Randonnée arctique ouverte à tous (ou presque)

Jour 1 : samedi 29 mars

Progression en montée dans les arbres sur la Kungsleden, damée par les moto-neiges. Me permet de mesurer l’intensité physique de l’effort et les limites de chacun sans difficulté de progression ou d’isolement.

Cela mènera à la décision d’un des participants (Marc) de redescendre. Une hernie intestinale le fait souffrir à chaque pas. Je l’accompagne dans la décision qu’il prendra le lendemain matin. Je ne l’aurais pas laissé continuer si il n’avait pas pris la bonne décision cependant. Je le laisserai passer la nuit avec nous et redescendre le lendemain sur nos traces en m’envoyant un SMS à chacune des étape de la redescente (nous avons encore du réseau GSM à ce niveau). Cette redescente est sans risque réel et sur la kungsleden après une heure. J’ai ainsi la garantie qu’il bien redescendu.

Comme espéré, nous plantons plus haut que le Lac qui était l’étape à minima. Pour le bivouac, choix d’une zone d’arbres bien protégée du vent d’ouest par un relief de moraine.
 

Jour 2 : dimanche 30 mars

Progression d’abord à plat, puis très longue montée assez raide qui nous amène dans le massif de Parte, ensuite reliefs en descente un peu complexe. Temps couvert avec un peu de neige par moment.

En fin de journée, à plat sur le plateau de Parte avec quelques reliefs de moraines, un vent W de face souffle en rafales violentes avec neige soufflée. D’abord de face puis de côté (c’est nous qui changeons de direction, pas le vent). La neige court au sol. Le spectacle est magique, les montagnes alentours magnifiques (massif de Parte). Pour la première fois, les participants sont confrontés à un contexte et un environnement typiquement arctiques : plus d’arbres, lumière éblouissante, vent violent. Mais c’est fatiguant, très déstabilisant et stressant en fin de journée. Surtout pour un deuxième jour. Ils sont fascinés mais aussi inquiets.

La capacité de ces participants au montage des tentes, surtout dans un tel vent est très limitée. Le risque de perdre une toile ou de casser un arceau n’est pas nul. Je décide d’abord que je ferai le montage une tente à la fois, avec les deux ou trois plus aguerris, puis je décide de tenter de rejoindre une cabane sami (voir section D.2.1)
 

Jour 3 : lundi 31 mars

Après une belle nuit dans une cabane Sami sous le vent violent. Il fait beau temps. Le vent présent mais nettement redescendu par rapport à la nuit.

Progression à plat puis descente sur la vallée de la Rapa suivant un passage que j’avais été repérer la semaine précédente. Vues magnifiques sur la Rapadalen. La descente prend plus de temps que je n’aurais pensé (aisance moyenne de certains participants).

Progression ensuite dans les bouleaux épars suivant la rivière, parfois sur la rivière. Les passages le long et sur la rivière présentent des risques. La rivière est ouverte par endroit et la neige plus transformée que les autres années est moins prévisible. Les participants sont placés en file derrière moi, parfois espacés d’une dizaine de mètre lors de passages délicats. A l’approche d’un méandre, l’arrière de mes skis s’enfonce trop, dégageant l’eau. Je force le groupe qui suit à monter sur la berge, nous progresserons alors entre les arbres.

Je désire planter les tentes après avoir passé la zone la plus étroite de la vallée (éviter l’effet tunnel du vent). La neige arrive au moment où l’on s’arrête, nous décidons de planter dans une petite zone ouverte relativement bien abritée des vents par les arbres et la courbure de la vallée.

Ce soir du troisième jour, j’estime que nous avons plus ou moins une heure de retard sur le programme strict (qui prévoit lui une journée de mou). C’est lié à la descente mais reste bien dans les clous pour assumer d’éventuels impondérable.  A ce stade il serait encore possible des se replier sur la Kungsleden comme itinéraire alternatif si besoin. Mais pas besoin donc.

 

Jour 4 : mardi 1er avril

Avant le départ, pendant que nous replions les tentes, une moto-neige passe à peu de distance. Le conducteur, probablement Sami, nous fait un signe tout en continuant. Il s’agit du premier humain croisé depuis le jour du départ. La vallée de la Rapa est la plus fréquentée du Sarek (ce qui reste très relatif).

Peu après le campement, les traces du ski-doo quittent la rivière. A priori mon trajet prévoit de rester dessus et la remonter la rivière. Je décide cependant de suivre ces traces et de monter dans la forêt clairsemée, quitte à devoir les quitter pour me rabattre sur la rivière plus haut. Nous rejoindrons ainsi aisément la partie haute et plate de la rivière, qui a plus les dimensions d’un fleuve que d’une rivière (voir section D.2.2).

