Réalisation d’un vieux rêve : la traversée de la Scandinavie en partant avec une Pulka sur roulette de Bruxelles.
L’aventure est arrêtée au milieu par un avalanche. Un incroyable récit de survie : https://capexpe.org/groups/scandinavie2008/gpages/lavalanche

Flesberg, mardi 29 janvier 2008

Jeudi 24 janvier

Voici une semaine que j’ai rencontré Ole. Il fait également route vers le nord, nous marchons ensemble vers les confins septentrionaux des Setesdalsheiane. Jeudi 24 janvier, dernière etape vers Haukeliseter, portes de la civilisation. 14km de marche au programme, dans la tempête.

13h30. Nous négocions la traversée du col, Ole est juste derrière moi. Le sol se dérobe sous mes pas. Le tout dure aà peine quelques secondes.
Le mouvement s’arrête, je suis immobilisé dans une position insensée, prisonnier d’un linceul cotonneux. La neige comble mes yeux, ma bouche. Je ne suis capable d’aucun mouvement, si ce n’est l’extrêmité de ma main gauche. Au travers de la lourde couche qui me recouvre, et dont je ne peux appréhender l’épaisseur, j’aperçois encore la clareté du jour.
Ma respiration s’emballe, échappant à tout controle. J’appelle de toutes mes forces, j’agite ma main gauche. Peut-être affleure-t-elle? La haut, Ole doit être à ma recherche, j’essaie de croire en le coup de pelle salvateur. Mais rien ne vient. Les minutes, les heures peut-être, passent.
J’ai épuisé mon air, désespoir.

Peu à peu, je sombre. Je pleure doucement en attendant tragiquement la mort.
Je pense à tous ceux qui apprendront la nouvelle. On retrouvera mon carnet de notes, ultime confident. Je comprends que l’instant est arrive. Nous devons tous y passer, c’est un peu tôt pour moi.
Ma respiration se réduit à un souffle, je perds progressivement connaissance.

Puis, quelque chose me sort de ma torpeur. Je pense à tout ceux qui attendent mon retour. Pour eux, je n’ai pas le droit d’abandonner ainsi. Même si je n’ai aucune chance de survivre,  je dois me battre.

La chaleur de mon souffle a fait fondre la neige devant mon visage. Je reprends le controle de ma respiration, mais le froid me gagne. Je comprends que je ne mourrai pas d’étouffement, mais de froid. C’est une fin tellement plus paisible et cela me rassure.

Je cherche à bouger, millimetre par millimètre, sans grand succès.
Plusieurs fois, je cesse de me battre, à nouveau. Il est si facile d’arrêter de lutter, tellement plus facile de se laisser mourir… L’abandon me projettait à vive allure vers la fin.
Sans doute, j’aurais du y rester. Mais quelque chose, comme une infime espoir tendu à l’extreme, m’a tenu en vie.

La neige a fondu autour de mon corps. Dehors, la clareté a disparu depuis longtemps. Depuis combien de temps suis-je ici, a quelle profondeur ? Peu à peu, je degage un bras, puis le second. Quelque chose s’amorce, mais je suis épuisé, recouvert d’urine. Mon paysage se limite à ces quelques centimetres ouates et étouffants devant mon visage.

J’entreprends de me dégager de mon sac a dos, de mon harnais. Mon pied droit est sorti de la chaussure, je peux me dresser sur le gauche, creuser vers le haut. Enfin, ma main dégage une ouverture vers la surface. Cet afflux d’air glace me ranime. A nouveau, je crie, supplie. Aucune réponse.

J’emploie des heures, encore, à me debarrasser de ma chaussure gauche, toujours solidaire du ski. Creuser, faire des boules de neige, tenter de les lancer au travers de la minuscule ouverture qui me nargue si haut. Faire de la place, peu à peu. J’étais déterminé à me battre jusqu’au bout. Ma main gauche insensible a atteint ma guêtre, délace enfin la chaussure.

Après neuf heures de lutte, j’ai refait surface.

Je me précipite vers l’aval. Je pense au corps inerte de mon compagnon, enfui sous tant de neige. J’aperçois une forme recroquevillee dans un trou, je le secoue, il se relève. Euphorie, soulagement indescriptible. Ni l’un ni l’autre ne pensions nous revoir. Par une chance incroyable, nous sommes sortis au même instant, marqués par le même combat effroyable.

