De la Hesbaye lente à la baie d’Halong

Elan

Au départ, toujours :
Le poids d’un sac.

Ensuite, souvent, cette séquence :
Une question,
Une ouverture,
Une inspiration – l’air pénètre dans le corps-,

Puis,
Un premier pas.


On dit « s’engager » sur un sentier.

puluong-brieuc-contrast-processed2

Nous avions déjà bien écumé les sites incontournables du Viet Nam : les montagnes de Sapa, les pics brumeux de la Baie de Ha Long, les sites d’Histoire et ceux « à voir absolument », les pagodes et les temples, le nord, le centre et le sud, les méandres végétaux du Delta du Mékong… Nous avions déjà bien fouiné autour et alentour Hà Nội.
Pour cette pause de printemps, nous cherchions à marcher. Nous rechercherions aussi, disons, une densité – donc une lenteur-, et une dose de vrai dialogue avec les paysages.
C’est sur conseil d’amis (de ceux qui n’en finissent pas de déguster les coins perdus) que nous avons embarqué nos sacs-à-dos en direction de Pù Luông, cette réserve naturelle encore peu connue.

Suivant le Sud-Est,

A travers des villages,
Bản Hang,  Bản Kho Mường,  Bản Hiêu
Trois nuits, quatre jours
A marcher dans tous les verts
Tous les bleus,
Et s’imprégner de vastes vapeurs

OLYMPUS DIGITAL CAMERA

OLYMPUS DIGITAL CAMERA


Il y a des signes qui ne trompent pas : le regard inquiet du chauffeur qui nous dépose sur le chemin cabossé, celui malicieux du guide qui nous accueille, la rivière à traverser à gué dès le premier quart d’heure. Voilà un itinéraire qui sait s’amorcer…

Une lumière à déboussoler les capteurs photo
Une chaleur aux gouttes folles
L’intégrale de la palette des arbres
Un chemin de terre rouge
Pù Luông

Serpent vert ;
Terrasses de rizières ;
Lichen en étoile ;
Rafting de la jacinthe d’eau ;
Femmes portant le fourrage ;
Villages souriant ;
Barrière de jungle alentour.
Nous marchons à Pù Luông

Pas de mots pour dire la fierté, la joie de voir ma famille qui s’élève et grandit sur ces chemins. Quelle force de vivre ensemble ces instants qui confirment que l’on est ici, que l’on vit maintenant. Bien sûr, il y a les coups de fatigue, les bouts de chemin trop longtemps plats et la chaleur qui nous écrase d’une envie d’ombre de bambous. Mais ce sont eux qui délivrent toute la vérité des pique-niques au sol, du riz collant servi sur feuilles de bananier, de la beauté malicieuse du dernier ressaut avant le village caché, des sourires échangés pieds-nus dans la maison sur pilotis qui nous ouvrira une nuit.

Boire, boire, boire
De l’eau, de l’alcool de riz et
Le paysage

puluong-nhasan2
Nuit
Kho Mường,
Cratère, enclave, parmi les pics karstiques.
Moins de trois cents personnes y vivent avec
Plus de deux mille canards

Dans la maison, partout, le bois
Et un mélange de brumes

Sous les moustiquaires fleuris,
Sur les planches de la grande pièce commune,
A travers les dernières fumées du foyer :
Passer d’une journée de marche à la suivante
En s’aidant d’un geste de yoga,
Mouvement de connexion à la pénombre

La nuit n’en finit pas de bruisser
Grand chœur puissant de grillons au crépuscule
Grouillement de forêt

Longue aube faite de chants de coqs, de chiens, de porcs
Et de la rivière Sưối Púng toujours, en toile de fond

Brume des montagnes
Respiration de vallée chaude
27__320x240_pu-luong-371

Moi : « Qu’as-tu aimé pendant ces 4 jours ? »
Jeanne : « J’ai eu un papillon orange sur le doigt ! ».
Mission accomplie : ma fille est taoïste !

***

Liane
Revenu un week-end seul à Pu Luong pour re-sentir encore une fois les odeurs et saluer notre guide, je replonge très vite dans la plénitude de Kho Mường. Sans réel programme ici, je repense à ces poèmes chinois de pèlerins partant dans la montagne chercher conseil chez leur maître mais qui, plutôt que de l’y trouver, ne rencontre que leur absence et surtout … les cascades de montagne, la forêt, les cris d’animaux. Par exemple, le « Visite a un moine Taoïste du Mont Tai Tien sans le rencontrer » de Li Po au VIIIème siècle …

Ce soir, je pourrais écrire « Venu à Pù Luông chercher du Vrai, ne rencontrant que la forêt qui respire »

Le guide m’offre une petite escapade qui, sur carte, parait toute gentille… Voilà trois heures joyeusement éprouvantes dans la forêt qui se laisse à peine traverser. Un col raide et hirsute de jungle entre un village d’ethnie Thay et un autre peuplé de Muong. Un col qui les sépare et les unit.

Frou-Frou des herbes hautes qui ricanent
Bric-broc du calcaire qui roule sous les bottines hésitantes
Puis tous ces bruits inconnus rappelant ici une scie-sauteuse, là une tondeuse, une disqueuse ou une fourchette criant sur une assiette
La forêt sait bien ce qui hérisse les peurs

Sueur et troncs d’arbres
Fleurs et cris perdus des écureuils
Dont on ne sait rien d’autre que les « toc-toc-toc » et leur résonnance

Quel Karma, quel bagage de conscience faut-il pour vivre pleinement la forêt montagnarde ?
Quel vide mental atteindre pour goûter le sens forestier ?

A-t-on fait un pas ou en a-t-on fait cent ?
La jungle dissipe les nombres et le temps
Mais les instants se succèdent
Par les mains qui caressent les sculptures calcaires
Par les pieds qui buttent sur des soubresauts végétaux
Frôlements de branches qui s’avachissent furtivement
Acupuncture subtile de l’insecte en ballade
30__320x240_20150711_144652

« Tadasana » – Posture de la montagne

Depuis le col, regard sur les villageois qui travaillent les rizières.

Le riz de ce soir n’est dû qu’à la force des bras et des buffles, à la transmission de gestes.
Les montagnes ici ont tout de ce qui les définit : ampleur, chaînes et massifs, torrents, pierres et sentiers, cols et vallées, envies.
Mais elles sont habillées d’une forêt tropicale désarçonnante et habitées par ses enfants qui en travaillent les flancs jours et nuit.

Les rizières expriment
La cartographie d’un cratère
Un puzzle de terre et de vase
Ocres-verts
Lumière-soc

Buffles au regard doux
Puissance boueuse
Cornes en arcs de lune

Mètre par mètre, la rizière se travaille
Mètre par mètre, gravir le flanc de montagne bruissant.
Par-dessus l’épaule un regard au travail des champs,
Puis un pas dans le vide de la pente

Pù Luông
Une histoire d’entrailles liées aux cris de la nuit
A la force de la forêt profonde
Une nuit primaire
Une forêt respirée
Une alliance immobile

Ici les concepts se bousculent un peu:
« Non-moi », d’accord
« L’impermanence », d’accord
Mais ce lieu est d’une absolue réalité.

Quand le ‘vide’ signifie ici :
Une appartenance à l’aurore
Qui grouille et crisse
Crissss, Crissss, Criiiissss !
28__320x240_pu-luong-555