Les infos météo reçues par SMS de Anne, la veille, via le téléphone satellite m’indiquent des risques de vent violent d’ouest pour la nuit qui arrive. Mon objectif du jour est donc d’avoir quitté la vallée qui est orientée Ouest-Est et est un très bon tunnel à vent. Je vise à  rejoindre, au-delà du « carrefour des grands prédateurs », la portion de la Rapa qui s’oriente sur quelques kilomètres dans un axe Nord-Sud. Je prends alors une allure soutenue et régulière en emmenant le groupe, allure assez rapide mais qui ne lâche personne. Cela frustre un peu l’un ou l’autre qui veulent prendre des photos en dehors des temps de pause (que je réalise plus ou moins toutes les heures) car je ne laisse pas trainer en arrière. Nous arrivons en fin d’après-midi et nous planterons sur la rive ouest de la vallée N-S pour se protéger au mieux du vent prévu d’ouest.  Objectif atteint.
 

Jour 5 : mercredi 2 avril

Le vent soufflera beaucoup la nuit, mais passe haut sur les sommets, la neige est soufflée très loin des sommets. Nos tentes sont assez abritées pour ne pas bouger trop mais sont tout de même secouées par quelques rafales qui redescendent dans la vallée. Assez pour donner un sentiment intéressant mais sans risque réel. Je ressortirai dans la fin de nuit pour retendre les tendeurs des trois tentes et pelleter de la neige sur la base des toiles.

Au matin, le vent souffle encore fortement et porte pas mal de neige.  La visibilité est convenable mais sachant que nous allons quelques kilomètres plus loin nous retrouver face au vent dans une vallée est-ouest je décide de ne pas lever le camp dans l’immédiat, une journée complète dans ce vent serait compliquée à gérer et nous amènerait à camper dans des zones exposées aussi.  Je consomme ainsi quelques heures sur ma journée de mou. Vers la fin de matinée, après délibération commune, nous repartons. Une demi-journée correspond à une zone également relativement protégée du vent d’ouest.

Un arceau est cassé par une rafale soudaine lors du démontage. J’utilise le bout tube alu de secours de ma tente avec du duct-tape pour le réparer.

Quelques kilomètres après le départ nous nous retrouvons, comme prévu, face à un vent violent chargé de neige.  Après une progression face au vent assez prenante, nous abordons  «la » seule montée un petit peu raide de la rando. Elle reste sous les 30°, entre les arbres et sur des pentes sans aucun risque d’avalanche.

Nous sortons de cette manière de la Rapadalen et débouchons sur la vallée haute du lac Bierik. Nous sommes au cœur du Sarek, là où 5 vallées se rejoignent. Le vent a faibli quelque peu et il est sans neige. La visibilité s’ouvre entre les nuages bas qui nous encerclent et jouent avec les sommets et les vallées.  La visibilité n’est pas totale et nous ne voyons pas le pic Bierik que nous longeons (1000 mètres de dénivelés à la verticale). Mais les jeux de nuages qui se confondent avec les montagnes donnent un sentiment particulier. « On a l’impression d’arriver au Paradis » dira Marie.

Nous planterons une fois engagés plus nettement dans la vallée orientée Nord-Sud. Le vent reste très présent. Le montage des tentes dans ce vent demande pas mal d’attention et, la fatigue aidant, n’est pas aisé pour une des trois équipes qui peine à se coordonner. C’est l’équipe où l’ambiance est la moins évidente. A deux, nous allons nous joindre à eux. Un fort mur de neige est construit en outre ensuite.  A ce stade, j’estime que nous avons consommé une bonne demi-journée du jour de mou.

 

Jour 6 : jeudi 3 avril

J’avais espéré que le Pic Bierik se dégage dans la nuit mais il reste drapé de nuages au matin et ne se montrera pas sous cette très belle face.  La météo n’est pas mauvaise même si il fait assez froid et le vent reste présent.

Quelques heures plus tard, nous rejoignons la vallée qui marque la sortie du Parc National de Sarek et l’entrée dans le Parc National jointif de Stora Sjöfjellet, arrivant au bord du Lac dont la traversée prend une bonne heure, le vent amène des nuages formant un écran devant nous, bizarrement il n’y a pas de neige soufflée où nous sommes mais la lumière devient très violente et le white-out s’est installé en quelques secondes.

