Randonnée arctique ouverte à tous (ou presque)

Le récit de Julien

1. Into the white

Tout d’un coup le blanc. Complet. Que l’on regarde au-dessus ou en dessous, la tête à gauche ou à droite. Sol et ciel ont subitement disparu, il n’y a plus de relief. Il n’y a pas de brouillard, le vent du nord nous frappe de côté ou de face. Rien ne présageait cela quelques instants auparavant, et maintenant nous nous raccrochons chacun aux traces de celui ou celle qui nous précède. De temps à autre, un coup d’œil vers l’arrière pour s’assurer que l’autre suit toujours. L’orientation se fait au compas. Même les traces de skis ont tendance à s’effacer, les bourrasques éliminant rapidement les deux sillons parallèles.

La notion de temps disparaît également. Avons-nous skié 10 minutes ou 1 heure ?

Ce blanc complet a un nom : le « white-out » ou « blanc dehors ». Il est dû à un ciel bas et laiteux en conjonction avec une couche de neige. Presque tout est blanc et l’œil n’a plus de point de repère. Curieusement, j’ai adoré l’expérience, faisant confiance aux connaissances du guide. C’est un des rares moments où le novice que je suis a été directement confronté à la nature et aux dangers inattendus de la montagne.

Mais dès le white-out dissipé, nous avons pu profiter d’une vue magnifique sur la vallée de Nienndo

2. Les cabanes du Sarek

Le Sarek est présenté à juste titre comme une des plus belles étendues sauvages d’Europe. Ce parc national de près de 2000km2. Dans le parc, tout est fait pour limiter la présence humaine au maximum. Il n’y a ni refuges, ni chemins ou sentiers balisés. Les véhicules à moteur y sont interdits. Les seules exceptions concernent les Samis (les Lapons) qui y pratiquent le semi-nomadisme depuis 7000 ans, au gré des migrations de rennes.

Cette occupation humaine, plus en harmonie avec la nature que ne l’est notre comportement, se marque par la présence de quelques rares cabanes. A l’exception d’une d’entre elles, dotée d’un téléphone et conçue pour qu’on ne puisse pas y dormir, elles sont interdites aux touristes (sauf question de survie, bien entendu).

Le fait est que nous avons passé une nuit dans une cabane dont la porte avait été forcée par deux touristes autrichiens dont la tente avait été détruite par une tempête. Un peu plus tard, une tempête « acceptable » se levait et nous, moi y compris, étions heureux d’être au chaud et totalement protégés du vent pour notre deuxième nuit en haut. Etions-nous en grand danger ? Je ne le pense pas et à l’heure où nous avions pris cette résolution, les motivations étaient plus liées au « confort » qu’au risque de vent. Nous avons pris bien soin de tout remettre en ordre et avons discuté au préalable d’y aller ou non.

Mais nous n’avons évidemment pas consulté le conseil sami quant à cette occupation très temporaire. Probablement ne sauront-ils jamais que nous sommes venus.

Toujours est-il que cela a facilité, un petit peu, notre séjour.

 

Aujourd’hui on estime la fréquentation du Sarek à 2000 personnes chaque court été. Statistiquement, chaque kilomètre carré du parc serait donc occupé une fois par an.

Notre mode de vie occidental pousse beaucoup d’entre nous à le fuir de temps à autre, le plus loin possible. Ainsi, les dernières zones sauvages sont de plus en plus d’utiles soupapes à notre quotidien. Parallèlement, l’évolution technique du matériel de randonnée fait gagner de la légèreté et de la fiabilité ; les moyens de communication contemporains permettent d’appeler les secours où que l’on soit dans le monde ; les GPS facilitent la localisation et la définition d’itinéraires; la diminution (artificielle) du coût des transports et leur rapidité permettent de rejoindre le pied du Sarek en moins de 12h de partout en Europe.

Comme d’autres, cette zone sauvage risque donc fort de disparaître à terme emportant avec elle une faune rare en Europe (gloutons, loups, aigles, ours bruns, etc.) et fragilisant encore un peu plus le peuple sami.

Je me suis posé ces questions avant que nous n’entrions dans la cabane, avant même de partir. Notre mode de progression doux, notre sac poubelle qui prenait du volume tous les jours, notre calme et silence dans le parc, m’ont fait penser que notre empreinte n’était pas trop forte. Il n’empêche qu’en dépit de l’immense plaisir que j’ai eu à y randonner, je m’interroge encore quant à pénétrer dans ce type de zones plutôt que dans des lieux déjà partiellement colonisés.