Découverte de la vie en Mongolie, sur les pas de la wilderness et du froid
Bayanhongor, 23 juillet 2009,
Le temps ne cesse de filer. Souvent j’ai l’impression que rien ne se passe. Rien d’extraordinaire, pas de grande aventure ou de grandes choses. Alors je me garde d’envoyer des nouvelles. L’excuse est bonne.
Pourtant c’est la vie que je vis. Toute simple. Avec ses points sombres et ses satisfactions. Que demander de plus ? Beaucoup de choses sans doute.
Bientot cinq mois hors de Belgique. Je vous dois des nouvelles.
LE TRAVAIL.
Je m’occupe. Bien et beaucoup. J’avais raison de ne pas vouloir chercher depuis l’Europe quelque chose a faire. J’ai trouve sur place, bien plus naturellement. La Mongolie est une terre de rencontres. Le surcroit de liberte que je ressens ici rend toutes choses possibles.
Je suis photographe pour AVSF (Agronomes et Veterinaires Sans Frontieres), une ONG francaise. En gros, je suis charge de renouveller leur phototheque en couvrant leur projet sur place. mais elle m’offre l’opportunite de voyager a la campagne et surtout d’analyser l’action humanitaire ; belle et derisoire, intelligente ; vaine ? Les questions se posent et la comprehension du pays se developpe.
Je suis stagiaire pour l’ACMS (American Center for Mongolian Studies), un centre de recherche universitaire americain, cela meme si je ne suis ni etudiant ni americain. L’activite n’est pas remuneree (helas, mille fois helas). Mon projet : une etude photographique de la ville d’Ulaanbaatar a travers ses batiments les plus representatifs. Plutot que de prendre des photos, la recherche est davantage iconographique, j’ai a fouiller dans les archives et partout ou je peux pour trouver de vieilles photos de la ville.. Je n’ai de cesse de cotoyer des chercheurs de haut vol aussi. Ceux qui travaillent avec le centre mais aussi les anthropologues, architectes, paysagistes, urbanistes qui ont travaille sur cette ville. Toutes nationalites confondues. C’est excitant, ca repond a un manque dans ma vie intellectuelle,. C’est un travail d’une profondeur abyssale : j’essaie de comprendre la ville parce que cette ville est une porte d’entree royale a la comprehension de la Mongolie. Du coup, je n’avance pas.
Enfin, je prends des contacts avec moults anthropologues, etrangers ou mongols. Parce que je suis convaincu que proposer un support photographique a ce scientifique sur son terrain constitue un enrichissement de son travail. Et puis surtout parceque cela me fait prendre mon pied. A la clef : peut-etre l’animation d’un seminaire d’anthropologie visuelle au departement d’anthropologie de l’Universite nationale, vraisemblablement des sejours sur le terrain avec un anthropologue congolais qui vit ici, des portes ouvertes aupres de grandes universites occidentales.
LES IMPRESSIONS.
Je passe la majorite de mon temps en ville. Et Ulaanbaatar est un succedane de ville europeenne – une ville qui court sur la ligne du temps d’une maniere deja surannee chez nous. Meme si elle est bien plus que cela, elle n’est pas extraordinairement depaysante, dans la vie que j’y mene en tous les cas. Je vis une sorte de vie d’expat, cotoyant les differentes castes occidentales : la tribu francaise, le groupe americain, les interpretes mongols, ou les mongols parlant anglais, etc. J’ai mes habitudes dans des lieux expats ou “a touristes” : la boulangerie francaise, le bistrot francais, l’Irish Pub (il y en a plus d’un). Cela a un cote rassurant de pouvoir faire partie d’une communaute a 10 000km de chez soi. En meme temps, comme un bon vieux voyageur (ou “aventurier”, ou “touriste”…), je cherche a “m’encanailler” dans des lieux purement mongols. Parceque c’est moins cher, parceque je n’en peux plus de voir des blancs, parceque c’est plus typique ou authentique aussi sans doute. Le paradoxe est la et je ne sais si je peux le resoudre.
Il y a la campagne aussi. Deux fois que je me rend dans la province de Bayanhongor, une premiere fois en avril-mai pour trois semaines et une deuxieme maintenant pour 10 jours seulement. 650Km et 15h de piste au WSW de la capitale. C’est deja le Gobi. Pas d’asphalte, pas d’internet, pas de telephone portable. Peu de construction en dur. Juste des yourtes (ger en mongol) et des troupeaux de chevres (surtout), de moutons, de chevaux, de vaches et de chameaux (j’aime bien les chameaux). C’est un peu “Martine a la ferme” au milieu de nulle part.
