Découverte de la vie en Mongolie, sur les pas de la wilderness et du froid

D’abord il y a l’omble arctique. Le lendemain c’est yak grillé. Ensuite c’est truite lenok. Après, c’est à dire demain, il y aura pâtes, soupe russe et copeaux de viande à couper à même le glaçon qu’elle sera, est et a toujours été depuis son abattage il y a quelques mois.

Ainsi coule la vie, rude de froid mais douce pour tout le reste dans cette maison de bois aux confins mongols, au bord du lac Khuvsgul. Mélancolique ? Un peu trop pour être vrai. Comme de penser à la réputation de Thoreau sans s’être frotté à son âpre prose et à ses dures réalités.

Partis tous trois et pour diverses raisons, nos plans butent à une réalité qui s’avère bien plus forte que nos desseins particuliers. Cette aventure-ci ne se laisse pas apprivoiser et file de plus en plus entre nos doigts.

Par quoi commencer ? Par le factuel – c’est plus facile.

Nous attendons du matériel qui doit arriver par fourgon depuis Ulaanbaatar et qui n’arrive pas. Les pulkas d’abord mais nous avons trouvé des traîneaux ici. Les harnais, cordes, mousquetons et surtout des crampons sans lesquels une marche sur glace s’avère exercice d’équilibriste impossible au long cours.

Le froid ensuite. Nous nous sommes crus assez forts que pour vivre des nuits polaires d’affilée sous la tente avec un équipement réduit, “à la mongole”. Le fait est que les Mongols restent chez eux l’hiver, que la yourte est parfaitement adaptée et chauffable, que le cheval (à moins que la voiture ou la moto ?) est un moyen de transport bien plus rapide et fiable que la marche à pied. Nous ne sommes pas mongols et nous ne sommes pas forts.

Bref, une courte reconnaissance sur la glace puis deux jours et une nuit sous tente nous ont vus buter, trébucher et nous relever un peu plus humbles.

Après cela nous avons échafaudé des plans. Le premier était d’aller retrouver les Tsaatanes – les derniers 400 éleveurs de rennes, chamanisants et vivant sous tipi dans le confin sibérien de la région (“plus loin, tu meurs”). Mes ces derniers se font depuis quelques mois des véritables fortunes à louer leurs rennes à des nouveaux chercheurs d’or (c’est un scoop). L’hypothèse de se retrouver dans un Klondike illégal avec nos appareils photos et nos gueules de blancs nous a déplu et apeuré. Même à l’Est, le Far West n’est jamais vraiment loin.

Autre plan ? Oui et nous le suivons demain matin. 120km de jeep russe le long et sur le lac pour rejoindre au Nord les deux-tiers de sa rive Ouest et une presqu’île un peu peuplée : Dolon Uul, les Sept Montagnes. Camp de base et l’une ou l’autre randonnées de quelques jours dans les montagnes et à ses abords. Il y aurait été vu du loup, du chevrotin porte-musc, du glouton et autres élans et cerfs. A notre tour de nous improviser voyants

Faire, faire, faire. Rentabiliser un voyage pour diverses raisons. Que nous soyons ici depuis 2 ans, un an ou 2 semaines, cete impératif sonne trop fort. C’est peut-être même dommage sous certains points. Nous venons de passer de très belles heures à ne pas faire grand chose que de nous nourrir d’autre chose.

Voici pour le factuel. Après quoi je reprend le “je” pour poursuivre sans oser associer mes deux véritables ‘companeros’.

Après, je prend mon pied ici. Point de pollution gazeuse, sonore ou visuelle et juste une crève qui tarde à guérir.
Du temps à passer autour du poêle. Des livres à lire – Le Pape des Escargots, hautement recommandable en ces temps de non-sens post-moderne.
De la musique, de l’improbable salsa ou Ali Farka Touré. Julien qui chante et gratte sa guitare. D’interminables soirées à refaire le monde, à confronter du singulier si important à sa petite échelle. De très longues nuits d’un peu d’insomnie et de beaucoup de rêves.

Dehors il y a Tshimba, l’ami mongol, un peu gardien et très aidant. Sa femme Boloro et la fille de cette dernière. Ils offrent si souvent l’hospitalité sous leur yourte : le rituel thé-biscuit-télé.

Dehors c’est le permafrost et la chienne nouvellement baptisée Laïka qui grelotte, toute givrée mais reconnaissante qu’on lui soigne un peu sa maigreur.

Dehors il y a le lac. Le vent a soufflé un peu découvrant ses entrailles de glace. Le météorologue du coin parle de 70cm d’épaisseur déjà et s’accroissant rapidement. La glace est transparente, d’un bleu profond qui ferait entrevoir ses 224m de profondeur. Mais la masse est nervurée de fissures,  de cassures, de crêtes. La glace glisse comme savonnée mais ondule, ondoie. Lorsque les fissures ne sont pas profondes ou peu nombreuses, on a peur tant la glace semble fine et improbable, tant la transparence est forte. Alors c’est marcher sur l’eau, au milieu de l’océan et c’est effrayant.

Dehors il y a l’hiver et le froid, calme et introspectif. Le voilà peut-être le moteur de tout ce beau.

Après, dans quelques jours, là-dehors, il y aura la rencontre avec un chamane hivernant le long du lac. Finalement n’est ce pas lui qui détient bonne part du secret de ce lieu ?
Peut-être dira-t-il un peu de ses histoires ?

A dans une bonne semaine.
Quentin (et les deux autres, et les esprits !)

P.S. :  Nous sommes au coin du feu. On se raconte des fables qui font peur, minuit approchant. En écho à demain, on raconte ces nombreuses histoires de voitures perdues corps et âmes avec leur équipage au complet, une plaque de glace trop érodée par un mystérieux courant cédant à leur passage. Toujours cette part de peur qui se mèle au beau.