Randonnée arctique ouverte à tous (ou presque)

1. Pourquoi la rando ?   Quelle rando ?

La question de base à se poser avant toute évaluation est : « Que recherchent les participants à cette randonnée ? ».  De manière générale, on peut dire que la raison d’être de toute rando est d’assurer une rencontre entre les participants et la nature. Il y a cependant mille modalités possibles de « rencontre » et autant de manières de définir « la nature ».

Une rencontre peut partir d’une « confrontation ».  Ainsi l’alpiniste définit le cadre de sa rencontre avec la nature en se confrontant à l’une ou l’autre difficulté qu’elle engendre pour lui. C’est aussi ce que l’on va retrouver dans l’escalade, les sports dits « d’aventure », les images du festival Banff, etc. De mon point de vue, la confrontation implique à la base une forme de dissociation entre l’homme et la nature. Il faut que deux entités séparées préexistent pour que l’une – la nature – existe comme une difficulté à surmonter pour l’autre – l’homme. Il est d’ailleurs très symptomatique que la logique de conquête des sommets n’existe comme telle que dans la culture occidentale qui porte par essence en elle la dissociation homme vs nature.

Le randonneur, le marcheur, part parcourir l’espace naturel sans posture de conquête ou de confrontation.  Il visera le col – passage logique – plutôt que le sommet – qui ne mène nulle part. Le cheminement du randonneur est défini par le terrain, en fait par la nature elle-même.  Sa posture est plus proche de l’animal, ou des peuples premiers, qui vivent de et avec la nature. Il cheminera donc selon la nature et non pas face à la nature.

L’a priori du randonneur est de se soumettre à la nature et non de la conquérir. Cette différence essentielle pose autrement la relation au paysage. En bout de course, un randonneur aura réussi sa rencontre avec la nature et donc sa randonnée si il s’est fondu dans la nature. En ce sens, dans la randonnée, la rencontre avec la nature sera, selon moi, plus juste par rapport à ce qu’est, naturellement et fondamentalement, la nature.

Bien évidemment, c’est un point de vue très partial, le mien, et que j’assume pleinement comme tel.  Mais c’est ce qui, moi, me motive à amener des gens marcher dans la nature. Il est donc important de définir ceci comme un a priori, posé en préalable à un tel rapport.

 

 2. Le choix de la Wilderness …

De ce point de vue, la rando la plus accomplie sera celle qui garanti la rencontre avec la nature la plus « naturelle ». Le summun de la rando ne se trouvera pas dans les paysages difficiles techniquement mais bien dans les paysages les plus sauvages, les moins anthropisés. Plus la nature est sauvage, non modifié par l’homme, plus la rencontre en profondeur avec cette nature sera forte, fondamentale et juste par rapport à ce qu’est naturellement la nature. Ceci justifie la recherche de la naturalité maximale du paysage.

Naturalité est la traduction française du terme anglais de Wilderness, qui est aussi plus couramment utilisé. Wikipédia en dit ceci : « La naturalité, dans son sens environnemental, renvoie au caractère sauvage d’un paysage ou d’un milieu naturel. Il s’agit d’une traduction, reconnue depuis les années 19601, du mot anglais wilderness2. La définition de la naturalité peut être tirée du Wilderness Act qui introduit la notion dans les termes suivants : “est qualifié de wilderness un milieu naturel tel que « la terre et sa communauté de vie ne sont point entravés par l’homme, où l’homme lui-même n’est qu’un visiteur de passage”. »

Il est évident que le fait de rencontrer la wilderness implique d’y être présent et donc de la rendre moins sauvage. C’est une posture et un questionnement qui doit être une base de rélexion pour tout ceux qui amène d’autres découvrir la nature en la dérangeant. Je discute ceci dans la section D.8.

 

3.                   … et donc du Sarek

Le Sarek est souvent désigné comme « the last european Wilderness ».  Ce Parc National date de 1909 et est le premier en Europe. La politique du Parc a depuis été de conserver ces montagnes sans balisage, sans chemin, sans infrastructure, sans pont sur les rivières, sans refuge ni cabane ouverte.

L’absence de balisage et de chemin n’empêche pas qu’il existe par endroits des passages, comme des cols ou des contournements de moraines complexes, mais ils sont imposés par le paysage. Ils ne sont pas balisés sur le terrain et ne sont repris sur aucune carte. Pour les connaître, il s’agit d’avoir assez longuement fréquenté le terrain et s’y être quelque fois perdu de longs jours dans des cheminements inadéquats (ce qui est mon cas ;-).

