéder à des si beaux coins de nature. Et puis cela conduit à des absurdités notoires: certaines routes dans le Yosémite resteront ouvertes pour la circulation mais comme le parc est fermé, il est interdit de s’arrêter pour prendre une photo (le ridicule ne tue pas). En particulier, les aires de repos sont fermées… Sur le chemin du retour, au moment de quitter la vallée, je ne ferai pas mon arrêt traditionnel au “Tunnel Point”, aire qui permet d’observer El Cap et Half Dome depuis l’entrée de la vallée. Je m’arrêterai néanmoins quelques secondes (le temps qu’un ranger vienne me faire la morale) histoire de profiter une dernière fois de la vue sur El Cap. Six jours plus tôt, j’étais au même endroit à observer la ligne qui nous attendait! Maintenant le défi a été relevé et c’est des souvenirs et des anecdotes plein la tête que j’observe la ligne du Nose.

En redémarrant ma voiture, je n’ai pu m’empêcher de verser quelques larmes. En effet, je sais que cela sera ma dernière visite au Yosémite cette année (la saison va bientôt se terminer et surtout le nombre de jours de congé auquel j’ai droit n’est pas extensible à souhait). Je repense aux nombreux trips que j’ai effectués dans ce parc… entre les trips de grimpe et de rando, j’y ai passé un certain nombre de WE. Je sais que ce trip sera la dernier de l’année et en fait… le dernier avant très longtemps (voire à jamais) étant donné que mon aventure américaine va s’arrêter là (à mon grand regret). Bref, à la question “What’s next after the Nose ?” qui m’a été posée par le guide 2 jours plus tôt, ma réponse, je la connaissais: “Nothing!”. Les gens qui me connaissent personnellement savent combien je peux m’investir corps et âmes dans ce genre de projets! Ce fut le cas, depuis mars, ce projet fut sous-jacent dans ma vie ici aux USA et je l’aurai vécu avec une intensité proportionnelle à ma passion pour la grimpe! Ce projet s’arrête ici dans la réussite mais avec quelques larmes de nostalgie qui seront le signe qu’il fut merveilleux et qu’il en valait la peine. Malheureusement, cette fois, contrairement à tous mes autres retours du Yosémite, je ne serai pas en train de planifier le prochain trip/la prochaine ascension! Comme on dirait dans le monde du tennis: Jeu, Set et Match!

Je ne peux aussi m’empêcher de penser à ce qui m’a permis d’en arriver là… et en particulier à toutes les personnes qui m’auront enseigné  comment évoluer dans ce monde vertical et qui m’auront partagé leur passion. Car si j’en suis là aujourd’hui, c’est aussi (et surtout ?) grâce à eux… Bref: Marielle, Christian, Guy, Pierre-Alain, Benoît, Jean-Marie, Valéry, Damien, Yves, Lio (et sorry si j’en oublie) merci à vous de m’avoir amené à l’autonomie qui m’a permis d’en arriver là!

Malgré ces pensées nostalgiques, le retour ne s’en est pas pour autant mal passé! La route fut bonne et la nostalgie a lentement laissé la place aux souvenirs de l’ascension! C’était terrible! Je ferai le retour dans un temps record (surtout après mon record de lenteur au retour de Half Dome) et la douche au retour a été tout simplement somptueuse (oui cela faisait 6 jours…). Le lendemain, c’est sans transition que je me suis retrouvé au boulot… mais bon, faut bien trouver un job pour l’an prochain (petite pub personnelle en passant ;-))! A nouveau, il nous aura fallu tant à Bernard qu’à moi-même quelques jours pour réaliser… réaliser qu’on avait bien vécu ces 4 jours de rêve sur cette paroi mythique! Réaliser que nous avions bel et bien atteint le sommet de ces 1000 mètres de grimpe!

Je terminerai ce dernier récit comme tous les autres: en espérant que le lecteur aura vibré en lisant ces quelques lignes (et comme je le dis chaque fois, n’hésitez pas à laisser un commentaire, ca nous fera plaisir) et que cela aura donné des idées à certains… Ensuite, je remercie une fois de plus Bernard pour cette ascension: ca s’est passé dans la bonne humeur et dans la confiance mutuelle! Ca s’est très très bien passé! Cette cordée, depuis notre premier trip à Joshua Tree un certain 15 février, elle aura bien tourné! Et quand Bernard m’a parlé en février du Nose, je n’y croyais pas… et bien si, on l’a fait! Comme quoi, la limite entre le rêve et la réalité est parfois bien ténue… aussi ténue que les limitations que nous nous mettons dans notre tête! Merci donc à Bernard d’avoir initié ce projet qui me semblait trop gros pour moi et qui est maintenant réalisé! Et puis maintenant qui sait par quoi nous allons le remplacer, les possibilités sur cette terre sont légion et des projets peuvent naître aussi rapidement que d’autres se terminent…

 

Bernard et Aurélien, octobre 2013

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