Il fait nuit, la tempête fait rage. Nous sommes tous deux en hypothermie. Déjà je sens les gelures à ma main gauche. Ole sauve son sac, ma pulka est introuvable.

Toute la nuit, nous nous serrons l’un contre l’autre dans sa minuscule tente. L’unique sac de couchage humide qui nous recouvre ne nous apporte aucune chaleur. Odeur pestilentielle, Ole est recouvert d’excréments. Mes doigts gelés se réveillent et je hurle ma douleur.
Les rafales s’intensifient, l’arceau de la tente se rompt brusquement dans un craquement de vieille branche. Abandonnes dans notre bache ruinée, nous faisons contrepoids contre les bourrasques toute la nuit.

Enfin vient la clareté du jour que je ne pensais jamais revoir. Je tente une sortie, vétu de tous nos vêtements, humides et souilles. Dans la tempête qui me plaque au sol, en chaussettes, j’entreprends de dégager mes skis, ma pulka. Après des heures d’effort, je parviens à monter la seconde tente, nous nous y refugions, allumons le rechaud. Enfin un peu de chaleur. Ole sort à son tour, retrouve ses skis. Nous craignons une nouvelle avalanche, mais nous sommes bien incapables de nous déplacer.

Puis vient le second matin. Dans le mauvais temps, nous plions bagage. Fuir ce lieu dangereux, ces pentes menaçantes qui, sans doute, attendent de prendre leur revanche.

50m, ma pulka tombe d’une corniche que je n’avais pas aperçu. Ole vient à mon secours. Hors de question de tenter d’atteindre la vallée par ce temps. Il reste 8km mais nous n’échapperions pas a une seconde avalanche. Nous envisageons un lieu sûr, montons à nouveau la tente. Nous avons assez de nourriture, beaucoup de carburant. Nous parvenons à recharger le téléphone satellite, envoyer deux messages. L’ambiance s’apaise, il nous reste juste à attendre confortablement un temps meilleur.

Dimanche matin, nous jetons un oeil par le hublot. Le bleu du ciel et la neige scintillante. Nous replions les affaires en toute hate. Midi, nous atteignons l’hotel. Le soleil brille, les camions defilent sur la route, étrangers à notre sort.

Mardi 29 janvier

Je prends à present un peu de repos chez Ole à Flensberg. Mon pere Klaus m’a rejoint.

L’avalanche est derriere moi. Restent sur les doigts de ma main gauche ces vilaines morsures du froid. La peau saigne, vire au blanc. J’ai perdu deux ongles. J’ai peu de sensations, du mal à plier completement les doigts. Le médecin m’a rassure, je devrais récuperer un peu de mobilité d’ici une semaine, je devrais compter un à deux mois pour une guérison totale. Mais tout cela n’est rien, en comparaison a ce que nous avons mis en jeu.

Beaucoup de questions, surtout. Les dernieres expériences en montagne avec Laurent ont été éprouvantes, je m’étais juré de tourner le dos à ces dangers sournois. Je pensais faire ici une route sereine, un voyage plaisir. Tel était du moins mon optique. Cette fois, je suis passé du bon cote. Rendez-vous manque, mais combien de fois encore?
Le danger ne m’apporte aucune exaltation. Tout au plus un goût amer et morbide.
Comment dois-je envisager la suite de cette expédition?
Je me suis tourné vers la montagne pour échapper à la fadeur du quotidien, mais le problème n’est il pas plutôt d’apprendre à profiter de ces choses simples, banales, conventionnelles s’il le faut?
Toujours ces mêmes notions qui reviennent: plaisir, souffrance, sacrifices. Mais que suis-je venu chercher?

Quoi qu’il en soit, je ne peux pas continuer immédiatement. J’ai besoin d’un peu de temps, de réflexion, de guérison. Mais je dois me remettre en selle, Ole m’encourage en ce sens. D’autres amis viendront me rejoindre. J’ai envie de marcher avec eux.

J’aimerais remercier Ole, qui a vécu la même galère que moi. Nous avons du sacrement nous serrer les coudes pour survivre.

Mais je voudrais surtout vous dire à quel point je tiens à vous tous. Merci d’être la, vous m’avez donne l’énergie pour me battre. Sans vous, je serais encore sous la neige…

Kiss

Nico

 

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