Transsibérien et Expédition en vélo dans l’Arkhangaï
Nous sommes rentrés tard de notre petite excursion aux sources d’eaux chaudes de Tsenkher Jiguur. Sur le chemin de retour en effet, nous avons été invités dans une yourte par un professeur d’université en calligraphie, de passage dans sa famille. Il parlait pas mal l’anglais et après nous avoir offert le traditionnel lait fermenté et l’alcool au lait de jument, il nous a expliqué la différence entre les écritures mongole ancienne, tibétaine et mandchoue. C’était fascinant mais je retiendrai surtout la passion qui se lisait dans ses yeux lorsque à genoux dans l’herbe il transcrivait nos noms dans les trois calligraphies précitées dans mon petit carnet de voyage.
Le feu était à peine allumé lorsque Quentin, Matthias et Armand sont arrivés. Nous avons tout de suite été impressionnés par leur vélos dont la propreté et la technicité contrastaient avec l’état de nos solides et fidèles montures. Nous avons passés une soirée vraiment chouette même si entre les bières et la viande à faire cuire, le premier avait nettement pris l’avantage. Cela prendra donc du retard et nous nous coucherons tard.
Ce n’est jamais facile de sauter d’une expé à une autre. Ici c’était particulièrement difficile. D’un côté nous sortions de 20 jours passionnants à trois, de l’autre Matthias et Armand sortaient de leurs camps respectifs avec en plus un bon décalage horaire dans les gencives. Entre les deux j’essayais de trouver mes marques de chef d’orchestre. C’est moi qui avais rassemblé ces deux couples, de cousins d’une part, d’amis d’université d’autre part. Si malgré mes efforts et ceux de Rodolphe, nous n’avions pas réussi à créer le contact durant l’avant expé, il fallait maintenant plonger et réussir cette expé.
Nous sommes finalement partis en fin d’après-midi à quatre et je suis ensuite revenu chercher Rodolphe, un brin malade, qui était resté se reposer au bord de la rivière. Nous avons passé une chouette soirée avec des discussions vraiment fortes à deux. Quand nous avons rejoint le campement des trois autres le lendemain vers 10h, ils dormaient toujours.
Nous étions pourtant belle et bien partis mais cette fois nous étions un peu plus dans les montagnes avec plus de cailloux, plus de rivières à traverser et moins de pistes damées, … Devant nous un dénivelé de 1000 mètres nous attendait. Curieusement, notre rythme à cinq a tout de suite été beaucoup plus lent. Rodolphe et Gaspard se cramponnaient à l’arrière comme si le chapeau de Rodolphe mangé par une chèvre avait cassé quelque chose. Le paysage est toujours aussi époustouflant et la météo est redevenue ensoleillée. Le débit des rivières atteste toutefois du passage pluvieux que nous venions d’essuyer. Jamais avant je ne m’étais rendu compte du fait qu’une rivière est une barrière naturelle qui peut poser de réels soucis. Dans ce pays où il n’y a pas de route il n’y a pas non plus de pont. Il faut trouver des gués et espérer que le niveau d’eau ne soit pas trop élevé. Nous étions étonnés de ne pas avoir rencontré jusqu’ici beaucoup de jeeps alors que l’on nous avait annoncé un axe fréquenté entre Tserterleg et Bayankhongor. La réponse est vite venue lorsque nous avons dû traverser à plusieurs reprises des rivières en portant nos vélos avec de l’eau jusqu’à mi-cuisse (voir plus haut) dans un courant qui souvent nous déstabilisait. C’était aussi fort que de prendre le Trans-sibérien pour prendre conscience de réalités toutes simples que notre confort moderne a tendance à nous faire oublier telles que la distance et les obstacles naturels. C’était fatiguant pour tout le monde et nous prenions du retard mais la lumière et la pureté des lieux nous abreuvaient constamment.
Nos endroits de campement étaient chaque fois de petits paradis. A deux reprises nous avons même trouvé des oignons sauvages qui nous ont permis le luxe d’excellentes soupes à l’oignon. Si celles-ci ont fait diminuer nos réserves de fuel, elles n’en ont pas moins remplis nos estomacs qui en avaient bien besoin. Les réveils après de telles orgies n’en étaient que plus difficiles. C’est fou ce qu’à cinq ont est plus lent à partir. Franchement je pense que si nous étions tous éprouvés par les traversées de rivières, les conditions météo et les cailloux sous nos pneus, nous étions tous très heureux d’être là et de vivre à fond cette expé dans ces contrées si peu fréquentées. Comment ne pas l’être d’ailleurs ? Et pourtant moi j’avais et je garde un goût de trop peu.