Allez, je vous fais une envolee lyrique sur le desert (qui me plait moins que les montagnes mais qui est d’une spiritualite sans nom).
Le désert. (printemps 2009)
Monotonie et multiplicité du paysage.
Le désert c’est de la musique classique. Quelque chose d’assez moderne sans être contemporain. Peut-être un trio pour piano de Shostakovitch. Des variations et toujours le même thème a revenir, obsédant. Le désert c’est une œuvre en mineur, quoi qu’il en soit. Quelque chose de romantique et de rébarbatif tout a la fois, le désert est méditant. Des cailloux, du sable – beaucoup, des herbes – éparses, des mamelons de terrain, un horizon toujours lointain, des ondulations de terrain et du soleil qui se lève beaucoup trop tôt et se couche infiniment tard.
La couleur ou son absence.
Tout est tellement jaune ou beige ou sable que l’on en voit du vert partout. L’espèce de vert qui croit se deviner au travers des lunettes solaires polarisantes, le vert d’une minuscule pousse d’herbe déjà broutée par une chèvre, le vert rêvé : un vert daltonien, un vert qui fait s’écarquiller les yeux, un vert-illusion.
D’abord dans mon Gobi mongol, tout est indifférencié. Je peux bien être en voiture et sur une piste, je suis perdu. C’est une douleur physique et métaphysique. Il n’y a pas d’ordre, d’ordonnancement. La peur surgit, viscérale. Au fil des heures, des yourtes égrènent chichement, une colline noire visible de loin vient servir de point de repère, un rare arbre rabougri vient ponctuer l’horizon, une vallée asséchée ou une falaise divisent la zone en morceaux. Et la peur s’atténue. Il faut ensuite s’arrêter auprès d’une yourte et boire le the de sa famille pour se sentir accueilli dans un havre, bien humain et harmonieux. C’est alors un petit miracle tout rond et tout vivant qui vous entoure, coince dans un repli du désert. Et l’espace de quelques instants, la peur n’existe plus. Il faut après quitter a pied ce paradis immanent et marcher, trébucher sur les touffes d’herbe a chameaux, peiner dans le sable vente jusqu’à changer d’horizon. Une fois, puis deux ou trois. La peur est toujours la mais cette fois comme un instinct de survie. Et les sens s’éveillent. Les yeux percent les points cardinaux de détails remarquables, le vent fouettant le visage sert de boussole, le type de caillou ou d’herbe sur le sol marque un point de repère. Étonnamment vite, en fait, je devine l’emplacement d’un camp ou d’un puit sans coup férir. Je ne suis ni chasseur, ni pisteur, ni ornithologue et pourtant mon regard porte au loin, distingue l’oiseau ou le gibier ou bétail ou l’homme solitaire. Le désert s’apprend vite, il n’en laisse pas le choix.
Le désert est viril et rude. Il est un Leviathan naturel, puissant, incommodant et accommodant. Ici tous les oiseaux sont migrateurs. Ici, seul le chameau est vraiment a sa place. Les hommes nichent dans leurs anfractuosités de yourtes. Ces hommes redonnent une valeur de premier plan a l’humanité : la simple adaptation au milieu. Ils n’en donnent pas moins l’impression d’avoir conquis leur place dans l’écosystème de toute leur force et leur intelligence.
Les gens. L’enclos rond ou gambadent les cabris. La yourte ronde dans laquelle la mère donne le sein au nouveau-ne. La communion presque mystique de l’un et de l’autre.
Depuis le printemps, le desert a verdi un peu mais est toujours plein de cailloux ou de sable. Les animaux sont moins malingres qu’a la sortie de l’hiver, ils se remplument. Il fait beaucoup plus chaud. Les gens brulent au soleil ; les joues rougies des enfants. Le cashmere a ete peigne, la laine de chameau coupee. Meme les chiens ont mue. On trait maintenant chevres et chevaux – les cabris et poulains, maladroits gambadent. On boit du lait de jument ou de chevre a tout va, on mange du yaourt. La viande sechee preparee a l’automne dernier laisse place a la viande fraiche. Les provisions de fromage de l’an dernier (a sucer parceque dur comme de la pierre) sont remplacees par du nouveau, tendre, sans sel ou parfois sucre. L’hospitalite des gens simples est bien la, quoique moins complete que l’hospitalite musulmane.
Un bien romantique tableau, n’est-ce pas ?!
Detrompez-vous. Cela n’est que la poesie d’un esprit occidental.