J’ai eu juste le temps de prendre un cap à la boussole, sur base de la mémoire de ce que je voyais juste avant. Je sais d’expérience que le Lac est plus large qu’il n’y parait, qu’il faut en sortir le plus loin possible pour trouver l’axe de la rivière à remonter et éviter dans la vallée suivante d’errer au milieu d’un labyrinthe de gros blocs rocheux avec très peu de neige. Je sais aussi qu’il faut faire attention à la qualité de la glace à l’embouchure que l’on rejoindra sur l’autre rive. Je m’y suis enfoncé l’année passée et y ai perdu un ski de ma pulka, arraché par la glace.

Je rassemble les participants en ligne derrière moi et pars sur le cap de la boussole. Lorsque la glace me semble plus douteuse, autour des îles, je les écarte les uns des autres.

Cette traversée sera un moment magique, nous sommes éblouis et suspendus dans une lumière jaune éblouissante et uniforme, une heure hors de l’espace et du temps, nous rejoignons enfin l’autre rive. A cet instant même tout se dégage brusquement derrière nous, dévoilant le lac traversé  mais aussi les quatre massifs de montagnes qui nous entourent, la lumière descend comme du lait entre les nuages qui glissent entre les vallées.  Pour beaucoup ce sera un des moments les plus magiques de la rando.

Nous planterons quelques kilomètres plus loin, à côté d’une cabane que je sais parfois ouverte mais qui ne l’est pas cette année. Il est encore relativement tôt, certains pousseraient plus loin, mais cela nous mènerait à planter dans des zones avec une neige trop profonde ou dans le fond du canyon d’une rivière que nous suivrons demain. Je juge également bon de créer un peu de temps de repos ici pour « aérer » les tensions émotives créées par les deux derniers jours intenses.

Dès lors ce soir nous avons à peu près consommé la journée de mou. Demain sera le dernier jour complet. Arriver le samedi vers midi serait le planning parfait et est à portée. Mais du retard sur ce planning resterait tout à fait gérable.

 

Jour 7 : vendredi 4 avril

Nous rejoignons la rivière, empruntons son canyon en descente.  Ambiance particulière sous les belles corniches qui nous surplombent. On le quitte à un passage qui permet de contourner sans trop de difficultés le Slugga (une montagne à la forme de volcan).

En fin de journée, nous avons un long lac de 8 kilomètres à prendre dans sa longueur. L’objectif est de planter sur sa rive Sud à peu près à mi-longueur. Sur le lac le groupe s’étale beaucoup, certains me semblent fatigués. Par les SMS reçus via le téléphone satellite j’ai l’info d’un risque de fort vent d’Ouest.  Vu l’axe E-W du lac, je veux trouver un emplacement très abrité pour les tentes. Au premier tiers du lac, je détecte une colline haute orientée Nord-Sud. Il n’y a pas de relief aussi marqué plus loin et je crains l’accélération du vent sur le lac. Nous planterons donc à cet endroit.  Je sais que cela impliquera un départ assez tôt demain matin pour la dernière journée si je vise le samedi midi.

Le montage des tentes est devenu beaucoup plus fluide, rapide et bien géré qu’au début. Les automatismes sont bien acquis dans les équipes. Le vent sera violent toute la nuit, on l’entend hurler mais les tentes ne bougent pratiquement pas idéalement placées pour cette dernière nuit sous tente.

Jour 8 : samedi 5 avril

Le départ est très précoce avec un lever à 5h00 du matin. L’objectif étant d’être à la Fjällstation de Saltoluokta, 13 kilomètres plus loin, assez tôt pour me permettre de transmettre une partie du matériel au groupe qui passera en bus vers 15h00 sur la route qui est de l’autre côté du lac par rapport à la Fjällstation.

Le vent souffle encore violement, heureusement dans notre dos, nous poussant en avant. Il tombera peu après que nous ayons atteint l’autre rive du lac. Nous serons à temps. Avec la grande surprise d’y retrouver nos trois « abandonnés » qui avaient décidé remonter la Kungsleden à pied (cfr D.9).

 

 La progression résumée en quatre points

–        Les étapes ont oscillé entre 13 et 17 kilomètres.

–        Le trajet idéal prévu a été suivi sur 100%. Les routes alternatives de repli n’ont pas été utilisées.

–        Mes prévisions horaires ont été confirmées, y compris la nécessité de la journée de « mou » prévue pour absorber les impondérables (ici surtout grands vents).

–        Je fais le constat que je n’ai jamais eu à sortir la carte pour m’orienter ou me repérer, je connais aujourd’hui assez bien ce massif dont les passages clés ne se trouvent d’ailleurs pas identifiés sur la carte (au 1/100.000). Cela fut certainement un des éléments de la sécurité du groupe et le bénéfice réel pour eux de l’accompagnateur. Sans connaître sur le terrain les passages clés, il aurait sans doute fallu compter au moins une à deux journée de plus.