Je suis un impatient, toujours exigeant mais là il y avait trois bulles qui ne communiquaient pas beaucoup entre elles : les deux cousins qui faisaient de la résistance derrière, les deux complices étudiants-ingénieurs toujours en train de se challenger l’un l’autre et puis le gentil organisateur qui s’activait trop et s’étonnait que les choses ne se mettent pas en place toutes seules. Ne me comprenez pas mal, il n’y avait pas de tensions entre nous et tout le monde vivait des trucs inoubliables mais c’était quelques part une expédition « molle » sans réel vision commune. Du coup il fallait toujours un peu pousser pour qu’on ait de l’eau que les vaisselles se fassent, que les sacs se terminent, que le camp se nettoie avant de partir, … C’était pour moi un peu épuisant, d’autant plus que je me réjouissais de cette rencontre qui devait relancer notre expé. Mais bon c’était tellement beau.
Au petit matin du cinquième jour, un ciel bleu magnifique annonçait un soleil resplendissant. Je me suis permis de réveiller la tente des futurs ingénieurs avant l’arrivée du soleil pour forcer un départ plus matinal que les jours précédents. Nous avions un bon col et 70 km de pistes devant nous. J’ai ensuite réveillé Rodolphe et Gaspard avec qui je suis parti sans attendre les deux autres toujours en train d’organiser leurs bagages et qui étaient de toutes façons plus rapides et nous rattraperaient avant le col.
La montée de 6 km vers le col offrait une vue incroyable. J’ai eu le temps d’en profiter car j’ai attendu 20 minutes les deux cousins et 55 minutes les deux compères au sommet. Pourtant franchement je n’avais vraiment pas forcé l’allure.
Par contre dans les descentes fortes je ne suis pas très à l’aise contrairement à Gaspard. Je me suis pourtant de nouveau retrouvé complètement isolé à l’heure du lunch où j’ai de nouveau attendu 25 minutes avant de les voir arriver. Après le lunch, Matthias et moi avons de nouveau attendu un heure et demi après traverser la rivière sans voir arriver les trois autres. Inquiet je suis alors retourné retourner au dernier endroit où nous étions vu, 15km plus tôt : aucun trace des trois autres. De retour là où m’attendait Matthias, nous avons imaginé les pires scénario et évoqué les actions les plus efficaces. Il était 18h30 et il restait 30 km avant le village ; nous avons décidé de nous y rendre en espérant les y retrouver. Sinon on aviserait le lendemain, …
Nous y sommes arrivés vers 22h dans le noir après avoir passé le dernier col, où épuisé par la journée de 100km et l’hypoglycémie, Matthias m’a très gentiment aidé à passer les dernières centaines de mètres en me soulageant de mes sacs. Le boulanger a accepté que nous mettions nos matelas dans son atelier tout en nous rassurant en nous faisant comprendre qu’il avait vu trois cyclistes un peu plus tôt. Nous les réveillerons en effet le lendemain tout heureux de raconter nos aventures réciproques.
Il restait un bon bout de chemin pour Kharkhorin, l’ancienne capitale de l’empire de Gengis Khan, notre destination. Cela restait faisable en quatre-cinq jours mais il fallait changer de braquet et se serrer les coudes. Nous en avons finalement décidé autrement et nous nous sommes offerts une journée de repos au milieu de ces 5 vallées à deux pas du vieux temple bouddhiste et des enfilades de stupas. J’ai passé la journée seul et je me suis régalé en montant au dessus des arbres pour prendre des photos d’altitude au soleil couchant, là où les yacks rencontrent le serpent de la rivière étincellante. Il faisait chaud, très chaud et les patates, saucisson local et compote de pomme se sont mélangées. Il fallait laisser les deux bulles s’apprivoiser sans la troisième … Nous avons alors pu passer une soirée mémorable à cinq et le rangement du camp s’est même organisé tout seul, avant l’arrivée des chiens.
Rodolphe et Gaspard voulaient calmer le jeu et passer à autres choses avant notre périple dans le Gobi. Ils rêvaient de trouver des hameçons et de pêcher au bord de la rivière. Ils rêvaient de s’acheter des bottes en cuir russe au marché de Ulan Bator. Matthias et Armand sont donc partis de leur côté dès le lendemain, anticipant de 4 jours leur périple à deux. Arrivés plus tard ils restaient en effet deux jours de plus que nous. Après Khakhorin ils continueront vers Ulan Bator.
Je les ai regardés partir avec une dose d’envie mais surtout la conviction qu’ils allaient vivre quelque chose de très fort à deux et que cela leur appartenait. Ils ont pu bénéficier de toute notre logistique pour se lancer mais maintenant c’est à eux de jouer. C’était la première fois pour tous les deux et il y avait quelque chose d’émouvant à les voir partir. Rodolphe l’a ressenti comme moi et nous nous sommes serrés les épaules en les regardant s’éloigner tandis que Gaspard s’était déjà rendormi. Armand et Matthias ne se sont pas retournés.
Tiens au fond nous n’avons été invité dans aucune yourte cette semane, contrairement à notre première expé.