Il est à noter que, depuis des siècles, ces montagnes sont utilisées par le Sami en été pour le pâturage des rennes semi-domestiqués. C’est encore le cas aujourd’hui suivant le même schéma qu’il y a quelques siècles, mais avec l’utilisation de ski-doo en plus des skis traditionnels.  Les Samis sont ainsi, avec les gardes du Parc, les seuls à être autorisés à entrer dans le Parc en moto-neige.  Il existe donc quelques petites cabanes d’été de Samis dans la montagne. Elles sont, en principe, toutes strictement fermées l’hiver par des barres de métal impossibles à forcer. Les Samis, seul peuple premier en Europe, conservent et entretiennent une relation au paysage de peuple premier très différente, par exemple, des montagnards des Alpes.

Nous y sommes donc sous tentes, en autonomie totale (y compris en essence requise pour faire fondre la neige afin d’avoir de l’eau) à des températures qui oscillent à cette saison entre 0 et -30°C.  Rejoindre les limites du parc implique une à deux journées de ski depuis la dernière route. Deux routes existent sous forme de cul-de-sac. L’une arrive à Kvikkjokk, à une journée de ski du Sud-est du Parc (c’est de là que nous partons). L’autre au Nord du Parc rejoint Ritsem. Nous l’utilisons pour repartir au niveau de Kebnats (face à Satloluokta). Il n’y a bien sûr pas de réseau GSM accessible dans le Sarek (je dispose dès lors d’un téléphone satellite Iridium). Le choix d’amener des randonneurs néophytes dans le Sarek en hiver correspond donc à un choix très engagé et, selon moi, à ce qu’il y a de plus fort en terme de rando hivernale sur le continent européen.

 

4. … et aussi le voyage participatif

Une rencontre avec la nature au sens de la Wilderness impliquera pour moi forcément de se sortir du monde, du mode et du mood consumériste. Il n’y aura pas de rencontre directe et forte entre la nature et le participant si l’accompagnateur est perçu comme le prestataire d’un service donné payé dans la nature, qui serait vue comme le décor d’un acte commercial. Pourtant, dès que nous sommes dans une relation accompagnateur payé vs client payant le fonctionnement dans un mode consumériste est bien réel.

Un écueil que je désirais éviter est donc l’enfermement du voyage dans la relation prestataire de services – consommateur. Pour ce faire, il faut viser conjointement à (1) éviter que l’accompagnateur payé ne se place trop dans la posture du prestataire de services, c-à-d de celui qui organise tout et a tout préparé pour les autres ; (2) éviter que les participants payants ne soit renforcés dans leur posture de clients. Une manière de le faire implique que le coût soit perçu comme peu élevé par rapport à la perception des coûts réels et par rapport aux prix pratiqués ailleurs.

Les deux m’amènent à impliquer les participants en amont dans la préparation du voyage : recherche de son matériel, choix de la nourriture, etc. Conjointement, pour que tout se passe bien, il est essentiel de garder la posture de leader du groupe et la maîtrise des décisions. Et ce d’autant plus que la rando est engagée et impliquera donc des choix de matos, de nourriture, etc, spécifiques qui ne peuvent être laissés au hasard.

J’ai donc ouvert et investi du temps et des étapes avant le départ pour des rencontres, des échanges, de la co-préparation du matos de chacun, la constitution des équipes, les choix de nourritures, etc.  Ces étapes de préparation ont permis la réduction des coûts, l’implication des participants, la création d’une dynamique de groupe et aussi, conjointement, d’asseoir mon leadership avant le départ en le démontrant à travers mon expertise sur ces matières.  Nous sommes donc partis avec un groupe à la fois impliqué, déjà relativement soudé et avec mon leadership acquis. Dans le cadre d’une rando aussi engagée ce fut, selon moi, déterminant dans la réussite du projet.

Le principal inconvénient de ce choix de voyage « participatif » est l’investissement en temps préalable au départ qui n’est guère finançable comme tel puisque cette démarche induit au contraire une réduction des marges.  Mais, comme le dit Marc Breuil :  « …  je pense que la préparation fait partie du voyage. Pour moi, ce n’est pas une corvée mais plutôt un plaisir et il est important de préparer en commun avec les participants. »

 

 (extraits de mon rapport de stage, Geoffroy)