Le pays ne fonctionne pas. Si le communisme mongol a fait des ravages (purges, conversion de force a l’ideal socialiste, etc.), il a aussi cree une structure incroyable et un marche economique elargi a un continent, l’URSS.. Le passage au liberalisme a aboli jusqu’a la derniere des infrastructures. La democratie est advenue mais le gouvernement s’occupe de ses petites affaires loin des preoccupations du quidam. Le quidam a repri son mode de vie“traditionnel” et “authentique” d’eleveur sous la yourte. Avait-il le choix ? Ceux qui ne sont plus capables d’etre eleveurs grossissent la maree humaine d’emigres dans les banlieues de la capitale. Ont-ils le choix ?
Le gouvernement regit son pre carre. Les ONG regnent (en hotes du gouvernement) sur le social. En bonnes entreprises, les ONG divisent pour mieux regner et se preoccupent de garder leurs subsides publics, de conserver leurs salaires mirobolants (pour les chefs de mission) et leur plethore de volontaires anonymes et non-payes. Comment cela pourrait-il remplacer l’economie et la securite sociale toute puissante d’un communisme ? Bien loin de moi l’idee de glorifier le communisme. Mais. … Faites le parallele avec nos chers systemes politiques europeens.
J’arrete la. Je pourrais m’epandre en mode diarrhee sur le sujet.
LES DECEPTIONS.
Deceptions personnelles maintenant. J’ai aime et hai mon precedent voyage a velo. Hai parceque je n’ai rien fait d’autre qu’effleurer la surface de realites qui m’interessaient. Aime pour toutes les autres raisons du monde. Pour cette escapade mongole, je voulais vivre dans un pays et non plus le traverser. Voici qui se fait. Et alors ?
Je ne parle pas mongol. Tout au plus, je peux commander a manger et prendre un bus. Et puis meme si je parlais mongol, je ne serais qu’un blanc-parlant-mongol. C’est une illusion que de croire que l’on peut se fondre dans une culture et la vivre.
Je passe du temps a vivre comme un expatrie. Mais cela, c’est vouloir reproduire sa culture en terre etrangere. Quel sens en degager ?
On vit ici mais on n’y a pas d’ami, pas de vie sociale. Si l’on excepte les apparences (cocktail, entrevue de convenance, reception a l’ambassade, etc.), qui sont les amis ? J’ai la chance d’en avoir trouve un, un seul. C’est plutot chiche. Et je m’estime chanceux.
Le pays est trop grand. On peut se rendre dans toutes les capitales de province facilement mais moyennant des dizaines d’heures de bus ou de fourgon. Apres, il faut louer une voiture, les services d’un chauffeur. Resultat : on passe sa vie dans une cage d’acier. Et je suppose que vous savez que la voiture ne permet pas vraiment de voir ou de rencontrer.
Les rencontres enfin. Elles sont intenses. Des gens intelligents, interessants, fascinants. A part le fait d’enrichir le nombre de mes amis sur Facebook, il est problable que je n’adresserai plus la parole a 95% d’entre eux. Pour cause de temps ou de preoccupations ou d’eloignement geographique. Pour ceux qui connaissent, il y a une belle phrase de Nicolas Bouvier a ce sujet.
ALORS MAINTENANT, ON FAIT QUOI ?
Alors maintenant ? Je vais essayer de finir mes projets parceque je ne veux pas quitter ce pays comme quitter un lieu de vacances. Ce sera octobre au plus tot pour une premiere date de retour possible..
L’idee est venue de passer quelques mois d’hiver avec une famille mongole, sous la yourte. Peut-etre. Cela permettrait d’apprehender un peu mieux cet univers-ci, d’apprendre un peu de langue. Allez savoir si cela vaut la peine ?
Je n’ai rien vu de ce pays. Et on ne cesse de me dire que le lieu est infiniment varie. L’idee est de le parcourir un peu plus. Mais a quel prix ? En simple touriste ? Avec un tres cher tour organise ? En louant une voiture ? Par soi-meme en bon backpacker ? Et pour quelle finalite ?
Aller faire un tour plein Ouest dans l’Altai ? C’est 4 jours (et nuits) de voiture mais ce serait pour aller faire un peu d’alpinisme… J’aimerai bien mais …la voiture … toujours la voiture.
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En tous les cas, je me promet de preparer mon retour avant de debarquer en Europe. Je ne l’avais pas fait la fois precedente et cela m’a vraiment coute trop cher… (Si l’un d’entre vous a des idees, un boulot a proposer ou des pistes pour publier des articles ou un livre, je suis preneur !!!! ;-))) ) Ce que je sais, c’est que la photo devient importante dans ma vie et il y a moyen d’en faire quelque chose d’intelligent.
Je vous quitte sur ces questions et ces incertitudes.
Je vous rassure en vous disant que je passe du bon temps ici, du temps qui n’est pas perdu.
Je vous embrasse tous et vous dit bon vent.
A tres bientot.
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